La cathédrale St-Patrick à New York © J.M. Luijt-Commons.wikimedia.org

L’Église catholique américaine

Quatrième pays abritant le plus de catholiques au monde après le Brésil, le Mexique et les Philippines, les États-Unis comptent plus de 70 millions de catholiques, pour une population de 330 millions d’habitants. C’est la première « dénomination » religieuse du pays (20,5 %), même si les protestants, toutes églises confondues, représentent 46,5 % de la population. C’est aussi l’Église la plus touchée par des vagues de départs : 25 millions d’adultes élevés dans le catholicisme ne se considéraient plus comme tels en 2015 (ils étaient 7,5 millions en 1975).
À l’image du pays, l’Église américaine est marquée par sa forte diversité ethnique. 59 % des catholiques sont blancs, 34 % sont hispaniques, 3 % sont afro-américains, 3 % asiatiques et une petite minorité est amérindienne. Cette diversité culturelle et linguistique est un fait social largement assumé. Les Amérindiens ont ainsi leur propre « Tekakwitha Conference » (1) et la plupart des diocèses proposent des célébrations dans toutes les langues. Dans un pays d’immigration, l’Église veille à s’adresser à toutes les nationalités : l’archidiocèse de Los Angeles compte ainsi 24 pastorales « ethniques », destinées aussi bien aux Croates qu’aux Nigériens et aux Japonais.
Les divergences politiques des catholiques américains, apparemment pondérées, reflètent ces origines. Les catholiques soutiennent à 47 % le parti démocrate et à 46 % le parti républicain, mais les immigrés récents et les Afro-Américains penchent majoritairement pour les premiers et les Blancs pour les seconds. De plus, l’immigration et la démographie « transforment » l’Église : 50 % des catholiques de moins de 30 ans sont hispaniques tandis que 76 % des plus de 65 ans sont blancs. L’Église américaine est aussi marquée par une grande disparité dans son rapport à la tradition : 76 % des catholiques sont favorables à la contraception, 62 % au mariage des prêtres, 59 % à l’ordination des femmes et 46 % au mariage des personnes homosexuelles.
En comparaison des autres chrétiens, les catholiques américains sont aussi plus éloignés de leurs pasteurs : en 2019, ils étaient 8 % à se sentir vraiment proches de leur clergé, contre 25 % chez les protestants (2). Les États-Unis sont aussi le pays qui compte le plus de théologiens au monde (plus de 1300 membres affiliés à la Catholic Theological Society). Toutes ces caractéristiques sont le fruit d’une histoire bien particulière qui permet de saisir les fractures de l’Église américaine contemporaine.

Une civilisation nouvelle
Avril 1791. Un petit navire au nom prédestiné, le Saint-Pierre, quitte le port de Saint-Malo. À son bord se trouvent 4 prêtres sulpiciens et 5 séminaristes. Ils ont été envoyés par leur supérieur, l’abbé Émery (1732-1811), pour venir seconder l’évêque de Baltimore dans le Maryland. Et pour y fonder un grand séminaire sur le modèle de celui de Saint-Sulpice. En effet, l’Église américaine manque de prêtres : on en compte alors à peine 22 pour 30 000 fidèles (les 13 États confédérés comptent alors 3,8 millions d’habitants). De plus l’abbé Émery pressent que la Révolution se retournera tôt ou tard contre le clergé et que l’Amérique peut être un refuge prometteur pour la compagnie de Saint-Sulpice. Toutes les congrégations feront le même pari au XIXe siècle.
Pie VI (1717-1799) partage cette intuition lorsqu’en novembre 1789 il nomme, sur une proposition locale, le jésuite John Carroll (1735-1815) premier évêque américain. Ce dernier peut faire figure « d’avant-gardiste ». Tout d’abord, il « adhère sans réserve à la civilisation nouvelle » (3) que mettent en place les « Pères fondateurs » avec la jeune République et qui diffère du projet théocratique des « Premiers pèlerins » (4). Il croit fermement que la logique de la séparation des Églises et de l’État et le principe de la neutralité religieuse garanti par le premier amendement à la Constitution protégeront les catholiques contre l’intolérance des puritains.
Pour l’évêque, les catholiques doivent profiter pleinement de cet esprit démocratique. Pour faciliter leur intégration et l’évangélisation auprès de leurs concitoyens, il fait célébrer les messes en langue vernaculaire, prescrit une « Prière pour les autorités civiles » à lire après l’Évangile et instaure des « conseils de paroisse » (« trustee system »), incitant les laïcs à participer activement à la vie de leurs églises. Cependant, à la demande de Rome, le latin sera rétabli en 1791 et les conseils rappelés à l’ordre par Pie VII (1742-1823) et son bref Non sine magno (1822). Il faut dire que certains laïcs voulaient élire leur pasteur et s’opposaient frontalement à leur hiérarchie… comme les paroissiens de la cathédrale St Peter à New York qui chassèrent leur évêque en 1820 !

