Hélène de Laage à côté de l'une de ses sculptures © Antoine Bordier

Hélène de Laage : sculpteur de Dieu !

À 90 ans, cette « cathédrale », comme aimait qualifier Marthe Robin les personnes qui ont dépassé le grand âge, est toujours debout. À l’intérieur d’elle, semble couver le doux feu de l’Esprit Saint, qui l’anime. Cette aventurière, qui a fait le tour du monde à 25 ans, revient sur sa vie. Elle nous ouvre les portes de son enfance, de son adolescence, et, nous parle de sa rencontre avec le Seigneur. Sa grande passion : la sculpture.

À Toulon, dans sa grande maison estivale qui surplombe la baie, les cris des enfants et des petits-enfants qui plongent dans la piscine éclaboussent notre entretien. Dans sa robe bordeaux, avec sa petite canne, elle marche avec difficultés. Ses yeux bleus sont rieurs et espiègles à la fois. Son sourire discret vous accueille et vous met tout de suite à l’aise. Nous allons sur la terrasse. Nous nous asseyons à sa grande table familiale. Discrètement sur le muret qui délimite la terrasse sont disséminées quelques-unes de ses œuvres : une sculpture de la Sainte Famille, un portrait en marbre, une croix. Elle démarre l’entretien en parlant de sa famille : « J’ai 5 enfants dont 1 enfant adopté. Et 25 petits-enfants. J’ai passé une grande partie de mon adolescence, pendant la Seconde Guerre Mondiale, à Toulon. » Elle rigole quand elle prend un court instant l’accent provençal. Pour les marins militaires, Toulon est incontournable. « Mon père était un marin militaire. C’était aussi un explorateur. » Dans cette maison que ses parents ont achetée en 1918, elle se souvient de la tragédie du sabordage de la flotte. « Nous étions aux premières loges, le 27 novembre 1942. On entendait et on voyait tous les bateaux sauter. Il y avait une épaisse fumée, et, cela sentait l’huile brûlée. C’est le seul mauvais souvenir que j’ai de mon enfance. » Hélène nous parle de son frère, Jean, alors que nous apercevons à l’horizon un bateau de la Marine Nationale. Toute petite, à Paris, Hélène passe son temps à dessiner. Elle commence, aussi, à modeler des santons de Provence. Pour cela, elle utilise « du mastic blanc, celui qui sert à réparer l’étanchéité des fenêtres. »

Le Sahara a marqué sa vie

Alors qu’elle suit sa scolarité à Paris, elle s’implique dans le scoutisme. « Le scoutisme m’a apporté beaucoup d’enthousiasme. J’ai fait ma promesse scoute, ici, dans cette maison. » Son père marin-explorateur, Hector de Béarn, l’entraîne dans ses aventures. Ses yeux pétillent quand elle parle de lui. « J’étais fascinée par mon père. Il m’a donné le goût des voyages et des expéditions. Il m’a fait rencontrer des gens passionnants. » À 20 ans, Hélène découvre le Sahara. Elle passera plusieurs mois entre Alger et Le Cap, en Afrique du Sud. « Ma première traversée saharienne a eu lieu en 1950. Nous sommes allés à Tamanrasset. J’ai même fêté mes 21 ans à Agadès. Le Sahara a marqué ma vie. Ce désert infini, cette luminosité incroyable qui dessine les crêtes des dunes. Et, ce silence : divin ! » A 25 ans, Hélène a fait le tour du monde. Elle a utilisé tous les moyens de transport, jusqu’au cargo de marchandises. Ses voyages l’ont façonné et lui ont permis de rencontrer Dieu.

Sa rencontre avec le Seigneur

En arrivant à Tamanrasset, elle fait la rencontre de Mgr Mercier, évêque du Sahara. « À l’époque, explique-t-elle, c’est le plus grand diocèse du monde. C’est, aussi, le moins peuplé. Avec lui, nous nous rendons dans l’ermitage du bienheureux Charles-de-Foucault, à l’Assekrem. Là, j’expérimente la présence de Dieu. Je rencontre Dieu dans le désert. Je me souviens que nous dormions à la belle étoile. Nous montons un autel éphémère et nous vivons la première messe célébrée depuis la mort du bienheureux, en 1917. » Hélène est très émue. « C’est là que j’ai vraiment rencontré le Seigneur. Il ne m’a jamais quitté depuis. » Hélène se nourrit de ses voyages et de ses rencontres. Elle est marquée par « la beauté et la pureté des dunes. Les formes y sont extraordinaires ». Elle donne de plus en plus un sens christique à son talent de sculpteur, puisqu’elle a, déjà, réalisé des dizaines de bustes. Quelques années plus tard, en 1957, elle se marie avec François, un ingénieur qui travaillera à la construction de la première centrale nucléaire à Marcoule. Décédé il y a 14 ans, François est le grand amour de sa vie.

