Mission Ismérie, créée en juin dernier, a pour but d’accompagner le chemin de conversion « de l’islam au Christ ». Son directeur exécutif, Marc Fromager, ancien directeur de l’AED, nous présente cette nouvelle association.
La Nef – Qu’est-ce que Mission Ismérie, qui sont ses fondateurs et pourquoi « Ismérie » ?
Marc Fromager – Ismérie était la fille du sultan au Caire à la fin du XIe siècle. Trois chevaliers francs avaient été faits prisonniers et sommés de se convertir à l’islam. Devant leur refus persistant, le sultan envoya sa fille pour les séduire. Les chevaliers lui parlèrent de la Vierge Marie qui, dans la nuit, apparut à Ismérie. Convertie au christianisme, celle-ci s’enfuit avec les chevaliers et se retrouva en France où elle fut à l’origine du sanctuaire de Notre-Dame de Liesse, près de Laon.
Nous avons choisi ce personnage historique de musulmane convertie au christianisme car c’est l’objectif de Mission Ismérie : favoriser et accompagner le passage de l’islam au Christ. Au départ, il y a plusieurs initiatives existantes en France comme Mission Angélus, les Forums Jésus le Messie, des témoins du Christ sur internet. Mission Ismérie se veut une plateforme qui regroupe ces différents projets avec la volonté affichée de leur permettre de changer d’échelle grâce à des moyens financiers plus importants. Des laïcs se sont donc réunis pour lancer ce projet, avec l’encouragement discret mais réel de quelques autorités ecclésiastiques.
On parle très peu de la conversion des musulmans au christianisme, en France ou ailleurs : est-ce vraiment une réalité significative et quels sont les pays les plus concernés ?
Ce phénomène de conversions existe un peu partout dans le monde et ce dans des proportions parfois étonnantes. Il faut savoir que même au cœur du Proche-Orient, région qu’on pourrait imaginer définitivement acquise à l’islam, des conversions en nombre sont en train de se produire. Il faudrait évoquer par exemple l’Iran, où on estime leur nombre à plus de 800 000, mais aussi l’ensemble des pays à majorité musulmane, de l’Afrique du Nord – notamment l’Algérie avec de très nombreuses conversions chez les Kabyles – jusqu’à l’Indonésie, le plus grand pays musulman au monde, où l’on compte jusqu’à 6 millions de convertis.
En France aussi, nous avons ce phénomène, et l’on compte déjà 10 % des baptêmes d’adultes dans l’Église catholique qui sont des personnes d’origine musulmane. Chez les protestants, c’est plus du double.
Comment expliquer de telles conversions, alors que l’Église, du moins en France, semble peu préoccupée de l’évangélisation des musulmans ?
Il est vrai que l’Église catholique de manière générale a adopté un profil plus discret ces dernières années quant à la nécessité de la mission, et ce de manière encore plus évidente vis-à-vis des musulmans. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit inactive dans ce domaine et il est vrai qu’une certaine discrétion peut parfois s’avérer plus productive qu’une annonce trop bruyante.
Cela étant, force est de constater tout de même une certaine frilosité générale dès qu’il s’agit d’évoquer l’islam, voire parfois un refus net d’imaginer même leur apporter quelque chose de plus en leur annonçant le Christ. Et pourtant, ces conversions ont lieu ! Il faut croire que le Christ a trouvé d’autres moyens pour toucher le cœur des musulmans.
Ce que nous constatons, c’est que beaucoup de musulmans aujourd’hui se posent des questions sur leur religion. Certains deviennent athées et cela prend des proportions importantes chez les jeunes des pays à majorité musulmane, d’autres s’intéressent au christianisme et se laissent toucher par le Christ. Internet joue un rôle important, à la fois dans la prise de distance par rapport à l’islam, mais aussi dans la découverte du christianisme.
Enfin, il semble que le Christ prenne particulièrement soin de ces personnes, ou alors est-ce parce que les musulmans pour beaucoup ont conservé une sensibilité spirituelle qui leur permet de l’entendre ? Je connais personnellement plusieurs musulmans convertis qui ont vécu une expérience spirituelle forte (visions ou locutions intérieures du Christ ou de la Vierge Marie). Cela ne nous dispense pas de participer à la mission mais c’est tout de même réconfortant de se dire qu’après tout, c’est le Christ lui-même qui s’en occupe.