L’influence irlandaise
En 1810 Baltimore devient une province ecclésiastique et ses 4 diocèses suffragants comptent 70 000 fidèles, 100 prêtres français et 72 prêtres américains. Nombre des premiers évêques sont français : Mgr Dubois à New York, Mgr Flaget au Kentucky, Mgr Bruté en Indiana ou encore Mgr de Cheverus à Boston. Le premier prêtre américain à être ordonné en 1793 était d’ailleurs un Orléanais : l’abbé Étienne Badin (1768-1853).
Peu à peu, les Irlandais vont succéder aux Français à la tête de l’institution. En effet, entre 1790 et 1850, plus d’un million de catholiques européens, majoritairement irlandais, émigrent aux États-Unis. Ce qui va accentuer chez les protestants « nativistes », qui mèneront lynchages et campagnes de terreur, l’idée que le catholicisme est « une religion d’étrangers » inassimilables. Malgré tout, en 1850, l’Église romaine devient la première dénomination religieuse du pays, devant l’Église méthodiste. En 1870, les catholiques représentent 12 % de la population avec 4,5 millions de fidèles, dont 3780 prêtres répartis dans 51 diocèses. C’est 150 fois plus qu’un siècle auparavant.
En 1875, Pie IX (1792-1878) crée l’archevêque de New York, Mgr Mac Closkey (1810-1885), premier cardinal américain. En 1908, avec son successeur Pie X (1835-1914), les États-Unis ne sont plus une terre de mission (Sapienti Consilio). Cependant, entre 1850 et 1930, 45 % du clergé est irlandais. On évoque alors avec ironie « une Église sainte, irlandaise et apostolique » (5). Mais cette dernière n’est pas uniforme. Le clergé se divise en deux tendances : ceux qui privilégient des paroisses « nationales » (irlandaises, polonaises…), comme Mgr Corrigan à New York, et qui se sentent très proches du Magistère romain. Et ceux, plus « autonomistes », qui sont au contraire favorables à une organisation territoriale qui brasse les nationalités et favorise une assimilation des catholiques à la culture américaine naissante (Mgr Ireland, archevêque de St-Paul et Mgr Gibbons, archevêque de Baltimore, en tête). Plus qu’une question d’organisation, le débat oppose deux visions du catholicisme américain : l’une, libérale, collégiale et quelque peu hétérodoxe et l’autre, plus conservatrice, orthodoxe et magistérielle.

