La sous-animalisation du monde

Le 15 décembre 2020, le Parlement hongrois a décidé d’introduire dans la Charte fondamentale que la famille « est fondée sur le mariage et la relation parent-enfant. La mère est une femme, le père est un homme », et de réserver en principe l’adoption aux couples composés d’un homme et d’une femme.
Les lobbies homosexualistes s’en sont étranglés, du Figaro à Amnesty International. Le site de Yahoo a même intitulé l’un de ses articles : « La Hongrie redéfinit la famille », comme s’il était acquis que celle-ci fût tout sauf une société fondée sur l’union d’un homme et d’une femme. En un temps plus clément, cette réforme n’aurait rencontré que l’indifférence réservée à l’évidence par le sens commun. Mais voilà, il a changé, se sous-animalisant à la vitesse de la lumière.
Jadis, chacun savait que sa dignité était proportionnelle à sa capacité de vivre à hauteur d’homme, ce qui mettait en honneur la liberté de l’honnête homme, du héros et du saint, auxquels s’est substitué le consommateur, dont le ventre tient désormais lieu de cœur et dont l’humeur digestive offre aux tyrans l’incomparable avantage de la docilité.
Chacun percevait la précarité de cette dignité. Le christianisme, enseignant aux hommes qu’ils étaient des vases fragiles, les avait imprégnés du sens de la faute, de la responsabilité et de la transcendance qui les mesurait. Boèce énonçait cette certitude commune que « la nature humaine est telle qu’elle ne l’emporte sur le reste de la création que lorsqu’elle se connaît elle-même, alors qu’elle se ravale à un rang inférieur à celui des bêtes si elle cesse de se connaître ». Aristote ne parlait d’ailleurs pas autrement avant lui, non plus que saint Bernard ou saint Thomas après lui.

Déchéance à un rang inférieur
Pourquoi « un rang inférieur » ? Parce que les bêtes, quoi qu’elles fassent, n’échappent pas à leur condition naturelle. Douces ou cruelles, elles y sont nécessairement fidèles. Il n’y a pas taureau si stupide et si vil qui ne demeure un taureau. Qu’un politicien puisse être un âne est déjà plus problématique. L’homme qui, par l’exercice dévoyé de sa liberté, oublie la dignité à hauteur de laquelle sa nature l’incline au point de s’identifier à ce qui l’avilit, celui-là déchoit à un rang inférieur. Se complaisant à agir au rebours de sa loi intérieure, il n’a même pas la fidélité de la bête aux modestes conditions de son être.
Il n’est donc pas exagéré de dire qu’une partie notable de nos sociétés modernes a déchu à un degré suffisant de sous-animalité pour ne plus percevoir ce que sont un homme, une femme, leur différence riche et nécessaire, un couple, une famille, et même un enfant.
Le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, Table de la Loi du monde nouveau, en a fondé la naissance sur ce constat : « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements. » Pour construire le monde d’après-guerre, celle des droits de l’homme de 1946 a retenu que « la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité ».

L’oubli de ce que sont les hommes
C’est pourtant en vertu de cette réhabilitation prétendue de l’humanité et du droit que les gouvernements se sont appliqués à normaliser l’avortement de masse, l’homosexualisme, l’euthanasie, à combattre l’attachement des patries à leurs cultures et à leurs mémoires, à détruire de concert le mariage, la famille, les sociétés et jusqu’aux entités sexuelles humaines. Par un étrange renversement, et par l’évolution d’un droit révélant la nature saturnienne de ses sources, l’ignorance, l’oubli et le mépris de ce que sont les hommes semblent être devenus la condition même du devenir du monde.
C’est un fait : tout ce que les hommes ont acquis de leur expérience historique paraît être compté aujourd’hui comme un mal à éradiquer. La Révolution et l’après-guerre ont prétendu, la main sur le cœur, en finir à jamais avec les barbaries. La vérité est qu’ils n’ont fait qu’en exorciser certaines formes transitoires pour en transmettre pieusement le venin comme le seul héritage digne de l’homme moderne, celui d’une révolte foncière contre tout ordre transcendant. Ainsi distillé dans le temps, ce venin a acquis une puissance destructrice jamais atteinte, jusqu’à devenir la sève d’un nouveau droit contre-naturel et d’un nouveau contresens commun.
L’exemple des parlementaires hongrois vient cependant rappeler – spécialement aux jeunes qui s’avancent en ce monde armés de leur foi – que l’histoire humaine n’obéit pas à des nécessités idéologiques et qu’un réveil de la conscience humaine demeure toujours possible. Dépassés, à contre-courant ? Et après tout, et pourquoi pas, comme dirait le P. Bruck ! Bénédiction sur eux !

Patrick Poydenot

© LA NEF n°333 Février 2021