Frère Laurent de la Résurrection.

Le cordonnier de Vaugirard

Simple frère convers du Grand Siècle, Laurent de la Résurrection (1614-1691) montre comment vivre en présence de Dieu dans les activités les plus modestes. La belle biographie que Denis Sureau lui consacre est l’occasion de présenter ce carme attachant trop peu connu.

Né vers 1614 en Lorraine, Nicolas Herman fut soldat pendant la guerre de Trente Ans, blessé lors de la bataille de Rambervillers en 1635. Quittant sa province ravagée par les pillages, la famine et la peste, il se rend à Paris, où il devient un laquais, « un gros lourdaud qui cassait tout », disait-il. Attiré par la vie religieuse, il tenta une expérience de vie érémitique avant d’entrer chez les carmes déchaux, dans le tout nouveau couvent de la rue de Vaugirard, où il prononce ses vœux en 1642. Sous le nom de Laurent de la Résurrection, il demeura un simple frère convers qui passa sa vie entre la cuisine, la savaterie (la cordonnerie) et la quête des aumônes, jusqu’à sa mort survenue en 1691.

Souvent penser à Dieu
Il n’aimait guère les livres et a écrit peu : ses œuvres complètes tiennent en quelques pages, quelques lettres et quelques maximes. C’était pourtant un grand spirituel de l’ordre du Carmel, entre saint Jean de la Croix et sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, dont il annonce la spiritualité simple et confiante. Thérèse de Lisieux nous a donné sa voie d’enfance ; Frère Laurent, qui avait pris au sérieux l’appel de Jésus à prier sans cesse, ne connaît qu’une méthode : l’exercice de la présence de Dieu. Il écrit à une religieuse : « Pour connaître Dieu il faut souvent penser à lui ; et quand nous l’aimerons, nous y penserons aussi fort souvent, car notre cœur est où est notre trésor ! Pensons-y souvent, pensons-y bien. »
Tout est dit. Qu’il s’agisse de « cuire sa petite omelette », recoudre des sandales ou ramener des tonneaux de vin au couvent, il transformait ces tâches modestes en « une manière de petits entretiens avec Dieu, pourtant sans étude, comme ils viennent ». Cette facilité apparente fut cependant le fruit d’efforts parfois pénibles, d’une effroyable nuit de la foi, et de longues années où l’exercice de la présence de Dieu fut compromis par d’innombrables distractions.
Rien d’intellectuel dans la méthode de Frère Laurent. « Dans la voie de Dieu, les pensées sont comptées pour peu, l’amour fait tout. » C’est le cœur plus que l’intelligence qui alimente la mise en présence de Dieu. Au lieu de s’amuser à de « petites dévotions » qui changent tous les jours, il lui paraissait « plus droit de tout faire pour l’amour de Dieu, de se servir de toutes les œuvres de son état pour le lui marquer et d’entretenir sa présence en nous ». Et d’ajouter abruptement : « Il n’y faut point de finesse, il n’y a qu’à y aller bonnement et simplement. »

Rechercher Dieu en tout
Le point de départ de Frère Laurent est la finalité de l’homme : « Rechercher toujours Dieu et sa gloire en tout ce que nous faisons, ce que nous disons et entreprenons : que la fin que nous prétendons soit d’être les plus parfaits adorateurs de Dieu en cette vie, comme nous espérons l’être pendant toute la durée de l’éternité. » Constatation suivante : nous sommes indignes, méprisables, instables. Il nous faut donc nous abandonner totalement et tranquillement à Dieu, soumettre notre cœur et notre esprit à sa volonté. Comment faire ? « La pratique la plus sainte, la plus commune et la plus nécessaire en la vie spirituelle est la présence de Dieu, c’est de se plaire et de s’accoutumer en sa divine compagnie, parlant humblement et s’entretenant avec lui en tout temps, à tout moment, sans règle ni mesure, surtout dans le temps des tentations, des peines, des aridités, des dégoûts, et même des infidélités, et des péchés. »
Notre frère convers suggère, dans toutes nos actions, de « cesser quelque petit moment, le plus souvent même que nous pourrons, pour adorer Dieu au fond de notre cœur, le goûter quoiqu’en passant et comme à la dérobée ». Petits instants pour louer Dieu, oraisons jaculatoires pour lui offrir son cœur et le remercier : « Dieu d’amour, je vous aime de tout mon cœur. » Nous devons à Dieu « par justice toutes nos pensées, nos paroles et nos actions. Voyons si nous le faisons ». L’habitude qui se formera – non sans peine au début – par la multiplication de ces actes fera de la présence de Dieu une union continuelle, et cela « doucement, humblement et amoureusement, sans se laisser aller à aucun trouble ou inquiétude ». Cela implique toutefois, précise Frère Laurent, la mortification des sens et de vider tout ce qui remplit inutilement notre cœur – faire de la place pour Dieu !

