Livres Novembre 2020

Idées de cadeaux de Noël : offrez un livre !

Gloire et misère de l’image après Jésus-Christ, de Olivier Rey, Éditions Conférence, 2020, 312 pages, 25 €.
C’est un livre original et passionnant que nous offre là Olivier Rey qui s’interroge sur la place envahissante des images dans notre société moderne. Il le fait en parcourant l’histoire de l’Occident et en montrant la place que le christianisme a donnée à l’image. Si celui-ci a promu l’image, c’est en tant qu’elle sert la prédication évangélique. Si la prolifération de l’image, aujourd’hui, n’a rien de chrétien, cette prolifération n’a été possible que grâce au statut que le christianisme a conféré à l’image. Très éclairant pour comprendre la situation actuelle. Ajoutons que ce livre très pédagogique et magnifiquement mis en page est agrémenté de nombreuses… images.

Une histoire inédite de la France en 100 cartes, de Jean Sévillia, Perrin, 2020, 240 pages, 27 €.
La géographie est indispensable à la compréhension de l’histoire et une carte est souvent plus parlante qu’une explication. Fort de cette vérité, Jean Sévillia présente ici 100 cartes qui retracent l’histoire de France des origines à nos jours. Ces belles cartes sont toutefois complétées par les indispensables commentaires de l’auteur qui permettent leur compréhension.

La Grande Chartreuse, par un chartreux, Éditions Sainte-Madeleine, rééd. 2020, 330 pages, 19 €.
Dix-neuvième édition de ce grand classique de… 1881 (revue et augmentée depuis) ! Ce beau livre, cependant, agrémenté de nombreuses photos, n’a pas pris une ride et demeure un classique incontournable pour découvrir et comprendre le monde secret de la Grande Chartreuse.

Nouvelles recettes de bonheur. 71 actions d’écologie humaine, de Tugdual Derville, Éditions Emmanuel, 2020, 160 pages, 16 €.
Dans les temps moroses que nous vivons, voici un livre sympathique qui vient à point nommé. Il fait suite aux 67 recettes de bonheur et propose ici des recettes inédites basées sur l’introspection, la réflexion et l’action. Avec toute la finesse que nous connaissons au délégué général d’Alliance VITA.

Le manteau de saint Martin. Série « Les disciples invisibles », de Cyril Lepeigneux, Mame, 2020, 138 pages, 10,90 €.
Ce nouvel opus de cette série pour jeunes lecteurs, dès 9 ans, transporte les quatre héros (François, Louis, Jeanne et Bushmills) au gouffre de Proumeyssac, la cathédrale de cristal de la Dordogne où ils se trouvent projetés à l’époque de saint Martin de Tours ! Aventure et suspens au rendez-vous.

Les quatre filles du docteur March, de Louisa May Alcott, Gallmeister, 2020, 640 pages, 13 €.
Tout le monde connaît ce célèbre classique de la littérature américaine, en a vu une adaptation au cinéma, mais qui l’a lu ? Voici pour un petit prix une nouvelle traduction de haute qualité et une belle édition pour découvrir ce chef-d’œuvre indémodable.

Dictionnaire des apparitions de la Vierge Marie, de Joachim Bouflet, Cerf, 2020, 968 pages, 29 €.
Travail monumental que ce Dictionnaire qui recense les apparitions de Marie dans l’histoire et dans le monde, avec une attention particulière pour la France.

Édouard Detaille. Un siècle de gloire militaire, de François Robichon, L’Artilleur, 2020, 150 pages, 39,90 €.
Édouard Detaille (1848-1912) a été le peintre de l’armée des quarante premières années de la IIIe République. Cet album présente un vaste panorama de son œuvre.

Atlas géopolitique mondial. Édition 2021, sous la direction d’Alexis Bautzmann, Le Rocher, 2020, 192 pages, 22,50 €.
Richement illustré, très clair, cet atlas permet de mieux comprendre les événements marquants qui touchent la planète.

L’étoile de bethléem. Orgue & chant grégorien, par Florence Rousseau et le chœur des moines de l’abbaye Sainte-Anne de Kergonan, dir. Jaan Eik Tulve, Art & Musique, 2020, 76 mn, 20 €.
Un beau CD de Noël à se procurer sur www.kergonan.org

Sélection de bandes dessinées que nous recommandons :

Thérèse de Lisieux, de Dupuy, Perconti, Rizzato, Artège, 2020, 48 pages, 14,90 €.

