Livres janvier 2021

POUR SURMONTER LA CRISE DE L’ÉDUCATION
HENRI HUDE
Mame, 2020, 250 pages, 22 €

Dans cet essai, Henri Hude nous propose une méthode pour résoudre la crise de l’éducation. Perspective audacieuse d’un philosophe connu pour la générosité et la liberté de son esprit. Personne ne s’accorde sur les causes de la crise, dit-il, car personne ne s’entend « sur l’Homme, son bien et son avenir ». Hude appelle donc à une « nouvelle synthèse humaniste » comme préalable nécessaire au sauvetage de l’éducation. Sa proposition de réforme pédagogique s’insère dans une réforme de la morale et de la démocratie elles-mêmes. L’originalité de son approche tient dans le rôle crucial qu’il donne à la philia, qui doit sous-tendre la pédagogie, et nous débarrasser ainsi du doute de pure négativité pour nous permettre d’accéder à un doute qui aurait accepté « de se subordonner à une confiance méthodique dans le questionnement ». La pédagogie doit devenir une pédagogie de la philia (opposée à une culture de l’autonomie radicale), seul moyen de se libérer des faux antagonismes pédagogiques qui stérilisent le débat depuis des décennies. Pour sortir du doute et de la méfiance qui conduisent la société à se dévorer elle-même, il montre comment renouer avec une bienveillance et une fraternité que la post-modernité avaient disqualifiées. Hude explique que l’école est précipitée dans la crise parce que notre démocratie l’investit d’une mission d’assurer une autonomie radicale des enfants et futurs citoyens qui n’a jamais existé et est utopique.

Fort de cette approche, il démonte alors un à un les faux dilemmes qui condamnent à l’échec la pédagogie contemporaine : contrainte et liberté, imitation et spontanéité, travail et jeu, et bien sûr nature et culture, passivité et activité. Lorsqu’il s’agit de reconstruire, notre philosophe n’est en rien conservateur : les progrès de la technologie (internet, intelligence artificielle) justifient de tout repenser dans l’organisation pratique de l’éducation, anachroniquement déterminée par les conditions technologiques et sociales du XIXe siècle, en termes de lieu, de temps, de formation des professeurs, de format des classes, des rythmes et contenus d’apprentissage.

Anne Coffinier

MANGER DIEU
Pour une Eucharistie de première nécessité
HENRI QUANTIN
Le Livre Ouvert, 2020, 174 pages, 14 €

D’une brûlante actualité, ce livre développe un article de l’auteur paru dans Aleteia sous le titre « J’ai faim ! », cri d’un fidèle privé de communion. Cri d’enfant gâté comme il lui fut reproché, remise en cause des propositions pastorales en l’absence de communion que certains crurent discerner ou véritable cri d’affamé ? C’est ce dernier point qui est ici largement développé, s’appuyant sur l’injonction du Christ à Le manger, injonction dérangeante certes mais sommet de notre vie chrétienne. Vidée de sa réalité, elle affadit notre foi en la Présence Réelle dans un mouvement qui ne cesse de s’accélérer.

Cette réalité n’est pas nouvelle et convoqué comme témoin inattendu aux côtés de théologiens de renom tel le cardinal Journet, François Mauriac devient un fil conducteur pour mesurer les conséquences de cet étiolement annoncé dans les années 1966. Suite notamment à la plainte d’un prêtre privé de Fête-Dieu par sa hiérarchie, ses chroniques journalistiques de « Bloc-Notes » anticipent avec une prodigieuse acuité nos renoncements d’aujourd’hui.

Fort de nombreuses et belles références, de témoignages actuels, teinté d’un humour bienveillant, ce livre donne de nombreuses pistes et arguments pour appuyer cette défense de l’Eucharistie. Ainsi, « en dépit de tous les évènements, de tous les bouleversements dans l’Église et de cet immense reflux de la foi, tant qu’il restera des hommes pour croire au Pain vivant, rien ne sera perdu » (F. Mauriac).

