Instruction en famille : le régime d’autorisation, véritable parcours du combattant, doit absolument être écarté

Le cadre actuel dans lequel s’inscrit l’instruction à domicile est celui de la déclaration qui présente l’avantage d’être souple tout en permettant des contrôles a posteriori.

Chaque famille doit faire l’objet d’une déclaration au maire et au rectorat et est soumise, dès la première année, et tous les deux ans, à une enquête municipale permettant de vérifier si l’instruction est compatible avec son état de santé et les conditions de vie familiale.

La loi exige désormais des inspections annuelles pour vérifier l’acquisition du socle commun de connaissance qui inclut « la maîtrise de la langue française », ainsi qu’une « culture humaniste et scientifique permettant le libre exercice de la citoyenneté ». Les connaissances acquises doivent correspondre à celles attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement.

Si le premier contrôle n’est pas concluant, un second contrôle est effectué, pouvant aboutir à une injonction de scolarisation dans un délai de 15 jours.

Ce régime est de surcroît un régime qui en permettant aux parents de choisir librement ce mode d’instruction est conforme au principe fondamental de liberté d’enseignement.

Ainsi que l’indiquait le Conseil d’État dans un arrêt du Conseil d’État du 19 juillet 2017, n°406150, « Le principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique […] le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille ».

En pratique, le régime de l’autorisation, outre qu’il violerait la liberté d’enseignement se révélerait source d’une grande rigidité et d’une grande insécurité juridique pour les familles.

Tout d’abord, chaque année, pour chaque enfant, les familles seraient contraintes de déposer un dossier de demande d’autorisation en s’efforçant de rentrer « dans les cases » qui seraient prévues, à savoir, compte tenu des modifications récemment apportées par la commission spéciale de l’assemblée nationale :

  • L’état de santé d’un enfant ou son handicap : un dossier médical serait, à ce titre, nécessaire, accompagné très certainement, d’un avis de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) après une prise de rendez-vous et l’attente, pendant plusieurs mois, d’une ou plusieurs attestations de spécialistes. Les parents des enfants concernés s’inquiètent déjà des rigidités et des incertitudes générées : la dérogation serait-elle limitée aux seuls cas dans lesquels la scolarisation serait rendue impossible ou pourrait-elle s’appliquer dès que la scolarisation est plus compliquée ?
  • La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives : des attestations devraient être fournies, avec le risque d’une appréciation aléatoire de l’adjectif « intensif » ou d’une pénalisation des enfants qui ne font que débuter une activité sportive ou artistique dans le but d’atteindre, potentiellement, un haut niveau.
  • L’itinérance de la famille ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire : à nouveau, des incertitudes seront à craindre en fonction de la notion d’éloignement ou de la plus ou moins grande période d’itinérance géographique par rapport à l’année scolaire ;
  • L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l’instruction en famille. Il faudrait, pour cette dérogation justifier d’une situation propre à l’enfant (en se demandant si elle peut bien être recevable). Ce premier critère dit improprement, de large portée serait inaccessible pour une grande partie des parents puisque détecter une « particularité » chez un enfant en difficulté dans le cadre scolaire peut prendre plusieurs années et nécessiter un budget important. Il faudrait encore rédiger une présentation écrite du projet éducatif (en se demandant s’il sera jugé conforme aux attentes de l’éducation nationale qui devient, par là même, inspecteur des choix éducatifs des parents). Il faudrait enfin justifier de la capacité à assurer l’instruction en famille (en fonction de critères qui seront précisés et qui seront nécessairement discriminants).

Il est précisé dans l’actuel projet de loi que ne pourront pas être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant ce qui conduira, en vertu d’une conception étroite de cette notion, à soumettre à un risque de censure des demandes laissant apparaître une conviction ou un choix particulier des parents (vision éducative et pédagogique par exemple) ou bien une motivation sous-jacente liée au contexte et aux contraintes familiales.

Après les mois nécessaires à la constitution du dossier et le dépôt de l’autorisation, suivrait une phase nécessairement inconfortable, voire angoissante d’attente d’une réponse favorable ou défavorable de l’académie.

Cette période sera d’autant plus inconfortable que, dans le même laps de temps, les parents se retrouveraient placés face à un risque croissant de ne plus trouver de places dans les établissements scolaires susceptibles d’accueillir le ou leurs enfants en cas de refus.

À l’issue du délai de deux mois, surgirait soit un silence valant acceptation, soit une décision expresse favorable ou défavorable de l’académie.

Du fait de ces délais, toute décision des parents de mettre un enfant en instruction en famille en cours d’année du fait, par exemple, d’un cas de harcèlement ou de phobie scolaire serait rendue impossible.

Dans le cas d’une décision défavorable, même parfaitement arbitraire et discriminatoire, les parents n’auraient pas d’autre choix que de se préparer à rescolariser leurs enfants pour l’année concernée.

En effet, sauf si la loi en dispose autrement, le recours gracieux puis contentieux devant le juge administratif est toujours non suspensif.

S’ils souhaitent contester, ces parents seraient contraints de déposer un recours pour excès de pouvoir devant le juge du fond contre la décision de refus et un référé suspension devant le juge des référés pour espérer, (si la condition d’urgence est considérée comme remplie), que cette décision de refus soit suspendue.

Mais, même dans le cas d’un succès du référé suspension, ces parents ne seront pas au bout de leurs peines : le juge des référés enjoindra à l’administration de réexaminer leur demande ce qui fera courir un nouveau délai alors même que, pendant ce temps, l’année scolaire continuera de s’achever… et l’ordonnance du juge des référés n’aura qu’un effet provisoire tant que le juge du fond n’a pas statué.

