Pape François © Casa Rosada-Commons.wikimedia.org

Françoisphobie

Yves Chiron, historien de l’Église à l’œuvre abondante, est bien connu des lecteurs de La Nef dont il est un fidèle collaborateur. Il nous parle de son dernier livre.

La Nef – Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans un livre en défense du pape François, est-il à ce point attaqué ?
Yves Chiron
– Ce livre n’est pas un panégyrique du pape François mais un plaidoyer. Je ne cherche pas à montrer que ce pape est infaillible dans tout ce qu’il dit, lui-même reconnaît que la critique à son égard est légitime. Mais encore faut-il que cette critique ne déforme pas les propos ou les textes, ou qu’elle en cite certains et oublie, volontairement ou non, les autres.

Comment expliquer que le pape François cristallise des positions aussi tranchées – les fractures dans l’Église apparaissent plus grandes aujourd’hui que sous son prédécesseur –, aussi bien chez ses soutiens que chez ses contradicteurs ? Et pourquoi ce pape populaire dans les grands médias rencontre-t-il autant d’oppositions au sein même de l’Église ?
Le pape n’est approuvé et loué par les médias que lorsque ses propos semblent s’accorder avec l’idéologie dominante, mais dès qu’il s’en écarte il n’a plus ce soutien médiatique. Inversement ses opposants au sein de l’Église ne voient plus, n’entendent plus, ne relaient plus la parole pontificale lorsqu’elle exprime ou rappelle des positions traditionnelles.
Par ailleurs, grâce à internet, la parole pontificale est désormais diffusée instantanément dans le monde entier et va être commentée non seulement par les médias traditionnels, mais par quiconque possède un compte Tweeter ou Facebook et par une multitude de sites et de blogs catholiques.

Le fait que la parole papale se soit multipliée (aucun pape n’avait donné autant d’interviews) sur les sujets les plus divers, n’explique-t-il pas les incompréhensions qu’il suscite souvent, obligeant Rome à des mises au point fréquentes, et cela ne rabaisse-t-il pas l’autorité de la parole papale ?
Oui, il y a une inflation de la parole pontificale, mais elle n’est pas nouvelle et va crescendo. Cela a commencé par Pie IX, pour des raisons historiques. Le pape François aime les interventions hors-magistère si l’on peut dire : aucun pape avant lui n’a accordé autant d’interviews à la presse et aux télévisions, aucun n’a publié autant de livres d’entretien (quasiment un tous les six mois), chaque voyage pontifical est l’occasion, dans l’avion du retour, d’un entretien quasiment improvisé avec les journalistes. Cette parole pontificale démultipliée est, par la nature des choses, dévalorisée. Aux yeux des médias, comme aux yeux de beaucoup de fidèles, une réponse improvisée du pape prend autant d’importance qu’un enseignement proprement magistériel.

En lisant votre livre, on retient que les opposants au pape sont finalement plus ou moins toujours les mêmes et sont, quant à leurs têtes, peu nombreux : qui sont-ils, d’où viennent-ils, que reprochent-ils principalement au pape ?
J’ai inventé les néologismes Françoisphobie et François bashing pour désigner des attitudes récurrentes, qui ont commencé presque dès le début du pontificat. Elles ne sont pas équivalentes. La « Françoisphobie » ce n’est pas la détestation du pape François mais, étymologiquement, la peur du pape François. On redoute ce qu’il va dire puis on a un regard suspicieux sur ce qu’il dit. Et ce sentiment peut verser dans le François bashing, c’est-à-dire la critique ou le rejet systématique de tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait.
Ceci dit, toute critique du pape François ne relève pas de l’une ou l’autre de ces attitudes. Je ne confonds pas Mgr Schneider et le cardinal Burke qui, de façon récurrente, expriment leurs doutes et leurs désaccords, et font d’utiles rappels doctrinaux, avec Mgr Vigano aveuglé par sa détestation de celui qu’il n’appelle déjà plus « le pape » mais Bergoglio. Je ne confonds pas les « Notes » que des théologiens solides ont diffusées discrètement avec l’acharnement systématique et de faible niveau d’un Roberto de Mattei et de ses relais de la TFP en Europe et aux États-Unis.

Des nombreuses affaires que vous présentez, y en a-t-il une qui vous semble particulièrement caractéristique des méthodes employées contre François ?
Certains affirment que le pape est en rupture avec l’enseignement de ses prédécesseurs sur les questions morales et sociétales. Un site catholique italien a dénoncé l’introduction de la théorie du « genre » (gender) dans les nouveaux statuts de l’Académie pontificale pour la vie. C’était, bien sûr, une grossière erreur de compréhension. Sur toutes les questions de morale, y compris l’homosexualité, le pape François est dans la continuité de l’enseignement de l’Église. Il parle de « valeurs inaliénables » là où Benoît XVI parlait de « valeurs non négociables », mais il veut mettre en œuvre une « pastorale missionnaire » plutôt que des rappels doctrinaux.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Yves Chiron, Françoisphobie, Cerf, 2020, 346 pages, 20 €.

© LA NEF n°331 Décembre 2020