Louis et Zélie Martin, de M. & O. Malcurat et M. Greselin, Artège, 2020, 52 pages, 14,90 €.

Le Sacré-Cœur de Montmartre, de Vivier et Cerisier, Artège, 2020, 52 pages, 14,90 €.

Christophe Geffroy & Patrick Kervinec

LES PRÊTRES. DON DU CHRIST POUR L’HUMANITÉ
DON PAUL PRÉAUX
Artège, 2020, 242 pages, 18,90 €

Désaffection de l’assistance à la messe, chute des baptêmes, des mariages religieux et des vocations, sécularisation des clercs, revendications féministes, scandales sexuels, marginalisation de l’Église par les pouvoirs publics, tout cela alimente le discrédit croissant dont souffre aujourd’hui le catholicisme, surtout en Occident, engendrant en particulier la perte de confiance dans la pertinence du sacerdoce.

Pourtant, à la Communauté Saint-Martin, il n’est pas question de défaitisme. « Certes, nous traversons ecclésialement un temps d’épreuve, nous le savons tous. Mais nous ne nous laissons pas apeurer par les tempêtes médiatiques. Nous ne nous laissons pas voler notre espérance par des annonces fracassantes. Les annonciations divines sont discrètes et fécondes », assure Don Paul Préaux, son actuel modérateur général. Grandie dans « l’enfouissement », près de Gênes où elle fut accueillie en 1976 avec son fondateur, l’abbé Guérin, revenue en France dès 1983, reconnue de droit pontifical en 2000, cette institution séculière se veut au service des diocèses. Une centaine de séminaristes se préparent aujourd’hui au sacerdoce dans sa maison-mère, située à Évron (diocèse de Laval). Ils rejoindront les 120 prêtres et diacres qui servent dans 33 diocèses, dont plusieurs à l’étranger.

Pour Don Paul Préaux, l’essor de la Communauté repose sur une approche lucide et responsable de la situation actuelle. Il faut éviter la « mélancolie paralysante » ou la « culpabilité mortifère ». Cela passe par le soin apporté au discernement des vocations qui se présentent et par la redécouverte de l’identité du sacerdoce dans ses dimensions spirituelles et humaines, au demeurant inséparables. Des convictions qui ressortent de cet ouvrage habité par le réalisme, l’humilité et la confiance.

L’enracinement est au cœur du projet de la Communauté, explique l’auteur dans une démarche très pédagogique appuyée sur la Sainte Écriture, la Tradition et le Magistère, sans omettre l’exemple de saint Martin. Il s’agit du lien d’amour qui unit le prêtre au Christ et de sa mission comme collaborateur à l’œuvre du salut. Acteur de l’évangélisation, chargé d’engendrer les âmes à la vie divine grâce à l’exercice de la charité pastorale, en évitant le cléricalisme (« Il faut qu’il [le prêtre] soit d’abord disciple, avant d’être apôtre, et qu’il le demeure ») : tel est le sens de la paternité du prêtre dont la consécration implique l’observance joyeuse des conseils évangéliques. Au fond, « la sainteté sacerdotale féconde la sainteté de tous les membres du Corps du Christ. Il y a un vrai échange, une réciprocité entre les deux », dit aussi Don Paul Préaux. En filigrane, cette lecture stimulante invite aussi les fidèles laïques à comprendre et à aimer leurs prêtres.

Annie Laurent

PENSER C’EST RENDRE GRÂCE
PIERRE MAGNARD
Préface de Chantal Delsol, Le Centurion, 2020, 218 pages, 20 €

C’est une histoire simple et qui aurait pu être tranquille, celle d’un homme nommé Pierre Magnard et qui voulait faire profession de maître d’école. Et pourtant, né en 1927, l’ancien élève de Louis le Grand ressent au fond de lui un profond malaise lorsqu’il faut débuter ses enseignements : dans quelle terre faut-il enraciner sa pensée ?