Anne-Françoise Thès

CINÉMIRACLES
L’émerveillement religieux à l’écran
TIMOTHÉE GÉRARDIN
Édition Playlist Society, 2020, 168 pages, 14 €

Le titre de ce livre original en dit bien l’objet : c’est l’étude de la place et du rôle des miracles dans les films. Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal : le miracle à l’écran apparaît dès l’origine du cinéma, précisément dans le film de Méliès (aujourd’hui perdu) Le Christ marchant sur les eaux (1899). En faisant un zoom arrière, on peut considérer que la représentation du surnaturel à l’écran s’inscrit dans la longue histoire des images et du sacré, avec ses incessants combats d’iconoclastes et d’iconodules.

Timothée Gérardin étudie d’abord la dimension religieuse (sans rien confier de lui-même à cet égard mais en montrant une culture chrétienne assez rare chez un jeune critique de cinéma). Il navigue ainsi entre Ordet, de Dreyer (1955), et les Dix commandements de DeMille (1956), cernant avec précision le caractère authentiquement sacré des scènes, en lien avec la disposition du public à les comprendre. Car le miracle au cinéma n’intéresse évidemment pas les seuls protagonistes de l’intrigue mais d’abord ses premiers destinataires, les spectateurs. Le miracle au cinéma n’est ainsi pas seulement l’intervention divine, il en existe toute sorte de déclinaisons que l’auteur débusque avec le flair du cinéphile, dans les films d’auteurs pointus, tels Ferrara ou Aronofsky, comme dans des blockbusters avec Christian Bale ou Jim Carrey. Si le lecteur cinéphile fera son miel de ces lectures sagaces, le lecteur chrétien se réjouira de voir comment la dimension surnaturelle au cinéma, apparue dès sa naissance, ne l’a pas déserté, malgré tant d’exemples contraires.

François Maximin

LA CHAPE DE PLOMB
ALAIN DE BENOIST
La Nouvelle Librairie, 2020, 240 pages, 14,90 €

Où nous en sommes, chacun (s’il se donne la peine d’observer et de réfléchir un peu) devrait le savoir. Qu’on l’appelle « terrorisme intellectuel », ou « police de la pensée », ou d’autre façon, ce joug pesant ne semble jamais avoir fait ployer un si grand nombre de têtes, étouffé à tel point les idées non conformes, marginalisé autant « ceux qui se situent en dehors du cercle vertueux de la doxa dominante ». Car il faut, oui il faut disqualifier et museler, « passer un anneau dans le nez à l’opinion », intimider et provoquer la crainte, même criminaliser l’adversaire. Plus ingénieusement, il faut, au besoin, chercher au-delà des apparences et lire entre les lignes, pour mieux « confondre » et « démasquer ». Ouvert le procès d’intention, on décrypte, on décode, on dépiste le « non-dit ». Bref, « la police de la pensée devient une police des arrière-pensées ».

Prodigieux dispositif de normalisation visant à exclure tout discours malséant, à considérer comme impropre ou inadéquat tout ce qui de près ou de loin s’en approche, la pensée unique, dès lors, ne s’embarrasse pas d’idées justes ou fausses. Seules lui conviennent les idées en résonance avec l’esprit du temps, déclarées correctes. Pas les idées supposées odieuses, vieillottes ou archaïques, pas les idées illégitimes et donc intolérables. De sorte que le fameux éloge du pluralisme aboutit (de facto sinon de jure) à sa quasi disparition et à la mise en place, nécessaire bouclier des bons sentiments, d’une surveillance généralisée.

Bien entendu, inutile de demander quels sont les principaux vecteurs de l’idéologie en question. Distillée à l’identique par tous les grands médias où règne la connivence fondée sur une semblable appartenance à la Nouvelle Classe, et d’abord sur des intérêts communs, où journalistes, politiciens et show business nouent des relations incestueuses, où rien, dans le cageot des références, ne singularise, où le débat n’est que pour la frime, styles et contenus se ramènent à des stéréotypes. Au total, entre idéologie dominante et système des médias, actuel premier pouvoir, une très évidente et très satisfaisante idylle… productrice de la plus efficace machine à repérer le « racisme » et le « sexisme », à défendre le « droit des minorités à ne pas être offensées » (droit plutôt à ahurir, culpabiliser, s’imposer), à rompre la communauté nationale au bénéfice spécifique d’un « empilement de susceptibilités ».