La crise de « l’américanisme »
À la fin du siècle, les positions de Mgr James Gibbons (1872-1921) et de Mgr John Ireland (1838-1918) rencontrent un écho favorable chez les libéraux européens soucieux de réconcilier l’Église avec la démocratie. L’écrivain Paul Bourget (1852-1935), en voyage aux États-Unis s’exclame : « Le christianisme m’apparaît plus que jamais conciliable avec tout le monde moderne, puisqu’il l’est ici. » Les États-Unis pourraient-ils être un modèle pour le continent, alors que Léon XIII (1810-1903) vient d’appeler les catholiques français à rallier la République (Au milieu des sollicitudes, 1892) ? Une partie du clergé français n’en doute pas et pour promouvoir cette idée le père Félix Klein traduit en 1897 la biographie d’un célèbre prêtre américain, le père Isaac Thomas Hecker (1819-1888).
Fondateur de la Société missionnaire de Saint-Paul, converti à 25 ans, l’abbé Hecker a été très influencé par l’écrivain catholique Oreste Brownson (1803-1876), le « Léon Bloy américain » (Daniel-Rops). Ce dernier défendait une vision catholique du « destin manifeste » des États-Unis et estimait que, puisque son pays était « l’espérance du monde », le catholicisme était « l’espérance de son pays ». L’abbé Hecker développa une mystique singulière, où l’Esprit Saint inspire les vertus « actives » (esprit d’entreprise, détermination) propres à bâtir une civilisation chrétienne nouvelle.
Cette vision caractéristique d’un « catholicisme jeune, entreprenant, parfaitement adapté à une race de pionniers » (6) avait déjà suscité une première désapprobation de la part de Léon XIII, lorsqu’en 1895 il tançait l’idée que « la meilleure situation de l’Église serait aux États-Unis » où l’Église et l’État sont séparés (Longinqua Oceani). Cependant la traduction du père Félix Klein et sa préface en faveur de l’esprit américain provoquent un véritable tollé jusqu’en Belgique et au Canada. L’évêque d’Angers, Mgr Freppel (1827-1891), dénonce l’idée que la République en France serait « une simple forme de gouvernement » et non pas « une doctrine radicalement contraire à la doctrine chrétienne ». Mais plus que sa transposition en Europe, on dénonce dans « l’américanisme » son inadéquation avec la Tradition et le Magistère.
Le pape met un terme à la querelle en s’adressant à Mgr Gibbons en 1899 (Testem benevolentiae). Il dénonce « le danger » de vouloir adapter la doctrine chrétienne à la « liberté moderne » et réfute la mystique de l’abbé Hecker, fondée sur une fausse distinction entre des vertus actives et passives et sur une opposition, latente et pernicieuse, entre l’effusion de l’Esprit Saint et les enseignements du Magistère. Les évêques américains se soumettent alors au Saint-Père, tout en dénonçant derrière « l’américanisme » un « épouvantail » et une « infamie » créés de toutes pièces par leurs adversaires. Mais dans le fond, alors qu’un an auparavant la guerre hispano-américaine opposait leur nation à l’Espagne (1898) à propos de l’indépendance de l’île de Cuba, ils étaient nombreux à penser avec le futur archevêque Denis O’Connell que le conflit était « civilisationnel » et qu’il opposait tout ce qui était « vieux, cruel et corrompu en Europe » à ce qui était « libre, sincère et vrai en Amérique ».