Dans ce nouvel ouvrage, on découvre derrière le philosophe, l’historien de la philosophie et l’érudit, la quête inlassable d’un homme mû par une soif brûlante et qui semble inextinguible : « J’ai perdu mon étoile, et c’est peut-être la raison de ce livre : retrouver cet enchantement capable de changer les dragons de notre vie en princesses cachées et de rendre au chemin des écoliers sa puissance inventive. » Reprenant la plume après le décès de son épouse, sa compagne de voyage plane sur l’ouvrage comme une autre Béatrice.

Car, c’est à une traversée du siècle à laquelle nous invite Pierre Magnard. Lui qui depuis les premiers balbutiements de ses réflexions jusqu’à l’affermissement de sa pensée ne s’est jamais arrêté, ne s’est jamais installé dans une chaire en se contentant de répéter à l’envi une philosophie sclérosée. C’est en lecteur sérieux de Heidegger qu’il décide de se « désabriter » de toutes institutions, de toutes religions idolâtres, préférant la procession de l’Un des néo-platonistes, aux Catégories aristotéliciennes, Magnard nous emmène cahin-caha de la classe de Jean Beaufret au CNRS, des dialogues avec Michel Henry aux lectures solitaires de Pascal ou de Plotin.

L’auteur nous avertit dès les premières pages : « la toilette du souvenir se voudra sans apprêt, soucieuse de la seule vérité. » Cette quête de vérité qui lui est une seconde nature, et qui donne souffle et rythme à sa plume. Une vérité qu’il faut aller chercher comme toujours hors de la caverne, hors des relents marxistes des prépas, des volontés déconstructionnistes de l’ENS, loin des fuites de Foucault prônant « un homme hors-sol comme il est des poulets hors-sol ou des endives hors-sol ». Et pourtant continuer de vivre au cœur de ce que Richard Millet appelle la génération « fatiguée de sens ».

Dans l’intimité de cette pensée se déploie une modestie exemplaire, un tâtonnement quasi mystique qui permet à l’esprit lucide de déduire de ses réflexions métaphysiques un constat tragique sur le grand éclatement de notre société mondialisée. Crise écologique, crise métaphysique, crise économique, mais où l’homme en chemin, le viator, pourra-t-il trouver l’espérance ? Méditant le décès de sa femme Magnard conclut : « Rendu à ce que j’étais avec elle, je me trouve confronté à un insupportable défi : Dieu a vu pour moi plus grand que je n’étais ; il ne m’aura pas permis de m’installer durablement sur terre et me contraint toujours à regarder le ciel. Qui dira la souffrance de cet excès de Dieu, mais qui dira aussi l’espérance qu’en contient la promesse ? »

Baudouin de Guillebon

LIBERTÉ D’INEXPRESSION
ANNE-SOPHIE CHAZAUD
L’Artilleur, 2020, 204 pages, 18 €

Jurisconsulte et homme de grand savoir, auteur d’une œuvre considérable, historien en 1868 de la Constitution américaine, Édouard Laboulaye mentionnait, parmi les éléments essentiels de la liberté politique, « une presse affranchie de toutes les entraves administratives, et qui ait le droit de tout dire, sauf à répondre de l’injure et de la provocation au crime ». Le droit de tout dire ! Ou ce qu’il en reste. De tout dire, au jour d’aujourd’hui, dans notre évanescent pays, à condition d’être le plus inexpressif possible, observe Anne-Sophie Chazaud ; pour ne pas choquer, ne pas heurter, ne pas offenser… Sinon aux risques et périls du coupable. Car d’abord nous avons affaire à un amas de lois émanant d’un pouvoir politique mué en « chasseur de phobies ». Sur lequel s’appuie, invention moralisante et militante de groupes activistes, une censure en quelque sorte « privatisée » qui tâche de museler les opinions dissidentes. Régime donc où ces deux pôles s’articulent et forment système selon le canevas bien connu : délation-signalements-soupçon d’hétérodoxie-recours aux tribunaux avec ou sans le parquet. Régime d’intimidation, forte d’un gluant discours victimaire, et de procédures-bâillons visant à étouffer, en les disqualifiant, en les châtiant, la parole malséante, le point de vue incorrect. Régime de harcèlement judiciaire instaurant une stratégie de la peur. Et c’est, comme alpha et oméga de n’importe quelle prise de position recevable, la matrice « antiraciste », omniprésente celle-ci au sein du paradigme législatif, qui fournit ses poncifs et tout son bagage d’idées au gros du monde de la culture ; qui permet encore l’extension pro-islamique (vent debout contre de supposées discriminations) dudit harcèlement.