Six textes composent cet ouvrage. Redoutables par leur cohérence et leur précision. Implacables envers les escrocs et les menteurs. Nourris, documentés, informés. C’est du cousu main.

Michel Toda

TÊTES DE MULE
ÉTIENNE GENDRIN
La Boîte à Bulles, 2020, 168 pages, 25 €.

L’action du scoutisme dans la Résistance est un épisode encore peu étudié de la Seconde Guerre mondiale. Quelques spécialistes sont cependant intervenus sur ce sujet lors de colloques. Mais le grand public sera certainement passionné par une bande dessinée historique qui retrace l’action du « Réseau Pur-Sang » d’Alsace. Le nom même de ce réseau pourrait laisser croire au titre d’un roman de la collection « Signe de piste » et, pourtant, rien de plus vrai que cette histoire. À la fin de 1940, de jeunes Guides de France (association féminine de scoutisme catholique) décident de venir en aide aux prisonniers de guerre internés à Strasbourg. Pendant deux ans, elles vont non seulement nourrir une partie d’entre eux, mais organiser une véritable filière d’évasion permettant à près de 500 détenus (ainsi qu’à des jeunes gens fuyant le « service du travail du Reich ») de quitter l’Alsace.

Fortes de leur connaissance du terrain et des capacités techniques acquises lors des activités de scoutisme, ces jeunes Guides réalisent un véritable exploit, sans toujours se rendre compte du danger qu’elles affrontent et des risques qu’elles courent. Les Allemands sont loin, très loin, de s’imaginer que des jeunes filles leur jouent ce tour pendable. C’est donc presque par hasard qu’ils arriveront à démanteler ce réseau très spécial.

Dans l’album qu’il lui a consacré, Étienne Gendrin suit les pas d’Alice Daul, un des plus forts caractères de cette organisation, de son retour en Alsace à sa propre évasion, en passant par la structuration du réseau, les conduites des prisonniers dans les Vosges sous la neige ou les inquiétudes et les craintes qui traversent les jeunes filles. Le catholicisme et la vie spirituelle de ces Guides de France ne sont pas cachés, mais sans être jamais assenés. Le dessin surprendra peut-être, mais il sert remarquablement l’intrigue, l’auteur étant parvenu à rendre haletant un récit dont la fin est pourtant connue. Si Alice Daul est décédée en 2011, un dernier membre du réseau est toujours vivant. Le Reich a vraiment perdu la partie…

Philippe Maxence

LA GRÂCE
THIBAULT DE MONTAIGU
Plon, 2020, 368 pages, 20 €

« Dieu était là, à l’intérieur de moi et derrière toute chose. Ici et nulle part à la fois, dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, immergé dans l’univers et l’univers immergé en lui… Alors, je me suis mis à pleurer comme jamais dans ma vie. Les hymnes montaient vers les cieux et je me sentais littéralement déchiré de joie. » C’est ce qu’on appelle une expérience divine, une rencontre bouleversante. Les récits de conversion sont multiples, plus ou moins accessibles. Celui-ci se démarque et révèle la finesse de son auteur. Outre que la plume de Thibault de Montaigu vous embarque totalement, l’authenticité de son propos touche particulièrement. Aucun faux-semblant ni recherche de mise en valeur ne viennent gêner le bout du chemin effectué à ses côtés. Écrivain de 37 ans, marié et avec deux enfants, il fait partie de ces êtres sans demi-mesure, goûtant la vie entièrement mais sans pour autant en toucher l’essence. Lorsque Dieu se saisit de cette brèche pour se faire connaître, il est alors amené à se pencher sur la vie de son oncle franciscain, Christian. Commence ainsi un parcours biographique qui dévoile la personnalité de Christian avec ses ombres et ses lumières, et qui souligne la proximité de ces deux grandes âmes. Le parallèle entre les deux existences s’agence avec délicatesse et évite l’écueil de l’introspection égocentrique. En outre, elle donne une profondeur appréciable aux réflexions si contemporaines et si justes de l’auteur ; son regard sur l’Église, par exemple, à la fois respectueux mais aussi critique, apporte un point de vue intéressant. Enfin, la sensibilité propre au cœur qui a souffert, qui grandit et apprend encore porte l’ensemble et réussit à marquer d’une empreinte non négligeable le cœur du lecteur qui peut, lui aussi, se laisser travailler par la grâce à son tour. Une évangélisation à part entière finalement.