Des citoyens à part entière
La crise de l’américanisme ne doit pas pour autant faire oublier l’admiration de Léon XIII pour « la florissante jeunesse » de l’Église américaine, qui contraste à ses yeux avec les « vicissitudes que traversent les autres nations catholiques ». Mais pour l’historien James Hennesey l’Église américaine entre après 1899 dans « un demi-siècle d’hibernation théologique ». Il faudra en tout cas attendre les ouvrages du jésuite John Courtney Murray (1904-1967), pour trouver une vision de la liberté religieuse et de l’autonomie de la sphère séculière qui soient acceptées par les papes. Cela étant, les catholiques demeurent très engagés dans la société américaine : en 1933, Dorothy Day (1897-1980) et le Français Pierre Maurin (1877-1949) fondent le mouvement des Catholics Workers, tandis qu’à partir de 1930 le Père Fulton Sheen (1895-1979), futur archevêque de Newport, lance une émission de radio qui touche des millions d’auditeurs.
Dans le même temps, l’Amérique se montre sensible au renouveau thomiste dans les universités et les séminaires. Comme le montre l’historien Florian Michel, Gilson et Maritain rencontrent un grand succès en Amérique et pas seulement chez leurs coreligionnaires (7). Reprenant plus ou moins fidèlement cet héritage, les catholiques américains vont jouer un rôle de premier plan dans la naissance du courant conservateur, avec le « New Conservatism », inspiré du droit naturel chrétien sous l’égide de Russell Kirk (1918-1994) (8) et du sociologue Robert Nisbet (1913-1994). Cette doctrine d’envergure, qui s’oppose au consensus progressiste né avec Roosevelt, enterre définitivement la « Old Right » anticatholique et antisémite.
Sur le plan économique et social, le formidable effort d’intégration des catholiques porte ses fruits. Avec la construction de milliers d’établissements éducatifs (dont 230 universités) et 637 hôpitaux, les catholiques sont sortis du ghetto. Ils constituent l’une des « classes sociales » les plus éduquées et les plus riches du pays. Avec l’élection du Démocrate et catholique John Kennedy en 1961, qui réussit là ou son prédécesseur démocrate Al Smith avait échoué en 1928 précisément parce qu’il était catholique, les catholiques sont désormais des Américains à part entière. Sur le plan économique, ils profitent très largement du « rêve américain » : en 1985, un tiers des dirigeants des 500 plus grandes entreprises du pays sont catholiques. Mais dans le même temps, l’Église américaine est profondément ébranlée par l’après-concile et la révolution culturelle des années 1960.

Le bouleversement des années 1960
En effet, pour l’historien Chester Gillis, l’après-concile est « l’événement le plus marquant de son histoire » (9). Beaucoup jugent que l’Église s’est montrée trop timorée et les défections sont nombreuses dans un clergé qui reste encore affaibli aujourd’hui. Le pays comptait ainsi 250 000 religieux, religieuses, prêtres et diacres en 1965. Ils n’étaient plus que 108 000 en 2014.
Les prêtres américains étaient 57 000 en 1965, ils ne sont plus que 38 000 en 2015 (25 000 diocésains, pour 13 000 religieux). Ce qui représente 30 % de prêtres en moins, pour 68 % de fidèles en plus. La moyenne d’âge des prêtres est aujourd’hui de 59 ans et 40 % des prêtres ont plus de 65 ans. Et si l’on comptait près de 500 ordinations en 2015, 3500 paroisses (17 000 clochers) demeuraient encore vacantes. Mais l’hémorragie touche particulièrement les religieuses. Elles étaient 180 000 en 1965 : elles sont environ 50 000 aujourd’hui.
On constate aussi un effondrement de la pratique chez les fidèles. Dès 1975, les messalisants hebdomadaires passent de 71 % à 50 % et les confessions mensuelles sont divisées par deux. Le taux de divorces a été multiplié par 4 depuis 1979, les divorcés représentant 12 % de la population maritale en 2014. Avec le concubinage, les mariés ne représentent plus que 54 % des ménages catholiques, contre 70 % en 1979. Com­ment une telle transformation a-t-elle pu s’opérer ?
En 1967, le sociologue Robert Bellah théorisait la notion de « religion civile ». Selon lui, les Pères fondateurs ont créé un évangile à eux, « démocratique et libéral », faisant de la nation une Église et des élites un clergé. Les catholiques, « plus américains que les Américains », se sont, pour certains, adaptés à la culture dominante et ont donc « évolué » avec elle tandis qu’en se sécularisant elle s’éloignait de la tradition catholique. Et avec la révolution culturelle des années 1960, la fracture s’est accentuée. Ce qui a eu aussi comme conséquence, sur le plan politique, que les catholiques pratiquants sont passés pour une majorité du côté républicain, à partir de l’élection de Ronald Reagan en 1981, quand s’est constitué un front commun avec les évangéliques sur les questions de mœurs (l’avortement fut légalisé en 1973 avec l’arrêt Roe v. Wade).
En 1984, l’historien Jay P. Dolan constatait l’émergence d’un « nouveau catholicisme », caractérisé par son pluralisme. Avec des conservateurs enclins à défendre la loi naturelle et des progressistes à défendre des combats féministes ou la « justice sociale ». Chacun s’opposant à la Tradition sur des points divergeants. En 2003 par exemple, George Weigel (10) et le Père Richard Neuhaus, deux figures de proue du mouvement conservateur, ont ainsi défendu la guerre en Irak, quand bien même pour l’épiscopat américain elle ne respectait pas les critères de la guerre juste. Aujourd’hui, l’épiscopat est toujours opposé aux « idoles d’une société sécularisée », quelles qu’en soient les tendances, pour reprendre la formule de Mgr José Gomez. Ce dernier s’est d’ailleurs frontalement opposé à la politique migratoire du président Trump, défenseur de la grandeur de l’Amérique.

