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Savoir tirer les leçons de la crise

Notre pays traverse une crise sanitaire grave qui impacte fortement notre économie. Le produit intérieur brut de la France (l’indicateur qui mesure la richesse créée en un an) connaît son plus fort recul depuis la Seconde Guerre mondiale : début novembre 2020, la Direction Générale du Trésor estimait ainsi à 11 % le recul de l’activité pour l’année 2020 par rapport à 2019, en tenant compte des deux périodes de confinement. À moyen terme, les conséquences du blocage de notre économie risquent d’être redoutables : endettement record, nouvelle baisse du PIB, qui nous ramènerait 15 ans en arrière, et surtout explosion du chômage : avant la crise, un actif sur cinq était privé d’emploi. Et selon les estimations de la Banque de France et de l’Unedic, les deux confinements vont respectivement entraîner la destruction d’un million puis de 500 000 emplois. Les experts anticipent logiquement une explosion du taux de pauvreté qui dépasserait la barre des 10 millions de personnes dans l’Hexagone.
Seules nos entreprises peuvent donner un second souffle à notre économie. Mais elles ont elles-mêmes été considérablement fragilisées par la crise, quand elles n’ont pas disparu : malgré les mesures gouvernementales de soutien, financées en grande partie par le rachat de notre dette souveraine par la Banque Centrale Européenne, le nombre de dépôts de bilan des petites et moyennes entreprises connaît en effet une forte augmentation et il est difficile d’anticiper leur capacité de résistance à moyen terme, dans un environnement économique mondial dégradé et instable.

Dépendance économique accrue ?
Mais surtout, les difficultés de nos entreprises risquent d’accélérer notre dépendance à l’égard des pays tiers et donc de restreindre encore davantage notre souveraineté économique. La France est devenue le pays le plus désindustrialisé de tous les pays européens, la Grèce mise à part. Et les professionnels du secteur s’alarment du nouveau recul de l’industrie française lié à la crise sanitaire.
Dans ce contexte, nos entreprises deviennent des proies faciles pour les prédateurs étrangers désireux de s’approprier notre patrimoine économique. Certes, la France s’est récemment dotée d’un arsenal juridique permettant au gouvernement de bloquer les acquisitions d’entreprises stratégiques françaises par des investisseurs internationaux. Mais faute d’une réelle volonté politique, ces dispositifs restent inopérants : les rachats récents par des groupes étrangers des entreprises Tronics (microsystèmes électromécaniques utilisés dans l’aéronautique, la défense ou le médical), SCPS (spécialiste des batteries électriques) ou Latécoère (technologie de communication LiFi) ne peuvent que le confirmer.
Mais paradoxalement, la crise sanitaire et économique que nous subissons peut être à l’origine d’un renouveau, car elle est révélatrice de notre déclassement économique et elle génère une prise de conscience de notre dépendance à l’égard de puissances étrangères potentiellement hostiles.

Quel monde après la crise ?
Beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur ce que devrait être le monde « après la crise ». Au centre du débat se trouve la question de la déglobalisation progressive de l’économie.
Il s’agit en premier lieu de tirer les conséquences de la fragilité des chaînes de valeur mondiales et de notre dépendance à la Chine et aux États-Unis.
La crise sanitaire, qui était tout à fait prévisible, a révélé notre incapacité à disposer des équipements de base indispensables comme des respirateurs, des blouses, des gants, du gel hydro-alcoolique ou même des masques. Rien d’étonnant à cela : nous ne sommes même plus en mesure de produire du paracétamol…
Dans un tel contexte, on voit bien qu’il est particulièrement hasardeux de dépendre d’importations étrangères car les contraintes logistiques sont fortes, les règles du jeu économiques sont bouleversées et la logique du chacun pour soi peut primer sur les intérêts commerciaux ou diplomatiques. Le principe de précaution implique donc de pouvoir fabriquer en France les produits vitaux pour notre économie et en particulier ceux nécessaires à la lutte contre les risques épidémiques.
Espérons qu’après la crise, nous sachions tirer les leçons de cette épreuve et favoriser un redémarrage de notre économie sur des bases plus saines : il s’agira de mieux préserver notre indépendance économique en gardant le contrôle de nos entreprises, de limiter les échanges internationaux croisés de produits similaires, de développer les circuits courts, de repenser notre système de santé qui a montré ses contradictions et ses insuffisances, de mieux armer nos entreprises face à la concurrence mondiale, d’équilibrer davantage nos relations de partenariat et éventuellement d’envisager un protectionnisme mesuré lorsque cela est nécessaire, quitte à nous affranchir de certains engagements internationaux.

Laurent Izard

Laurent Izard est normalien et agrégé de l’Université en économie et gestion. Diplômé en droit de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, professeur de chaire supérieure, il est notamment l’auteur de La France vendue à la découpe (L’Artilleur, 2019).

© LA NEF n°331 Décembre 2020