L’amour, plus important que l’œuvre
La démarche spirituelle du carme de Vaugirard est indifférente aux distinctions matérielles entre les différents temps et les différentes œuvres. Ce n’est pas la grandeur de l’œuvre qui importe mais l’amour qu’on y met. La conversation continuelle qu’il entretient avec Dieu concerne chaque instant et chaque tâche, fût-ce la plus simple. Et « même pendant vos divertissements », conseille-t-il à une dame du monde, ajoutant aussitôt : « [Dieu] est toujours auprès de vous, ne le laissez pas seul : vous croiriez être incivile de laisser seul un ami qui vous rendrait visite. Pourquoi abandonner Dieu et le laisser seul ? Ne l’oubliez donc pas ! Pensez souvent à lui, adorez-le sans cesse, vivez et mourez avec lui, c’est là la belle occupation d’un chrétien ; en un mot, c’est notre métier. »
Pendant quinze ans, Frère Laurent fit la cuisine, travail qu’il détestait au départ, pour l’amour de Dieu, si bien qu’elle lui devint facile. S’il préféra l’office de cordonnier qu’il occupa ensuite, au service de ses nombreux frères carmes déchaussés (c’est-à-dire en sandales et non en chaussures !), il était prêt à le quitter si son supérieur le lui demandait. Le temps de la prière n’était pour lui pas différent de celui de l’action, comme les heures de retraite par rapport à celles des travaux ordinaires. À une dame du monde, il explique qu’« il n’est pas nécessaire d’être toujours à l’église pour être avec Dieu, nous pouvons faire de notre cœur un oratoire ». Il faut aimer Dieu en toutes choses, faire de petites choses pour lui, sans se soucier du reste – y compris de ses propres fautes et misères. Frère Laurent de la Résurrection nous montre ainsi comment le chrétien sanctifie la vie de tous les jours, avec le secours continuel de Dieu.

Redécouvrir un vrai mystique
Après sa mort, l’abbé Joseph de Beaufort, qui avait souvent rencontré le cordonnier mystique, publia deux livres pour recueillir ses rares écrits ainsi que son propre témoignage. Tout ce que nous savons tient en ces deux livres, publiés en 1692 et 1694. Malheureusement, Laurent de la Résurrection est cité par Fénelon (qui l’a connu personnellement) contre Bossuet suite à la grande querelle autour du quiétisme. Mais suite à la condamnation de Fénelon – pour des motifs surtout politiques – la spiritualité laurentienne subit un discrédit qui durera en France jusqu’au milieu du vingtième siècle. Mais certains courants protestants spirituels (piétistes) hollandais, allemands puis anglais découvrirent l’enseignement de Frère Laurent et le trouvèrent fort à leur goût. Son œuvre traversa l’Atlantique et Brother Lawrence a rencontré un succès qui ne s’est pas démenti depuis. Les rééditions prolifèrent. Il est traduit non seulement en anglais et en allemand, mais aussi en néerlandais, espagnol, italien, bengali, hindi, hébreu, japonais, suédois, croate, indonésien, coréen… Encore largement méconnu en France, Laurent de la Résurrection mérite d’être redécouvert.

Denis Sureau

Pour aller plus loin…

Frère Laurent de la Résurrection, de Denis Sureau
Artège, 2020, 152 pages, 14,90 €
Dans ce récit biographique très agréable à lire, Denis Sureau trace un portrait vivant du carme de Vaugirard et montre comment sa spiritualité n’a pas veilli et demeure accessible à tous. À découvrir.

Vivre la présence de Dieu, de Laurent de la Résurrection
Artège, collection « Les classiques de la spiritualité », 2020, 110 pages, 7,50 €
Tous les écrits de Laurent de la Résurrection et les témoignages de son biographe, l’abbé Joseph de Beaufort. Une réédition entièrement fidèle aux textes originaux.

© LA NEF n°322 Février 2020, mis en ligne le 31/07/2020