Les scandales d’abus sexuels
Mais le phénomène d’acculturation s’accentue chez les 18-29 ans. On constate ainsi dans toutes les Église l’essor des « nones », des non-affiliés, athées et agnostiques, qui quittent les Églises traditionnelles. Auparavant anecdotique, leur nombre s’est démultiplié depuis les années 2000. De 16 % en 2007, ils sont passés à 25 % en 2016. Dans le même temps, la proportion des catholiques dans la population est passée de 24 % à 21 % : 13 % des adultes ont quitté l’Église catholique (parfois aussi au profit des Églises évangéliques) et seulement 2 % l’ont rejoint. Le phénomène s’est malheureusement intensifié avec les actes de pédocriminalité commis par le clergé, révélés au début des années 1990, et à nouveau en 2002 et en 2019, et qui furent d’une ampleur sans précédent.
Entre 1989 et 1993, une première vague de révélations d’abus sexuels a fait suite à un rapport sur des actes pédocriminels remis aux évêques américains dès 1985. Ces derniers mettent en place une première série de réformes. Mais, dix ans plus tard, en janvier 2002, le Boston Globe publiait une enquête retentissante sur l’archevêque de Boston, le cardinal Bernard Law (1931-2017). Informés de plaintes restées sans réponse à l’égard d’un prêtre encore en activité, le père John Geoghan (1935-2003) (11), les journalistes découvrirent que ce dernier avait abusé de plus de 130 enfants sans jamais avoir été inquiété.
Pire encore : il n’était pas le seul pédocriminel protégé par la loi du silence sous l’épiscopat Law. 87 prêtres furent ainsi mis en cause, à la suite de 500 plaintes. Le diocèse fut condamné à reverser près de cent millions de dollars de dédommagement aux victimes. Le scandale atteint aussi l’archidiocèse de Los Angeles, où le cardinal Roger Mahony fut reconnu coupable de négligence à l’égard de 122 prêtres pédocriminels. Ce sont finalement 260 prêtres et trois évêques dans 29 diocèses qui furent condamnés.
Mais les scandales reprirent en 2018, avec la mise en cause du cardinal Theodore McCarrick, archevêque de Washington (12). Accusé de viol sur mineur, mais aussi d’abus sexuels sur majeurs (des séminaristes et des prêtres), il fut réduit à l’état laïc en février 2019. Hélas, son successeur lui-même, le cardinal Donald Wuerl fut accusé d’avoir couvert les agissements de 32 prêtres pédocriminels entre 1988 et 2006 en Pennsylvanie, où l’on découvrit que plus de 300 prêtres avaient fait près de 1000 victimes depuis les années 1950. Si la majorité des abus furent commis dans le pays avant les années 1990, 300 plaintes ont été recueillies entre 2004 et 2017. À ce jour, les compensations financières versées aux victimes s’élèvent à 3 milliards de dollars.