Une vocation : sculpteur de Dieu !

Avant son mariage, Hélène a collaboré avec Georges Muguet, dessinateur, aquarelliste, et sculpteur réputé. Hélène est son élève entre 1950 et 1957. Elle travaille avec lui sur les sculptures de la façade de l’Église Saint Ferdinand des Ternes à Paris, où sont représentés saint Ferdinand, le Christ, et, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Au début des années 1960, la petite famille déménage pour les États-Unis, et vit à Washington. C’est là qu’elle fera le buste de la petite Caroline Kennedy. « Nous nous sommes connus avec les Kennedy par un oncle décorateur qui connaissait Jacky Kennedy. Je me suis rendue plusieurs fois à la Nursery de la Maison-Blanche. La petite Caroline venait poser chez moi. » Très amoureuse de son mari, elle le suit partout.

Sur le couple, en général et sur l’éclatement actuel de la famille dans notre société, Hélène répond simplement : « notre couple était très fort. Et, avec les enfants nous avons renforcé notre amour. Nous avions une admiration réciproque. La clef aujourd’hui pour durer : bâtir sur le roc, sur le Christ, et, se faire accompagner dans les tempêtes ».

Fondacio : un engagement de missionnaire

Dans les années 80, Hélène s’engage avec François dans Fondacio, un nouveau mouvement charismatique créé en 1975. Elle approfondit, alors, sa relation avec le Seigneur. Elle décide de « sculpter pour Lui ». Ses temps de prière augmentent. Elle se plonge dans l’Apocalypse et réalise des sculptures inspirées, comme le Berger et l’Agneau. Très mariale, elle sculpte un rosaire pour décorer la crypte de Notre Dame d’Auteuil, à Paris. Puis, des Vierges pour les collèges de Passy-Buzenval et de Poissy. Hélène raconte que lorsqu’elle sculptait la Vierge de Buzenval, en 1985, « Fondacio était très impliqué au Chili. Et, j’ai reçu une commande pour réaliser une Vierge avec un visage d’indienne et une grosse natte sur le côté, pour que les femmes se reconnaissent en elle ». Dans les années fin 80 début 90, Hélène anime un groupe d’artistes et se rend aux rassemblements de Magnificat à Paray-le-Monial. C’est là qu’elle a rencontré Michael Lonsdale et le futur Mgr Rey.

« J’ai été gâtée par le Bon Dieu »

Hélène évoque sa sculpture de la Trinité qu’elle a offert au curé de la Trinité, à Paris. Elle évoque, aussi, la cathédrale de Paris : « j’habite sur l’Île Saint-Louis, au chevet de Notre-Dame, et lors du terrible incendie du 15 avril 2019, j’étais aux premières loges. C’était pour moi une nuit de cauchemar. Je n’ai pas dormi de toute la nuit ». Hélène retrouve le père Dominique Rey, curé de la Trinité, quand il devient évêque en 2000 du diocèse de Fréjus-Toulon. Ils se retrouvent à Toulon. Mgr Rey lui commande une Vierge à l’Enfant pour le sanctuaire de Notre-Dame de Grâces, à Cotignac. Elle ne sculpte plus, mais continue à dessiner. Sa vie est devenue toute spirituelle. Elle se réfugie parfois dans les foyers de charité de la Flatière et de la Roche d’Or. Aventurière infatigable, elle continue à voyager en famille : « j’étais l’hiver dernier avec tous mes enfants et mes petits-enfants sur les bords du Nil, en Égypte ». Alors que les éclats de rire de quelques-uns de ses petits-enfants se rapprochent de nous, elle conclut notre échange par ses mots : « J’ai été gâtée par le Bon Dieu, je le remercie tous les jours ».

Antoine Bordier

© LA NEF le 24 juillet 2020, exclusivité internet