Pour surmonter la crise de l’éducation (1). Surmonter. Non pas se lamenter. En avoir assez de perdre et prendre les moyens pour gagner. Surmonter la crise en allant au fond des choses et en changeant ce qui doit l’être : les principes et les concepts dominants. Car il faut transformer le monde de l’intérieur (2). « De l’intérieur » veut dire depuis le cœur mais aussi depuis l’intelligence et la raison. Dans son Introduction à la stratégie (3), André Beaufre rappelait le principe tactique : « Qui tient les hauts tient les bas. » Cela ne s’applique pas qu’aux collines entourant une cuvette, mais surtout aux idées qui structurent la vision du monde et donc le terrain humain concret du débat. Quand la lutte se déroule sur un terrain structuré par de faux concepts, une bonne cause est pratiquement toujours vouée à succomber, quelle que soit la valeur de ses partisans.
Défendre la loi naturelle
Exemple. Dans tous les débats bioéthiques, les défenseurs de la vie ont accepté de faire leur deuil des notions de nature et de loi naturelle. Il paraît que « ça ne passe pas » et qu’il faut écouter les grands « conseillers en communication ». Sottise stratégique de première grandeur. À quoi sert, je vous le demande, cette « bonne com », qui fait perdre bataille après bataille ? Ainsi les adversaires de Napoléon livraient-ils et perdaient, sur des terrains « napoléoniens », dans une logique « napoléonienne », la vingtième, la soixantième, la quatre-vingtième bataille « à la Napoléon », absurdement. Jusqu’à ce que Koutouzov en Russie, puis Wellington à Waterloo arrêtent les frais et changent de stratégie. Faisons de même. Nous voulons survivre et revivre, nous, nos enfants, la civilisation ? Et retourner le cours de l’histoire ? Alors, retrouvons de façon neuve et décisivement convaincante la notion de nature. Conquérons aussi et réformons la notion d’autonomie. Ce sont les deux conditions pour de nouveau habiter notre nature (4) et mettre fin à la dérive antihumaniste de l’écologie. Voici comment tenir ces « hauts » qui tiennent les « bas » : ne plus se laisser « bouffer » par la philosophie moderne ou postmoderne, ni par une vulgarisation scientifique positiviste. Ne plus se réfugier dans l’anti-intellectualisme, le sentimental, l’affectif. Ou dans l’autorité, la tradition, la réaction. Ou se contenter de références classiques insuffisamment mises à jour.
Se battre, c’est encore dialoguer. Gagner, c’est emporter la décision, non extérieure, mais dans la liberté et la raison de l’autre, qui reste toujours notre semblable, notre frère. Sur le terrain actuel, structuré et imposé par les démolisseurs de la famille et de la vie, ce sont eux les plus logiques, mieux, les seuls logiques. À eux donc appartiennent l’initiative, le dynamisme, le mouvement, par suite l’énergie. Et dans le fond de nous-mêmes, nous le savons, même si ça nous désole. Et ils gagnent. Forcément. Et ils gagneront toujours, jusqu’à ce que la formation des décideurs (5) permette de changer de terrain. Restructurer le terrain, c’est reprendre l’initiative intellectuelle et regagner la légitimité de raison. Se réapproprier la force de la liberté.
La culture folle de ce monde qui nous rend fous (6), possède une pierre d’angle et une clé de voûte. La pierre d’angle, c’est le « doute » soi-disant méthodique, censé définir la « raison ». La clé de voûte, c’est la « liberté » d’autonomie radicale. Le « doute », c’est le pouvoir humain de questionnement rétréci entre les œillères de la méfiance et de la peur atavique. Il s’agit donc de les ôter et de rouvrir le « doute » ou les « soupçons » dans le « questionnement », où l’Homme se sait esprit vers la Vérité absolue. La liberté d’autonomie radicale inclut en elle le premier principe de la guerre : « conserver sa liberté d’action ». Il s’agit donc de remplacer cette autonomie par la philia, qui englobe une liberté bonne, pacifique. La philia, c’est l’amitié sociale. Celle-ci, comprise avec son fond de vie et de famille, s’appelle fraternité. Tel est le sens de ma « petite philosophie ».
Henri Hude
(1) Henri Hude, Pour surmonter la crise de l’éducation, Mame, 2020, 250 pages, 22 €.
(2) Mariano Fazio, Transformer le monde de l’intérieur, Boleine, 2020.
(3) André Beaufre, Introduction à la stratégie, Fayard, 2012.
(4) Cf. Henri Hude, Habiter notre nature. Écologie et humanisme, Mame, 2018.
(5) Cf. Henri Hude, La formation des décideurs. Méditations sur un humanisme qui vient, Mame, 2018.
(6) Cf. Henri Hude, Ce monde qui nous rend fous. Réflexion philosophique sur la santé mentale, Mame, 2019.
Henri Hude, normalien, agrégé de philosophie, a été professeur des universités en philosophie et a fondé le centre « Éthique et environnement juridique » aux écoles militaires de Saint-Cyr-Coëtquidan. Il vient de publier Pour surmonter la crise de l’éducation (Mame) qui sera présenté le mois prochain.
© LA NEF n°330 Novembre 2020