Quel avenir ?
À l’échelle de la petite Église française, l’Église américaine fait figure de continent, et les approches macroscopiques peineront toujours à en dépeindre fidèlement le visage. Certes affaiblie par ses dissensions durant la période postconciliaire et par l’indigne trahison de certains de ses clercs, elle fait cependant preuve d’une remarquable résilience. Son dynamisme fait l’admiration de bien des chrétiens et ses universités attirent la fine fleur des étudiants et des professeurs du monde catholique. Les théologiens et les intellectuels américains rencontrent un écho très favorable en Europe, et chaque sensibilité y trouve ses pairs et des publications « amies » d’une grande qualité.
Une nouvelle école antilibérale gagne ainsi à être connue : elle est incarnée notamment par William Cavanaugh à Chicago ou encore par Patrick Deneen et Brad Gregory à l’université Notre-Dame. Ces derniers ont repris le flambeau d’une tradition aristotélico-thomiste qui dépasse très largement le clivage conservateurs/progressistes et qui propose un paradigme convainquant pour vivre chrétiennement dans notre monde postmonderne. Étienne Gilson écrivait en 1926 à son ami Henri Gouhier : « La civilisation occidentale sera dans une large mesure ce qu’elle va devenir aux États-Unis. » Nul doute qu’aujourd’hui encore une partie de notre avenir s’écrit en Amérique.

Yrieix Denis

(1) En 2012, sainte Kateri Tekakwitha (1656-1680) a été la première autochtone canonisée.
(2) Sauf contre-indication, nos statistiques sont tirées des études du Pew Research Forum réalisées entre 2014 et 2019.
(3) C. Froidevaux, « L’échec d’un catholicisme dans le siècle », Revue française de science politique, 1999.
(4) Deux récits s’opposent dans l’imaginaire américain : la tradition républicaine et le mythe puritain (voir D. Lacorne, De la religion en Amérique, Gallimard, 2007).
(5) M.-C. Ray, Les catholiques aux États-Unis, Cerf, 1996.
(6) Daniel-Rops, L’Église des révolutions, Fayard, 1962.
(7) Florian Michel, Étienne Gilson, une biographie intellectuelle et politique, Vrin, 2018.
(8) B. Chélini-Pont, La droite catholique aux États-Unis, PUR, 2013.
(9) Chester Gillis, Roman Catholicism in America, Columbia, 2020.
(10) Le philosophe Michael Novak (1933-2017) et le théologien George Weigel aujourd’hui sont deux figures influentes d’un courant catholique libéral-conservateur marqué par son opposition au pape François, notamment en matière économique.
(11) Condamné et emprisonné, il meurt assassiné par son compagnon de cellule, Joseph Druce, un criminel ouvertement sataniste.
(12) Scandale amplifié en août 2018 par les révélations de Mgr Vigano, nonce apostolique à Washington entre 2011 à 2016 (cf. La Nef n°307 d’octobre 2018, p. 6-8).

Mgr Fulton John Sheen (1895-1979)

Premier télévangéliste de l’histoire, le Père Sheen a été ordonné prêtre en 1919. Agrégé de philosophie, il est lauréat du prix international de philosophie Cardinal Mercier en 1923 qui récompense sa thèse de doctorat : « L’esprit de la philosophie contemporaine et le Dieu fini ». Auteur de 73 ouvrages, il se fait connaître du grand public avec l’émission de radio qu’il tient sur la NBC à partir de 1930, The Catholic Hour, et qui touche des millions d’auditeurs. À partir de 1951, il est consacré archevêque-auxiliaire à New York avant d’être nommé évêque de Rochester (1966) et archevêque de Newport (1969).
En 1952, il lance une émission de télévision hebdomadaire sur le réseau de télévision DuMont, intitulée Life Is Worth Living (« La vie vaut la peine d’être vécue »). La même année, Time lui consacre sa Une. Son émission touchera jusqu’à 30 millions de téléspectateurs et lui vaudra un Emmy Awards. Lors de son discours, il remercia « ses quatre auteurs : Matthieu, Marc, Luc et Jean ». Mgr Fulton Sheen a contribué de façon déterminante à la conversion d’un grand nombre de ses contemporains, notamment l’écrivain Heywood Broun (1888-1939), la politicienne Clare Boothe Luce (1903-1987), le constructeur automobile Henry Ford II (1917-1987), l’écrivain communiste Louis F. Budenz (1891-1972) et la syndicaliste communiste Bella Dodd (1904-1969), le compositeur Fritz Kreisler (1875-1962) et l’actrice Virginia Mayo (1920-2005). Sa cause en béatification est en cours.