Quels sont les moyens que vous souhaitez mettre en œuvre et avec qui ?
D’abord, nous voulons répondre à un besoin. Je l’ai dit, des musulmans cheminent aujourd’hui vers le Christ et nous devons les accompagner sur ce chemin. Quitter l’islam n’est pas facile, l’apostasie est interdite et théoriquement punie de mort. De manière quasiment systématique, cela se traduit de toute manière par une séparation douloureuse avec leur famille et leurs relations sociales.
Nous ne souhaitons mettre personne dans l’embarras mais si ces personnes qui ont découvert le Christ et veulent cheminer avec lui sont prêtes à beaucoup de sacrifices, la moindre des choses de notre part serait tout de même de les aider et de les accueillir. Le lieu évident pour cet accueil devrait être la paroisse et nous voulons ainsi constituer un réseau de personnes sensibilisées et préparées à leur accueil un peu partout en France.
Nous voulons également former très largement sur la réalité de l’islam en clarifiant ce que cette religion dit d’elle-même et les répercussions pratiques qu’elle entraîne sur les niveaux sociopolitiques, l’islam recouvrant toutes ces dimensions. Enfin, nous voulons participer à l’annonce explicite du Christ, en particulier à destination des musulmans, car nous ne voyons pas de quel droit nous les empêcherions de découvrir ce trésor qui est au cœur de nos vies.
La grande difficulté pour tout musulman qui se convertit est l’hostilité de sa communauté d’origine : que faire contre cet obstacle qui est aussi une véritable atteinte à la liberté religieuse ?
On peut agir à deux niveaux, d’une part en développant la compréhension de ce qu’est la liberté religieuse – une approche plus intellectuelle – et d’autre part en aidant concrètement ces personnes qui, en effet, peuvent se retrouver provisoirement dans des situations compliquées. Nous travaillons à mettre en place un réseau de lieux d’accueil discrets (familles, paroisses, communautés religieuses) pour assurer cet accompagnement.
Que pensez-vous de la façon dont les chrétiens perçoivent habituellement l’islam et, d’une façon plus générale, de la façon dont les médias traitent de ce sujet ?
D’une manière générale, il est difficile de ne pas constater une forme d’omerta totale sur la question de l’islam. Les médias semblent vouloir à tout prix évacuer le sujet et on peut imaginer qu’ils ont sans doute reçu des consignes politiques pour le faire, par peur de l’amalgame ou de la stigmatisation. Pourquoi pas, sauf qu’à force d’occulter le sujet, on laisse libre cours à toutes sortes de frustrations et de tensions qui n’augurent rien de bon.
Les chrétiens ne semblent pas se comporter différemment, réserve faite de cette partie d’entre eux qui défendent coûte que coûte le dialogue. En soi, c’est tout à leur honneur mais si le dialogue, qui peut être un espace de rencontre avec la possibilité de témoigner de notre foi et donc du Christ, devient une espèce de soumission béate à l’autre, drapé de toutes les vertus simplement en tant qu’il est autre, on peut sans doute s’interroger sur la réalité même du dialogue.
Bref, on est face à une sorte de tabou collectif et la moindre interrogation ou même évocation de l’islam semble être immédiatement suspecte d’islamophobie, ce qui clôt aussitôt le débat. On est déjà dans une forme de soumission.
Les musulmans sont nombreux en France et représentent une population ouverte à la transcendance et donc plutôt réfractaire au matérialisme ambiant : sont-ils de ce fait une « cible » plus facile pour l’évangélisation ? L’Église ne devrait-elle pas avoir une pastorale spécifique pour l’évangélisation des musulmans ?
C’est bien ce qui nous semble et c’est la raison d’être de Mission Ismérie. Cette ouverture à la transcendance que beaucoup d’entre eux conservent offre un espace d’interrogation qui est une véritable opportunité pour l’annonce du Christ. Après, libre à chacun de suivre son chemin mais encore une fois, ce mouvement de conversions existe et il nous semble important de l’accompagner. Ce n’est pas Mission Ismérie qui va convertir les musulmans mais bien le Christ. Nous voulons simplement être le serviteur inutile pour prendre part à ce signe des temps qui nous paraît être une très bonne nouvelle.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
Mission Ismérie :
– www.mission-ismerie.com
– marc.fromager@ mission-ismérie. com
– 07 85 89 34 87.
© LA NEF n°328 Septembre 2020