Ainsi, sous la houlette de gouvernants grimés en maîtres de vertu, les interdits prolifèrent, les entreprises et comportements liberticides se multiplient. Diffusée par une bande de zéros intellectuels, la norme dominante, assidue pourfendeuse de soi-disant dérapages verbaux ou scripturaux, lamine et aplatit. Tandis que sont convoquées, à l’instar d’une ritournelle, les utiles figures de la haine et du complot – jamais râpées, jamais usées. Reprises d’ailleurs, vrai « bal des vampires », par une presse nationale aux mains de grands groupes financiers et industriels, par des partis où s’entremêlent lâcheté électoraliste, absence capitularde de convictions, même quelquefois acoquinement avec le communautarisme radical, bref, avec l’anti-France.

Michel Toda

ÉCRITS SUR LA VIERGE MARIE (1)
Édition critique par Bernard Pitaud suivie d’une note sur « Théologie, mystique et spiritualité chez M. Olier »

Honoré Champion, 2020, 262 pages, 38 €.

SAINT-SULPICE ET LES SÉMINAIRES SULPICIENS ENTRE 1700 ET LA RÉVOLUTION (2)
BERNARD PITAUD
Salvator, 2020, 410 pages, 24 €.

Il y a parfois dans l’histoire des angles morts dont on ne s’explique jamais tout à fait la raison. Événements mal connus, pertes d’archives, disparition de témoins ou plus simplement désintérêt ? Les causes sont certainement multiples. Depuis plusieurs années maintenant Bernard Pitaud travaille à faire connaître l’histoire de la Compagnie de Saint-Sulpice à laquelle il appartient. Fondée en 1645 par Jean-Jacques Olier dans l’élan du concile de Trente, cette société de prêtres sans vœux œuvre à la formation des clercs. Après un premier volume consacré à la figure de Jean-Jacques Olier – dont on peut signaler au passage que l’auteur vient aussi d’éditer un recueil d’écrits sur la Vierge Marie (1) –, et un autre sur les premiers successeurs du fondateur, le Père Pitaud s’attache à l’exploration d’une histoire très riche comprise entre 1700 et la Révolution (2).

Ce faisant, il apporte une contribution essentielle à l’histoire religieuse du XVIIIe siècle qui avait laissé un peu dans l’ombre la Compagnie de Saint-Sulpice. Allons directement à la dernière phrase de ce nouveau volume pour saisir l’importance de cet « oubli » : « La Compagnie de Saint-Sulpice fut la seule société de prêtres dont aucun membre ne signa la Constitution civile du clergé. » Est-ce à dire que les membres de la Compagnie n’ont pas subi eux aussi la lente pénétration de l’esprit des philosophes, la tentation de la mondanité ou plus simplement les rivalités et les divisions ? En fait, ils n’ont échappé ni été étrangers à aucune querelle de leur époque (révocation de l’édit de Nantes, jansénisme, gallicanisme, rapport de la grâce et de la liberté) sans oublier, par exemple, la question plus interne du statut de la Compagnie dans un Canada passant sous domination anglaise.

Sur ce dernier sujet, Bernard Pitaud offre des pages vraiment passionnantes. Mais, à vrai dire, c’est l’ouvrage dans son ensemble qui l’est, s’appuyant sur une maîtrise parfaite des archives et une langue limpide et précise. Que demander de mieux ? La suite tout simplement.

