Séparatisme et islamisme

L’abject assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, montre l’urgence de fortes mesures contre l’islamisme. Le projet de loi d’Emmanuel Macron contre le « séparatisme » apparaît bien insuffisant.

L’assassinat de Samuel Paty, décapité le 16 octobre non loin du collège où il enseignait à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) par un musulman d’origine tchéchène âgé de 18 ans, pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, non pour les approuver mais pour illustrer un cours sur la liberté d’expression, s’est produit peu après le discours sur le « séparatisme islamiste » prononcé par le chef de l’État aux Mureaux, dans le même département. Il n’aura donc fallu qu’un court délai pour qu’Emmanuel Macron se trouve spectaculairement confronté à une réalité douloureuse et inquiétante à laquelle il affirmait vouloir remédier. La solution, disait-il, consiste à susciter un « réveil républicain » au moyen d’un arsenal législatif « très ambitieux » en cours d’élaboration.
L’une des mesures envisagées est l’obligation de scolariser tous les enfants à partir de l’âge de trois ans et d’exercer un contrôle accru sur les établissements hors contrat, réforme qui ne serait donc pas limitée aux musulmans. Or, le tout récent rapport rédigé par Jean-Pierre Obin à l’intention du ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, fait ressortir le développement des idées et comportements islamistes au sein de l’enseignement public, ainsi que la passivité de l’administration. Incapable de soutenir les professeurs soumis au chantage des parents de leurs élèves, elle les pousse à pratiquer l’autocensure, comme cela a été révélé après le drame de Conflans. Pour l’ancien inspecteur général de l’Éducation nationale, « c’est donc là qu’il faut agir en priorité » (1).
Le projet Macron prévoit aussi des dispositions destinées à en finir avec l’ambiguïté relative au statut actuel des associations musulmanes. Nombre d’entre elles dissimulent des programmes cultuels ou d’endoctrinement religieux sous couvert d’activités profanes. Or, elles sont inscrites sous le registre de la loi de 1901, ce qui les autorise à percevoir des subventions de l’État. Il s’agirait donc de leur imposer « un contrat de respect des valeurs de la République » et de les inciter à passer sous la loi de 1905, ce qui leur permettrait d’échapper à la dépendance financière envers des États et organismes étrangers et de se prémunir d’idéologies importées.
Enfin, pour le président la réorganisation du culte musulman est indispensable. Il convient donc d’assurer la formation et la certification des imams selon des critères hexagonaux permettant l’émergence d’« un islam des Lumières dans notre pays, un islam en paix avec la République ». Et ceci est d’autant plus nécessaire, a-t-il précisé, que « l’islam est une religion qui vit une crise aujourd’hui, partout dans le monde ». À l’en croire, la République française serait donc appelée à sauver l’islam ! Humiliées par les propos de Macron, diverses voix musulmanes ont exprimé leur mécontentement. Ainsi, au Caire, l’institution d’El-Azhar, plus haute autorité morale de l’islam sunnite, les a qualifiés de « racistes » (2), tandis qu’à Ankara, le président turc, Recep-Tayyip Erdogan, a considéré que « parler de structurer l’islam relève de l’abus de pouvoir et de l’impertinence pour un chef d’État français » (3).
En France, dans une lettre ouverte publiée le 8 octobre, des responsables de mosquées et de mouvements de diverses tendances ont également protesté contre « la stigmatisation » et « la présomption de culpabilité à l’égard des musulmans » (4). Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Mohamed Moussaoui, a soutenu l’intégration de l’islam à la République, arguant que l’un et l’autre sont enracinés « dans les mêmes valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité » (5).
Cette position serait rassurante si le CFCM pouvait prétendre représenter tous les courants de l’islam en France et donc avoir autorité sur eux. Mais ce n’est pas le cas. Que faire, par exemple, du salafisme, ce « totalitarisme à essence religieuse » comme le définit Éric Delbecque, expert en sécurité intérieure, auteur d’un livre sur le sujet (6) ? Cette idéologie, explique-t-il, est, dans son essence, un fondamentalisme réactionnaire, dont le but, au sens propre, consiste à revenir en arrière pour corriger tout ce qui, à travers les siècles, est censé avoir altéré l’islam. Autrement dit, pour ses partisans, « la nouveauté constitue le mal absolu » (7). Or, le salafisme séduit un nombre croissant de musulmans dans l’une ou l’autre de ses formes (quiétiste, politique, djihadiste).
L’auteur observe avec regret chez les élites françaises, surtout de gauche, « le refus obstiné d’admettre intellectuellement la croyance religieuse comme une “causalité spécifique”, et donc comme une puissance politique ». C’est ainsi qu’on en vient à séparer l’islamisme de l’islam (8). Il n’en défend pas moins « l’impératif de la laïcité » pour protéger la République de « la tentation théologico-politique » (9). Mais ne s’agit-il pas plutôt d’une idéologie laïciste, vouée à placer la République au-dessus des religions comme le répète Macron, et donc à bafouer la loi naturelle ? Comment croire que seules des mesures contraignantes, dont la mise en œuvre est en outre gênée par les innombrables entraves juridiques propres au droit français et européen, suffiront à tarir l’attrait pour l’islamisme par des musulmans qui assistent à l’apostasie et au déclin moral de la France ?

Annie Laurent

(1) Le Figaro, 13 octobre 2020.
(2) RFI, 5 octobre 2020.
(3) Le Monde, 12 octobre 2020.
(4) La Croix, 14 octobre 2020.
(5) Le Monde, 9 octobre 2020.
(6) Les Silencieux, Plon, 2020, 366 pages, 21 €.
(7) Ibid., p. 28-29.
(8) Ibid., p. 78-79.
(9) Ibid., p. 319.

© LA NEF n°330 Novembre 2020