Il faudra attendre au moins deux ans avant que le juge administratif ne décide ou non d’annuler la décision de refus. Pendant ce temps, l’administration aura tout à fait la possibilité, lors des années scolaires suivantes, d’opposer de nouveaux refus qu’il faudra à nouveau attaquer, avec les honoraires d’avocat nécessaires.

C’est sans compter, bien entendu, sur la possibilité d’un appel formé par l’État, voire d’un pourvoi en Cassation devant le Conseil d’État.

Même, dans le cas d’une décision favorable, surtout si elle est implicite, les familles demeureront toujours confrontées à une insécurité juridique particulièrement lourde.

En effet, l’article L.242-1 du code des relations entre le public et l’administration permet à l’administration de retirer dans un délai de 4 mois une décision créatrice de droit qu’elle considère comme illégale.

Ainsi, si l’académie, débordée par le nombre des dossiers à traiter, a laissé passer le délai de 2 mois en laissant surgir une décision implicite d’acceptation, elle pourra tout à fait revenir sur cette décision implicite d’acceptation en jugeant qu’elle n’était pas légale, puis en procédant à son retrait.

L’administration pourrait également profiter d’une enquête sociale de la Mairie ou d’une inspection pour retirer une autorisation délivrée depuis moins de 4 mois.

Enfin, même après l’écoulement de ce nouveau délai de 4 mois, un risque de disparition de l’autorisation subsistera :

  • Dans le cas où, par exemple, à l’occasion d’une inspection, l’académie estimerait que la condition qui avait permis la délivrance de l’autorisation n’est plus remplie, parce que la situation a évolué en cours d’année, l’État aurait la possibilité, en application de l’article L.242-2 du code des relations entre le public et l’administration, d’abroger, à tout moment, l’autorisation délivrée.
  • À l’occasion d’une inspection, l’État pourrait tout à fait considérer qu’elle a été induite en erreur à l’occasion du dépôt de la demande d’autorisation par exemple à propos de la fameuse situation propre à l’enfant ou du projet éducatif ou de la capacité à assurer l’instruction en famille. Dans ce cas, conformément à l’article L.241-2 du code de relations entre le public et l’administration, une fraude pourrait être alléguée et l’autorisation pourrait être retirée à tout moment. Le projet de loi ajoute même que les personnes responsables de l’enfant recevraient alors une injonction de scolarisation dans un délai de 15 jours.

En résumé, le régime d’autorisation, outre qu’il hypothèque toute possibilité de choisir l’instruction en famille par simple choix et ou par simple conviction fait peser sur les familles et les enfants qui y auraient recours une perpétuelle épée de Damoclès.

L’état de santé d’un enfant, voire même son handicap, l’éloignement géographique, la situation propre à l’enfant, le projet éducatif, la capacité des parents telle qu’elle est entendue sont des critères éminemment subjectifs et susceptibles de varier à tout moment en cours d’année scolaire.

Dans ce contexte, toute enquête sociale ou toute inspection risquerait de remettre en cause les conditions initiales ayant donné lieu à la délivrance de l’autorisation.

Dans ce contexte, les inspections seraient vécues de manière particulièrement angoissante pour les familles.

Enfin, les parents seraient tenus d’être prêts, à tout moment, à rescolariser leurs enfants, le délai très court les privant de toute possibilité d’anticipation.

Le choix de l’instruction en famille est souvent un choix inscrit dans la durée. Le régime annuel d’autorisation remet radicalement en cause ce choix et fragilise les familles et notamment les enfants, en les exposant à des démarches lourdes de justification ou à des rescolarisations en cours d’année qui peuvent se révéler déstabilisantes pour les enfants.

C’est sans compter sur le caractère nécessairement traumatisant de décisions vécues comme arbitraires et de contentieux devant le juge administratif.

Au lieu de permettre une collaboration sereine, les relations entre les familles et l’éducation nationale se trouveraient plombées par un climat de défiance préjudiciable à tous et notamment aux enfants qui seraient les premiers à souffrir d’une telle intrusion dans leur vie privée.

Lors de son audition au Sénat du 18 juin 2020, dans une séance portant précisément sur la lutte contre la « radicalisation », le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait répondu au sénateur Jean-Marie Bockel qui lui demandait s’il fallait « aller jusqu’au bout, interdire ou conditionner davantage l’enseignement à domicile ? » : « La liberté d’instruction à domicile a un fondement constitutionnel puissant, qui doit cependant s’équilibrer avec d’autres principes […]. Je pense qu’il faut appliquer les règles que nous avons établies dans la loi de 2019. La mise en œuvre débute ; nous sommes en phase ascendante, mais l’objectif de 100 % de contrôles réalisés n’est pas atteint. Il y a donc encore des progrès concrets à faire. Cependant, sur le plan juridique, je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre »

Quelques mois à peine après cette déclaration, l’annonce d’un régime de l’autorisation contraire à la liberté d’enseignement, impraticable et proprement inhumain rompt cet équilibre.

Pour ce motif, l’article 21 de l’actuel projet de loi doit être rejeté par les parlementaires si ceux-ci veulent continuer à se présenter comme les gardiens de nos libertés.

Bernard RINEAU, Avocat associé
Hubert VEAUVY, Avocat en droit public

Le 4 février 2021, mis en ligne le 9 février 2021