Philippe Maxence

ULTRA-GRAAL
BERTRAND LACARELLE
Pierre-Guillaume de Roux, 2020, 176 pages, 18 €

Bertrand Lacarelle n’use pas les mots en écrivant à tire-larigot. Avant cet Ultra-Graal, il avait publié trois ouvrages consacrés à des figures à l’âme tourmentée par la modernité : Jacques Vaché, Arthur Cravan (prix de l’Académie Française, 2010) et Stanislas Rodanski (La Taverne des ratés de l’aventure). Le sait-il ? Ces trois livres et Ultra-Graal sont fortement reliés. Cravan, Vaché et « les ratés de l’aventure » parlaient de ce monde devenu fou et virtuel où nous sommes ancrés, sans pour autant lui appartenir. Ces livres, un chemin qui conduit à une position « ultra », celle du Graal. Nous sommes ces exilés formant le sel d’Ultra-Graal, pas des hommes en quête de spiritualité mais des êtres spirituels, âmes déchues dans la matière. Lacarelle lance un appel à cette vraie réalité, un texte né de sa lecture des milliers de pages du Livre du Graal, un livre écrit au fil de cette lecture. Depuis ce lien intime établi avec ce qu’est le Graal, ce qu’il fut, ce qu’il n’a jamais cessé d’être et ce qu’il sera, l’écrivain tisse son ouvrage. Ultra-Graal nous réveille, demande de faire retour vers l’essentiel, vers ce que nous sommes, la France, un style, des racines chrétiennes, une civilisation. Les sources vivantes du Graal sont aussi celles de l’Europe, judéo-chrétienne, grecque, celte et romaine. Lacarelle le montre dans un livre d’une rare beauté : le temps n’est plus aux bavardages vides de sens des écrans mais à la vie, dans le terroir de la France authentique, loin des métropoles. Une vie vécue, reliée à ce « plus que réel » autrefois appelé de ses voeux par Stanislas Rodanski. Dans cette simplicité, celle des bonshommes, réside la chevalerie – aujourd’hui comme hier. Un état de l’esprit, celui des pauvres chevaliers du Christ. Cela semble revivre dans le réel : le livre est accompagné de photographies, tags improbables montrant la présence étonnante de ces « ultras » du Graal dans la France actuelle.

Matthieu Baumier

FRANÇOIS LE SUCCESSEUR
DENIS LENSEL
Téqui, 2020, 416 pages, 19 €

Le livre de Denis Lensel, bien informé, cherche à montrer, selon son sous-titre, « la complémentarité des papes », de Jean XXIII au pape François. Il aurait pu citer ce jugement du pape émérite Benoît XVI à propos de son successeur : « Évidemment, on peut mal interpréter certains passages pour prétendre que tout a changé. Quand on sort des passages de leur contexte, qu’on les isole, il est facile de construire des oppositions, mais pas quand on considère l’ensemble. On relève sans doute de nouveaux infléchissements, bien sûr, mais pas d’oppositions. »

Continuité sans rupture donc, différence de ton et de style, tempérament différent aussi. Denis Lensel voit, de Jean XXIII au pape François, « une étonnante alternance : des “papes pasteurs” succèdent à des “papes docteurs” à la tête de l’Église ». La chose est vraie de Pie XII à Jean XXIII, à Paul VI ou de Benoît XVI au pape François, mais comment classer Jean-Paul II, ce pape éminemment philosophe qui sut se montrer extraordinairement à l’aise avec toutes sortes de publics sur tous les continents ?

Quand on observe la vie de l’Église, et particulièrement l’action des papes, le risque est de s’en tenir à l’éphémère, à la décision du moment, à la parole de l’instant pour porter un jugement. Dans son examen des sept années du pontificat de François, Denis Lensel ne se contente pas de la succession des événements et des paroles (voire des controverses). Il rétablit l’action du pape dans une perspective plus longue. Le philosophe Henri Hude, qui préface le livre, cite cette remarque générale et si juste d’Henri Bergson : « Quel est le plus puissant des mécanismes de l’erreur ? L’élimination de la durée. »

Le propos de Denis Lensel s’articule en quatre parties : la diversité des papes, la complémentarité de leur œuvre, la continuité de certains grands chantiers (défense de la vie, de la liberté, œcuménisme, lutte contre la guerre, pastorale des jeunes), les souffrances ou l’hostilité que tous ont connues plus ou moins rapidement.