Y.D.

Dorothy Day (1897-1980)

Le pape François, lors de son discours devant le Congrès américain en 2015, loua chez Dorothy Day « son activisme social, sa passion pour la justice et pour la cause des opprimés », « inspirés par l’Évangile, par sa foi et par l’exemple des saints ». Née dans une famille de journalistes, Dorothy fréquente les milieux de gauche, notamment la frange radicale qui habite Greenwich Village, le bastion de la culture bohème des années 1920. Elle y côtoie le militant communiste John Reed (1887-1920) ou encore l’écrivain John Dos Passos (1896-1970).
Idéaliste et révolutionnaire, la jeune femme voit cependant sa vie personnelle prendre un tournant chaotique. À trente ans, elle est profondément blessée par un avortement et un divorce. Mais en 1926, elle se convertit au catholicisme après avoir baptisé la fille qu’elle a eue avec un second compagnon, athée. Peu après, elle rencontre Pierre Maurin (1877-1949), paysan et intellectuel français qui lui fait découvrir la pensée personnaliste d’Emmanuel Mounier (1905-1950) et de Jacques Maritain (1882-1973). Ensemble, en 1933, alors que la Grande Dépression jette des millions de familles dans la misère, ils fondent le mouvement des Catholic Worker. L’association propose des maisons d’accueil aux sans-abris et des soupes-populaires. Toujours inclassable et d’une totale fidélité au Magistère, Dorothy Day s’engagera activement dans le mouvement pacifiste, le combat contre la ségrégation raciale, la défense des fermiers mexicains mais aussi aux côtés des premiers écologistes… En ayant toujours à cœur de « mettre la charité en pratique ». Sa cause en béatification a été ouverte en 2000 par le pape Jean-Paul II.

Y.D.

Mère Angelica (1923-2016)

Elle avait accordé un long entretien à La Nef en 2002 (n°123). Fondatrice d’une chaîne de télévision catholique, EWTN, cette religieuse fervente et pleine d’humour, douée d’une force de caractère à toute épreuve, a touché, avec sa chaîne et son émission personnelle plus de 65 millions de téléspectateurs à travers le monde. Fille d’immigrés Italiens, elle est née dans un milieu modeste et a été élevée par sa mère après le divorce de ses parents.
Souffrant à vingt ans d’une pathologie grave à l’estomac, elle fait une neuvaine à sainte Thérèse de Lisieux et obtient une guérison miraculeuse. Elle entre peu après chez les Clarisses et fonde, à 23 ans, un monastère dans l’Ohio. Puis un autre, en 1962, en Alabama. Elle donne des conférences spirituelles qui rencontrent un franc succès avant de fonder en 1981 sa chaîne EWTN. « Les parts de marché ne nous intéressent pas, déclarait-elle dans La Nef, seulement les âmes. » Trois jours après sa mort, le dimanche de Pâques 2016, le pape François s’est adressé aux responsables de son équipe à Rome, leur assurant que « Mother Angelica [était] au ciel ».

Y.D.

© LA NEF n°324-325 Avril-Mai 2020, mis en ligne le 31/07/2020