Laurence Geffroy

LE PÈRE HERMANN COHEN (1820-1871)
Un romantique au Carmel
STÉPHANE-MARIE MORGAIN
Parole et Silence, 2020, 1056 pages, 35 €

Cette biographie, publiée à l’occasion du deuxième centenaire de la naissance d’Hermann Cohen, devenu le carme Augustin-Marie du Très-Saint-Sacrement, renouvelle et élargit considérablement ce qu’on savait de lui. Il est de la lignée des nombreux convertis du judaïsme au XIXe siècle (les frères Ratisbonne, le rabbin Drach, les frères Libermann, et bien d’autres), mais chacun a eu un chemin différent.

L’auteur, carme spécialiste du XVIIe siècle et de l’histoire du Carmel, a exploré un nombre considérable d’archives, notamment des correspondances (les sources et la bibliographie occupent plus de cent pages). Il a voulu raconter la vie d’Hermann Cohen « exactement et minutieusement », selon la méthode suggérée par Thomas Mann dans La Montagne magique, qui expliquait aussi : « Sans craindre de nous exposer au reproche d’avoir été méticuleux à l’excès, nous inclinons au contraire à penser que seul est vraiment divertissant ce qui est méticuleusement élaboré. »

L’ouvrage raconte donc dans le détail la vie d’Hermann Cohen et la situe dans le contexte culturel et religieux de son temps. Avant sa conversion, à l’âge de 26 ans, il fut un musicien de renom, promis au plus bel avenir. Devenu carme, il conserva certains traits de son tempérament. Il apparaît, écrit le P. Morgain, « avec ses forces et ses faiblesses, sa sensibilité extrême et parfois agaçante et son caractère trempé, prompt à la rupture de relations. Cette forte personnalité romantique, dans sa musique comme dans sa prédication, fait littéralement exploser les cadres préconçus du “carme idéal”. Là où d’autres prêchent sagement sur les questions de dogmes, de morale ou d’ecclésiologie, il parle de lui-même, de sa conversion, de ses égarements passés, de sa quête de bonheur ; là où d’autres gardent sagement la cellule et la clôture, se contentant d’une promenade dans le jardin conventuel, il parcourt la France, l’Angleterre, l’Irlande, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, en bateau, train, diligence ; là où d’autres fréquentent les gens de leur milieu social et ecclésial, il passe certaines de ses soirées dans les salons d’évêques, de cardinaux, de nonces, de princes, de rois et de reines ». Mais il n’est pas devenu un carme mondain. La devise qu’il a choisie – « Tout pour Jésus ! » – dit bien le but de ces voyages et de ces rencontres. Celui qui était devenu le Père Augustin-Marie fut un missionnaire de l’Eucharistie, un prédicateur recherché, le fondateur du carmel de Londres en 1862.

Yves Chiron

CHRISTUS VINCIT
Le triomphe du Christ sur les ténèbres de notre temps
Mgr ATHANASIUS SCHNEIDER
Contretemps, 2020, 400 pages, 25 €

Porté par les cardinaux Sarah et Burke, présenté sous forme d’entretien (avec la journaliste américaine D. Montagna), le livre de Mgr Schneider, évêque auxiliaire de Notre-Dame d’Astana, au Kazakhstan, reprend de nombreux thèmes chers à l’auteur sur les signes des temps et le déclin actuel de l’Église catholique.

La première partie, autobiographique, celle d’un enfant né en Kirghizie dans une famille de déportés par Staline conservant une foi inébranlable malgré la clandestinité et les persécutions et qui est sacré évêque en 2011, est passionnante.