Yves Chiron

TU N’ES PAS DES NÔTRES
Des quartiers populaires à l’exclusion de LREM, les vérités d’une citoyenne libre
AGNÈS THILL
L’Artilleur, 2020, 220 pages, 16 €

Elle n’était pas des leurs ! Ce qui aurait dû être son titre de gloire et devenu l’objet du plus profond mépris de la part de ses collègues, députés de l’Assemblée Nationale. C’est ici un passionnant témoignage d’Agnès Thill, courageuse députée qui s’est illustrée notamment en s’opposant à la PMA lors des différents débats sur la loi de bioéthique et son vote durant l’été 2020. Animée par une volonté de servir le bien commun, catholique, socialiste déçue, passée par la franc-maçonnerie, elle cède aux sirènes du mouvement montant de la République en Marche et est propulsée candidate. Elle devient députée de l’Oise en 2017.

Son expérience d’enseignante et sa hauteur de vue lui permettent rapidement d’avoir un regard critique sur les projets de loi de bioéthique, mesurant les conséquences néfastes de la PMA. C’est alors un véritable déferlement de haine, jusqu’aux menaces de mort, de bassesses, de dérision ou de morgue de ces « Marcheurs » qui portaient en bandoulière ces mots « Ecoute-Bienveillance-Consensus », slogan devenu tout juste digne d’orner le fronton d’un monument à la gloire de la « Dictature pensée unique ».

Dévoilant l’envers du décor d’une démocratie dévoyée, elle démonte les mécanismes, dignes des « meilleurs » régimes totalitaires, visant à réduire au silence tout opposant. Posant un regard lucide et apaisé sur les prochains combats qui nous attendent, elle témoigne de la nécessité de dépasser les clivages politiques pour défendre « notre liberté même d’être humain ».

Anne-Françoise Thès

DIEU, L’ÉTERNITÉ… TOUTE UNE HISTOIRE
DENIS BIJU-DUVAL
Éditions Emmanuel, 2020, 148 pages, 13 €

Aborder le sujet de l’éternité est tout simplement abyssal et pourrait, d’une certaine manière, renvoyer à un Dieu totalement inaccessible : la foi chrétienne reposerait sur une imposture, du moins une contradiction que ne cessent de porter ses contempteurs ou détracteurs. Même pour un croyant, c’est une source intarissable de questionnements : comment définir l’éternité divine ? Comment s’y insère la vie éternelle que nous confessons et à laquelle nous sommes promis ? Comment est-elle compatible avec les mystères de l’Incarnation et de l’Eucharistie ?

Ancrant solidement les bases de sa réflexion sur le terrain philosophique et scripturaire, Mgr Biju-Duval, avec sa clarté et puissance habituelles, déroule sa pensée jusqu’à nous montrer combien cette notion d’éternité est le gage de la proximité divine, la clé de l’Incarnation, une redécouverte de l’instant présent et une nourriture inépuisable pour notre vie spirituelle. Vertigineux !

Anne-Françoise Thès

L’HUMILIANTE DÉFAITE
THIERRY NÉLIAS
La Librairie Vuibert, 2020, 336 pages, 21,90 €

Sottement déclarée le 19 juillet 1870, et suivie presque aussitôt d’un stupéfiant effondrement qui vit Napoléon III et son armée faits prisonniers, le 1er septembre, à Sedan (tandis que son autre armée se trouvait cernée dans Metz), la guerre contre la Prusse, soutenue par l’ensemble des États allemands, avait révélé, chez nous, de graves déficiences militaires – qu’amplifia un commandement fort au-dessous de sa tâche. Pourtant, outre le siège de Paris, entamé dès le 18 septembre, allait encore durer cinq mois la lutte en province. Sous la conduite, celle-ci, d’un gouvernement dit de la Défense nationale improvisé au lendemain de la chute du régime bonapartiste. D’un gouvernement qui va établir, à Tours, la délégation fameuse rejointe, au mois d’octobre, par le plus turbulent de ses membres : Léon Gambetta.

Prophète de la levée en masse, Gambetta… Car la plupart des jeunes recrues, vêtues de simples blouses, après avoir été expédiées, par un précoce et terrible hiver, dans des camps d’instruction où l’on mourait comme des mouches, fournissaient, à peine formées (nous parlons des survivants), les ordinaires troupiers d’incertaines opérations offensives. En effet, la garnison de Paris tentant quelquefois des sorties, attaquer afin de lui donner la main (sans jamais y parvenir), comment l’armée de la Loire, proclamée « la grande armée de la République », aurait-elle pu s’y soustraire ? Mais avec la capitulation du maréchal Bazaine et de l’armée de Metz le 27 octobre, bien minces, sinon impossibles, en dépit de rares succès locaux, apparaissaient nos chances devant un puissant ennemi aux unités plus aguerries et aux chefs plus expérimentés.

