Bagan, capitale de la Birmanie de 1057 à 1287 © flickr.com-Commons.wikimedia.org

Le cas de la Birmanie

Le 8 novembre 2020, la Birmanie tenait ses premières élections libres organisées par un gouvernement civil depuis 30 ans. Un événement qui a surtout focalisé l’attention de nos médias sur la victoire sans appel du parti de Daw Aung San Suu Kyi – considérée par beaucoup en Occident comme indigne de son prix Nobel depuis la crise des Rohingyas – et assez peu sur la situation réelle d’un pays au carrefour de la démocratie où les iniquités favorisent le développement des trafics internationaux d’êtres humains.
Pays le plus pauvre de l’ASEAN, la Birmanie souffre d’un faible niveau d’instruction et de conflits fratricides qui ne cessent de mettre en péril la vie des plus démunis. Le cardinal Charles Maung Bo, archevêque de Rangoun et président de l’assemblée des conférences des évêques d’Asie, interrogé sur les enjeux de la fraternité universelle en Asie, a déclaré à Enfants du Mékong : « L’Asie est le point chaud de la traite des êtres humains en raison de la pauvreté de nombreuses nations. […] Les pratiques de GPA s’expliquent aussi par la pauvreté. » Autant de drames qui bafouent la dignité humaine et qui se développent grâce à l’instabilité politique du pays et une économie qui favorise les inégalités plutôt qu’il ne les réduit.
Si élections libres il y a eu, soulignons tout d’abord que la Birmanie n’est pas une démocratie ! Encore aujourd’hui, le pays est dirigé par deux entités politiques aux intérêts opposés : le gouvernement actuel démocratiquement élu issu des rangs de la Ligue nationale pour la démocratie (la LND : le parti d’Aung San Suu Kyi) et l’armée birmane (la toute-puissante Tatmadaw dont les généraux sont issus de la junte militaire qui gouverna le pays de 1988 à 2011). Cette dernière dispose aujourd’hui, de 166 sièges non élus au parlement (soit 25 %) et conserve dans son pré carré les questions de sécurité intérieure, de défense et des frontières. Ces privilèges sont garantis par la Constitution du pays, adoptée en 2008, celle-là même qui empêche Aung San Suu Kyi d’être officiellement à la tête du pays et qui a été votée sous l’égide de la junte militaire. Mais le pouvoir de l’armée n’est pas que politique. Elle contrôle un large pan de l’économie : « Le système prétorien garantit aux généraux et à leurs familles un contrôle des investissements et une spoliation des richesses, particulièrement dans les domaines miniers et énergétiques », explique Pierre-Marie Durier, auteur d’une Géopolitique de la Birmanie.
Comme en 2015, les élections de novembre dernier ont consacré la victoire écrasante de la LND marquant même une progression de sa majorité au parlement. Ces résultats soulignent l’adhésion massive des Birmans à Aung San Suu Kyi et à ses efforts en faveur de la paix ! Si les conférences de Panglong du XXIe siècle n’ont pas abouti au large consensus espéré, la réconciliation nationale demeure un enjeu politique de premier plan. D’autant que certains conflits avec les milices ethniques locales se sont aggravés ces dernières années. Avec 40 % de sa population issue de plus de 140 ethnies minoritaires, la Birmanie est un pays « patchwork » dont l’unité est entièrement à construire.

Des faiblesses exploitées
Ce morcellement du pays est à la source de nombreuses faiblesses exploitées autant par le voisin chinois – qui n’hésite pas à armer et financer certaines milices ethniques comme l’armée de l’Arakan – que par les trafiquants qui font commerce de jade, de drogue ou d’êtres humains. Aujourd’hui, la Birmanie doit composer avec des camps de déplacés internes à la frontière de ses États qui fuient les conflits. Dans l’État Kachin au nord du pays, ces déplacements de population favorisent l’enlèvement des jeunes filles à partir de 11 ans. Elles sont exploitées de l’autre côté de la frontière chinoise pour donner naissance jusqu’à 6 enfants dans 3 familles différentes.
Les populations rurales et le système scolaire, affaiblis par des années de nivellement par le bas à l’initiative de la junte militaire, sont victimes d’un développement économique qui peine à investir la formation professionnelle ou le développement des compétences locales. Les grands partenaires économiques (comme la Chine qui a identifié la Birmanie comme l’un des trois corridors de ses nouvelles routes de la soie en Asie du Sud-Est, ou l’Inde) préfèrent importer leurs propres compétences plutôt que de créer des formations. Plus que jamais, la lutte contre la pauvreté et pour la paix en Birmanie apparaît comme un moyen concret de lutter contre les différentes formes d’exploitation de l’homme par l’homme. À ces maux, seule l’éducation – à commencer par celle des plus pauvres et des plus démunis pour leur donner les moyens de leur propre subsistance, mais aussi de protéger leur famille et leurs enfants – doit être une priorité. C’est l’engagement d’une association comme Enfants du Mékong qui, dans son œuvre d’éducation, voit avant tout un combat pour la vie, ce sera, l’espère-t-on, la vision du nouveau gouvernement !

Antoine Besson

Antoine Besson est rédacteur en chef d’Asie Reportages, le magazine d’Enfants du Mékong.
Enfants du Mékong : 5 rue de la Comète, 92600 Asnières.
01 47 91 00 84.
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