Les périls actuels menaçant l’Église sont ensuite largement développés : sécularisation et déchristianisation, laïcité, islamisation, indifférence religieuse… Mais la crise est aussi interne et le constat d’une barque qui n’en finit pas de prendre l’eau de toute part est souvent accablant. Les réflexions de Mgr Schneider se veulent percutantes, parfois déroutantes, mais pour qui veut bien les lire, elles peuvent être de solides pistes de réflexion et d’approfondissement doctrinal. On eut aimé trouver dans ce livre une plus grande mise en lumière des signes d’espérance pour éclairer d’une véritable dimension missionnaire ces maux.

Anne-Françoise Thès

J’AI PARDONNÉ
FOUAD HASSOUN
Mame, 2020, 240 pages, 14,90 €

C’est un extraordinaire témoignage de résilience, mais surtout un magnifique chemin de pardon que nous propose cette autobiographie de Fouad Hassoun. Devenu aveugle suite à un attentat à Beyrouth, lui, le brillant étudiant en médecine qui souhaitait devenir ophtalmologue, l’auteur, qui incarne tant l’âme libanaise dans cette capacité inouïe à se relever des situations les plus tragiques ou déses­pérées, nous entraîne à un rythme soutenu dans ces années où le handicap ne l’empêche pas de croquer la vie à pleines dents : études supérieures en France et petits jobs, rencontres providentielles et belles amitiés, voyages et pèlerinages, sa piété mariale est indéfectible. Son récit est un tourbillon, reflet d’une certaine ivresse voulant occulter ce sourd appel du Christ à pardonner inconditionnellement à l’auteur de l’attentat, un chemin de Damas jusqu’au jour où son cœur se dessille.

Marié, père de famille, chef d’entreprise, l’auteur consacre désormais beaucoup de temps à témoigner de cet itinéraire de libération, de paix et de bonheur qu’est le véritable pardon.

Anne-Françoise Thès

LE COMBAT SPIRITUEL
Clé de la paix intérieure
JOËL GUIBERT
Artège, 2020, 284 pages, 18 €

En cette période anxiogène, la lecture de cet ouvrage s’avère précieuse pour surmonter les subtiles et perverses manœuvres de Satan dont le projet est de détourner l’homme du bonheur pour lequel Dieu l’a créé. La recherche de ce bonheur ne doit cependant pas être confondue avec la quête d’un développement personnel qui risque d’évacuer la croix, de négliger les moyens offerts par la grâce, la prière et les sacrements, et de chercher l’équilibre dans un optimisme qui est une contrefaçon de l’espérance. « L’oubli de l’âme est la grande pauvreté de nos sociétés sophistiquées et la cause principale de leur grand mal-être », constate l’auteur.

C’est donc sur la voie d’un authentique combat spirituel en vue de retrouver la paix et la joie, dans la confiance en l’amour de Dieu, que nous engage ce prêtre en s’appuyant sur son expérience de prédicateur de retraites. Avec simplicité, il pose un diagnostic lucide sur le processus qui conduit au péché. La tentation, dans ses diverses formes, fait ici l’objet d’une remarquable pédagogie. Deux maladies de l’âme retiennent par ailleurs son attention, en premier lieu la « philautie », amour démesuré de soi jusqu’au mépris de Dieu que l’homme moderne ne sait plus entendre et qu’il n’attend plus. Mère de toutes les passions, cette pathologie spirituelle atteint des records dans le monde actuel. Il y a aussi l’« acédie », désespérance profonde dont souffre l’homme contemporain pris au piège d’une modernité qui l’a fait passer de l’émancipation à la transgression. « Nous sommes en présence de la tentation démiurgique la plus aboutie », en déduit l’auteur.

Parmi les remèdes concrets proposés par le P. Guibert pour guérir de ces maux, on retiendra ces deux conseils : dire « oui » à sa vie, à son histoire et à l’instant présent, attitude où le rejet de la rancœur et le pardon tiennent une place essentielle ; entrer dans « l’indifférence spirituelle » par une démarche qui se distingue du fatalisme. Il s’agit au fond d’être du monde et de l’aimer sans épouser l’esprit du monde.