Le 8 décembre, la délégation, menacée à Tours, s’était retirée à Bordeaux. Misères affreuses, flots de sang inutilement répandus, un tel bilan de son impéritie et de sa présomption n’empêchait pas le maître inspirateur de prêcher la poursuite des combats « jusqu’à complet épuisement ». Or, de toute évidence, on le touchait. Ce dont prit acte la trêve du 28 janvier 1871, préface à l’inévitable loi du vainqueur.

Divers personnages, dans le récit, sont évoqués. Leur attitude, leurs sentiments, l’animent et le colorent. Ils se nomment Flaubert, Goncourt, George Sand, etc. Témoins notoires, témoins dignes de considération. Ainsi, à propos de Gambetta justement, voici, en guise d’épilogue, l’opinion de la « bonne dame de Nohant » : « Nous avons bien le droit de maudire celui qui s’est présenté comme capable de nous mener à la victoire et qui ne nous a menés qu’au désespoir. Nous avions le droit de lui demander un peu de génie, il n’a même pas eu de bon sens. » Et boum !

Michel Toda

OLAVE BADEN-POWELL
PHILIPPE MAXENCE
Artège, 2020, 312 pages, 20,90 €

Philippe Maxence, auteur de la première biographie en langue française consacrée à Baden-Powell, consacre aujourd’hui une biographie à son épouse, Olave Soames, qui méritait bien de sortir de l’oubli.

Née en 1889, elle épouse à 23 ans Robert Baden-Powell, général en retraite, de plus de trente ans son aîné, fondateur du scoutisme quelques années auparavant. Olave écrira modestement : « Je ne peux toujours pas imaginer ce qui en moi l’a attiré. Il était célèbre, talentueux, expérimenté. J’étais une personne si ordinaire, pas du tout intelligente, sans aucune expérience de la vie. » En réalité, comme le montre de façon convaincante Philippe Maxence, Olave était une jeune fille peu ordinaire. Elle ne fréquenta aucune école, son instruction fut assurée par des gouvernantes, elle avait « la nature comme passion » et pratiquait de nombreux sports. Olave fut influencée aussi, successivement, par deux amies de la maison, Jean Graham puis Sybil Mouney-Heysham qui, chacune, dans leur genre très différent, furent pour elle des modèles, du moins des inspiratrices.

Robert Baden-Powell fut donc séduit par une jeune fille non conformiste, qui aimait le sport, la musique, et qui « avec sa jeunesse et son dynamisme, sa gaîté et sa forte volonté […] réunissait toutes les qualités pour le seconder ».

Mais Olave Baden-Powell ne fut pas que la brillante seconde de son mari. Elle prit une part déterminante à l’expansion du scoutisme féminin dans le monde, d’Europe en Asie, d’Océanie en Amérique, « indiquant une meilleure logique d’organisation, calmant des tensions, délivrant des conseils, apaisant des inquiétudes ». Après la mort de son mari en 1941, elle fut pendant plus de trente ans encore « au service de la grande idée de Baden-Powell ».

Philippe Maxence souligne aussi combien le guidisme – le scoutisme féminin – a constitué pendant des décennies, en Europe et sur les autres continents, « une nouveauté radicale et libératrice ». Il en fut ainsi pour Olave Baden-Powell la première : « Le guidisme fut, d’abord pour elle, un moyen d’émancipation et de réalisation de son être même. Au fond, le scoutisme féminin l’a révélée pleinement à elle-même. Elle a découvert ses talents, sa ténacité, son sens de l’organisation, sa capacité à prendre la parole en public, à se sentir (presque) aussi à l’aise autour d’un feu de veillée que dans l’entourage des rois et des reines. Le guidisme l’a sortie de sa chrysalide étouffante tout en unifiant les aspirations contradictoires qui l’habitaient. »

