Mgr Marc Aillet

Les 30 ans de La Nef : « Un pari gagnant »

C’est une joie pour moi de m’associer au trentième anniversaire de La Nef, l’une des rares publications que je ne me contente pas de survoler. Toujours proche de l’actualité, mais avec le recul nécessaire que favorise sa fréquence mensuelle, elle nous offre des éditoriaux percutants, des articles de grande qualité intellectuelle, des dossiers fouillés, avec l’apport de spécialistes de stature universitaire. Son approche pluridisciplinaire des questions permet à la fois de tirer les leçons de l’histoire, de saisir le sens profond des événements, d’aborder l’actualité de l’Église dans le monde de ce temps, en prenant de la hauteur.
En 30 ans, La Nef est devenue incontournable dans le paysage ecclésial français. Sa recherche d’équilibre, dans un grand souci de la Vérité, permet à tous ceux qui aiment l’Église, cette vaste Nef dans laquelle nous pouvons nous réfugier en sécurité dans la tempête, de se trouver à l’aise, loin des partis pris idéologiques qui l’ont tellement abîmée par le passé. Dans La Nef, on ne transige pas avec le Magistère de l’Église, ce qui permet de regarder l’actualité avec un regard critique, sans céder jamais à la désespérance. On sait où l’on a jeté l’ancre !
Née en 1990, on peut dire qu’elle appartient à la génération Jean Paul II, ce géant dont elle hérite une foi décomplexée, en revendiquant une visibilité joyeuse et contagieuse et en s’inspirant de ces deux paroles évangéliques qui ont façonné ce pontificat : « N’ayez pas peur » et « Avance au large » ! La Nef s’inscrit ainsi dans l’élan de la nouvelle évangélisation.
La Nef se réfère de manière préférentielle au charisme pétrinien de Benoît XVI, le pape théologien, l’ami et collaborateur fidèle de saint Jean Paul II, dont le souci de la Vérité dans la charité et l’appel à l’intériorité de la raison et de la foi ont tant marqué les « minorités créatives » de la jeunesse catholique d’aujourd’hui. Par son « herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église que le Seigneur nous a donné », il n’a eu de cesse de chercher à réconcilier les oppositions tranchées dans une Église traversée par des tensions redoutables. C’est le pari de La Nef et il me semble qu’il est gagnant.
Sous le pontificat du pape François, La Nef n’a pas dérogé à sa ligne éditoriale, marquée par un grand sens de l’Église et une belle fidélité au Siège de Pierre, prenant le temps du recul par rapport aux réactions parfois épidermiques qui accompagnent les prises de parole et les écrits du Souverain Pontife. Le style parfois déroutant du pape argentin n’empêche pas les contributeurs de La Nef de savoir discerner ce qui relie son enseignement, aux accents novateurs, à la grande Tradition ininterrompue de l’Église, comme cela a pu être souligné pour la dernière encyclique sociale Fratelli tutti.
La Tradition : c’est le mot-clé de ce mensuel. Non pas précisément « conservatisme », mais enracinement dans un terreau ensemencé par le Seigneur lui-même, à travers le don de sa Parole, transmise de génération en génération par l’Église et appelée à grandir dans les cœurs et dans l’histoire. Le chrétien se situe nécessairement dans la Tradition : son engagement ne commence pas avec lui ; comme un disciple, il peut s’appuyer sur des Maîtres qui ont été eux-mêmes les disciples de celui qui mérite seul d’être appelé Maître, le Christ (cf. Mt 23, 10). On ne se réfère pas à des maîtres pour répéter ce qu’ils ont dit comme des perroquets mais pour adhérer toujours plus profondément à la Vérité pour elle-même, en vue de la contempler éternellement et de la mettre en œuvre en notre temps.
C’est ainsi que La Nef insiste beaucoup sur l’engagement temporel des fidèles laïcs. Pour elle, le temporel et le spirituel sont distincts mais pas séparés, en ce sens que le temporel est in fine subordonné au spirituel. Si le Bien commun est la fin dernière de la société politique, il doit assurer ici-bas les conditions qui permettront aux citoyens de vivre dans la dignité et d’atteindre leur fin dernière surnaturelle qui est en Dieu. C’est la responsabilité propre des laïcs d’animer chrétiennement les réalités temporelles, de leur propre initiative, à la lumière de la foi et de la Doctrine sociale de l’Église, dont La Nef sait si bien rendre compte.
Je souhaite donc bon vent à La Nef, pour la joie et l’édification de tous. Je rends grâce à Dieu pour cet excellent outil de réflexion et de formation chrétienne.

Mgr Marc Aillet
Évêque de Bayonne

© LA NEF n°331 Décembre 2020