Annie Laurent

MÉLENCHON : LA CHUTE
HADRIEN MATHOUX
Éditions du Rocher, 2020, 318 pages, 20,90 €

Tout de suite, mettons les points sur les i. Peu nous chaut d’entendre dire du camarade Mélenchon qu’il a du savoir, du talent, qu’il est un vrai orateur. Ou qu’on reconnaisse, à certains égards, le bien-fondé de ses attaques virulentes contre le « parti médiatique ». Car nous sommes, sans restriction, sans réserve, devant un ennemi, et qui n’a jamais cessé de se déclarer tel. Ainsi en 2008 quand mourut Alexandre Soljénitsyne, qualifié de « baderne passéiste », ou encore d’« inepte griot de l’anticommunisme officiel », naturellement « confit en bigoteries nostalgiques »… Bref, sortir des clous de la sainte gauche, lui ? Au moins tourner le dos à ses vieux totems et renouveler le logiciel idéologique de son camp ? Plusieurs, voici déjà quelque temps, crurent cela possible. D’autres l’espérèrent. Lourde erreur !

Deux choses, en effet, doivent être considérées : 1/ Mélenchon, personnage répulsif mais doté d’un ascendant hors du commun ; 2/ la smala de Mélenchon, à la fois entourage et tribu, où se jouerait un match entre « gauchistes » et « jacobins », ceux-ci cultivant l’idée de République, de laïcité, et donnant un rôle décisif à l’État et le primat au combat social. Or, la première tendance, sorte de trotskisme post-modernisé, de « gauchisme décomposé » post-soixante-huitard adepte des cultural studies américaines et de l’écriture inclusive, semble de plus en plus avoir le pompon. Notamment sur l’immigration où s’affiche à présent (voir le texte pondu en 2018 par le groupe parlementaire des Insoumis et leur programme aux élections européennes de 2019) une posture maximaliste qui, au nom d’un « accueil inconditionnel », présuppose (ni droit du sang, ni droit du sol) le droit universel de s’installer en France, quel qu’en soit le motif, et de bénéficier simultanément des prérogatives des citoyens et de l’assistance particulière aux réfugiés. Triomphe de la mouvance no border…

Rien donc ne demeure, observe très bien Hadrien Mathoux, des anciens louvoiements mélenchoniens, des signaux contradictoires, tantôt cosmopolites, tantôt populistes (du style Je crois au bon usage des frontières). Idéologie conjointe des financiers, des passeurs clandestins et des mafias, le sans-frontiérisme résume aujourd’hui le discours et l’activité du meneur et de sa sinistre bande.

Michel Toda

L’ÉTOILE BLANCHE
MADELEINE FAUCONNEAU DU FRESNE
Edisens, 2020, 300 pages, 19 €

Les catholiques furent plus nombreux que ne le croient certains à sauver la vie de Juifs sous l’occupation allemande. Ce fut le cas d’un de mes oncles qui, pour avoir tenté de protéger une Juive, fut déporté au camp de Neuengamme, y périt, et fut déclaré « Juste parmi les nations ». Madeleine Fauconneau du Fresne (1893-1976) obtint la même distinction mais survécut à la guerre. Elle était aussi une catholique ardente, une véritable âme de foi et de feu, dont les mémoires de guerre viennent d’être retrouvés par son petit-neveu, Emmanuel Rougier, DRH du Secours Catholique, qui les a complétés par un fort appareil critique. Ils sont publiés sous le titre L’Étoile blanche car elle fut affublée de cet insigne comme « Amie des juifs » au camp de Beaune-la-Rolande où on l’interna en 1943. Elle sauva de la déportation son amie Yvonne Netter en organisant son évasion du camp de Pithiviers, et cette avocate juive se convertit sous son influence au catholicisme. Son récit très vivant s’achève cependant en 1947 sur cette observation désenchantée : « Nous sommes sous la botte du Matérialisme-roi. »

Denis Sureau

LA CONFRÉRIE DES INTRANQUILLES
21 portraits en tout
LAURENT DANDRIEU
Éditions de l’Homme Nouveau, 2020, 204 pages, 12 €

21 portraits d’écrivains, 21 miniatures ciselées en quelques pages ; de cette improbable confrérie, tous ont en commun d’être aimés de Laurent Dandrieu qui met en lumière ce reflet diffus, parfois nostalgique, d’une révélation qui ne cesse de les hanter : cette intranquillité, secrète ou dévoilée, transparente dans leurs écrits ou dessins, ou parfois confiée à leurs carnets ou journaux.