Yves Chiron

SAINT THOMAS D’AQUIN ET LA POSSIBILITÉ D’UN MONDE CRÉÉ SANS COMMENCEMENT
GRÉGOIRE CÉLIER
Via Romana, 2020, 374 pages, 29 €

Cet ouvrage, issu d’une thèse de philosophie, traite d’une question de prime abord assez académique, mais qui n’est pas sans incidence sur la métaphysique de la création. Si l’In principio de la Genèse révèle bien le fait du commencement du monde, le concept de création ne postule pas en lui-même une succession chronologique du néant à l’être. Inversement, l’hypothèse de l’éternité du monde ne met nullement en cause le statut même de la créature d’être contingente. G. Célier analyse avec pertinence l’ensemble du corpus thomasien sur la question, en situe à bon escient le niveau épistémologique, précise judicieusement que les principes mis en œuvre par l’Aquinate ne sont nullement dépendants d’un état périmé de la science. Peut-être aurait-il pu aborder en passant l’ambiguïté du créationnisme. En évoquant la possibilité d’un tel monde sans commencement, saint Thomas magnifie la liberté créatrice de Dieu. Cette monographie répond parfaitement au dessein que s’était fixé l’auteur : conjuguer absolu de la foi et liberté de la recherche. Remarquable !

Abbé Christian Gouyaud

LA DYNASTIE D’EN HAUT
ANNE KURIAN
Salvator, 2020, 256 pages, 18,50 €

Sara, jeune institutrice dans un village des Pyrénées, s’apprête à épouser Rémi dont elle apprécie la délicatesse sans l’aimer vraiment. Cinq ans plus tôt, elle a fui les Alpes de son enfance à la suite de la soudaine disparition de l’homme de sa vie, Loup, qui était aussi un frère adopté, apprécié de toute la famille. Or, Loup resurgit dans la vie de Sara, en tant que nouveau directeur du centre de vacances où elle travaille l’été bénévolement.

Si la fin ne réserve aucune surprise, ce roman est intelligemment construit sur deux époques, ce qui permet de découvrir progressivement la blessure qui occasionna le départ précipité et inexpliqué de Loup, et de maintenir ainsi un réel suspense jusqu’au bout. Les précédents romans d’Anne Kurian, Le secret d’Emma M. (2018) et Beau brun ténébreux (2019), étaient déjà sympathiques quoiqu’à la limite du roman à l’eau de rose : ici, l’auteur franchit un pas en affirmant un réel talent de conteuse et de psychologue (avec encore quelques restes fleur bleue) pour nous offrir un beau roman, attachant et captivant.

Christophe Geffroy

CITY OF WINDOWS
ROBERT POBI
Les Arènes « Equinox », 2020, 506 pages, 20 €

Pobi revient en France avec City of Windows, cinq ans après Les Innocents et huit ans après L’invisible. L’auteur offre ici un pur thriller, avec serial killer, FBI, policiers, et enquête de terrain. Au cœur du FBI, rythme haletant, rebondissements, personnages superbement campés et sentiment pour le lecteur d’être devant un bel épisode de sa série policière préférée. Une écriture toute en images. Une intrigue qui tient en haleine, dans l’urgence, l’histoire se déroulant sur quatre jours, au cœur de New York d’abord, dans la neige du Wyoming ensuite, le FBI ayant parfois ses secrets. Une lecture d’autant plus intéressante que Pobi donne naissance à un personnage qui aura de l’avenir : Lucas Page, ancien enquêteur du FBI, asperger, mathématicien doué, capable de voir la réalité sous forme de calculs et donc de saisir ce qui nous échappe. Autrefois blessé, il vit avec des prothèses mais non sans humour. New York, un sniper prend pour cible un agent du FBI, puis un autre, puis… Dans une ambiance de neige, de rues bloquées, une ville difficile à vivre sur le plan climatique. Qui est ce tueur ? Pourquoi ? Pobi penche côté démocrate, pas de doute. Son écriture n’est cependant pas manichéenne et c’est toute une Amérique en voie de disparition qu’il donne à lire, une Amérique où demeurer libre vis-à-vis de l’État fédéral devient difficile et où politiques et médias, de tous bords, en prennent pour leur grade.

Matthieu Baumier

© LA NEF n°330 Novembre 2020 (mis en ligne le 1er décembre 2020)