Montaigne, Barrès, Fitzgerald, Anouilh, Hergé, Vialatte, Raspail, Sureau, Cioran, Perret… on les voudrait tous citer. La confrérie s’agrandira indubitablement, mais gageons qu’après avoir lu ce livre, vous ne pourrez résister à l’envie de découvrir, ou redécouvrir, pour ceux qui ont pu être de vieux compagnons de lecture, ces auteurs et leurs œuvres, vous offrant ainsi un long et paisible voyage au pays de l’intranquillité.

Anne-Françoise Thès

SAINT AUGUSTIN
Maître de prière et Docteur de la louange
PÈRE EMMANUEL-MARIE, Abbé des Chanoines de Lagrasse
Édition du Carmel, 2020, 140 pages, 11 €. Voici un petit livre à recommander tout particulièrement. L’auteur se met à la place de saint Augustin et, après un bref récit de sa vie, explique sa conversion et ses conseils pour la prière de chacun de nous. C’est clair, accessible et cependant profond. Une réussite.

Christophe Geffroy

MANILLE EMBARQUEMENT IMMÉDIAT
CECILE QUINIOU
Mame, 2020, 238 pages, 15,90 €

Cécile Quiniou signe ici par ce premier opus une série de forts sympathiques livres destinés à un public d’adolescents. Jade, jeune lycéenne, suit ses parents dans une expatriation de trop à son goût, à Manille aux Philippines. Contre toute attente, c’est le début de trépidantes aventures qui l’amènent à découvrir le travail de jeunes volontaires dans les bidonvilles – l’auteur fut elle-même volontaire pour Enfants du Mékong à Manille. Soutenue par une famille aimante mais emportée par un enthousiasme inconscient, elle se retrouve au cœur de rocambolesques et dangereuses péripéties dans cette mégalopole tentaculaire. Le rythme est rapide, l’intrigue bien ficelée et l’héroïne devrait conquérir un large public. Les tomes 2 et 3, de la même veine, la retrouvent à Buenos Aires puis à Calcutta.

Anne-Françoise Thès

L’ATTAQUE DU CALCUTTA-DARJEELING
ABIR MUKHERJEE
Gallimard, Folio policier, 2020, 464 pages, 8,50 €

Ce premier volume de la série d’enquêtes du capitaine Sam Wyndham de Scotland Yard, policier tout juste sorti des tranchées, plonge son lecteur dans l’Inde coloniale britannique. Nous sommes en 1919. C’est un pur bonheur de lecture, dû à l’histoire, une enquête de type Agatha Christie, mais aussi à l’écriture et à l’humour de l’auteur. Abir Mukherjee est un écrivain dont la famille est d’origine indienne, il a grandi dans l’ouest de l’Écosse, comme plusieurs de ses personnages hauts en couleur. L’attaque du Calcutta-Djarjeeling est son premier roman. La seconde enquête de Wyndham est aussi parue en France en octobre 2020, en grand format, chez Liana Levi.

Traumatisé par la Grande Guerre et les horreurs vécues dans les tranchées, l’ancien inspecteur de Scotland Yard débarque en Inde à l’appel de son ancien supérieur et se retrouve immédiatement plongé au cœur d’une enquête délicate, sans connaître les us et coutumes des Britanniques locaux, pas plus ceux des différentes ethnies et castes indiennes, ni les rapports de force entre les uns et les autres. Le crime est effroyable et la victime est un Anglais influent dans les sphères du pouvoir politique et économique, de quoi d’emblée soupçonner les milieux indépendantistes. Les choses ne seront pas aussi simples et comme dans tout excellent roman d’enquête… le lecteur n’est pas au bout de ses surprises. Ce livre a obtenu le prix du polar européen 2020, prix d’autant plus mérité que toutes les senteurs de l’Inde émergent de ses pages.

Matthieu Baumier

© LA NEF n°332 Janvier 2021 (mis en ligne le 29 janvier 2021)