Aung San Suu Kyi © Sikarin Thanachaiary-commons.wikimedia.org

La Birmanie sous le joug militaire

Le prix Nobel de la paix Aung San Su Kyi est en prison. Héroïne de la lutte non violente elle et tout son état-major ont été escamotés de la scène politique. Son adjoint, le président du parti LND, a été incarcéré sous prétexte d’avoir importé six talkies-walkies sans autorisation !
Fait beaucoup plus marquant : l’opinion internationale est presque muette. C’est à peine si l’on a entendu Joe Biden tousser et les responsables de l’Union européenne dire que ce que faisait la junte birmane n’était pas bien. Comment l’idole d’hier a-t-elle pu être passée par profit et perte de la conscience internationale ?

La junte au pouvoir jusqu’en 2015
Jusqu’en 2015 le pays était gouverné par une junte militaire (le Programme du Parti Socialiste Birman) soutenue par la Chine, présente par son apport en matériel militaire si nécessaire pour lutter contre les ethnies Karens, Kachin et Shan. La Chine construit de nombreux barrages sur l’Irawady avec le concours d’une immigration ouvrière chinoise massive. Elle domine le secteur financier.
La junte souhaitait entrer dans l’ASEAN et obtenir l’aide du FMI. Ces institutions agréèrent sous réserve d’élections libres. Aung Su jusque-là assignée à résidence obtint, en 2015, 78 % des suffrages à la consternation des militaires. Ceux-ci imposèrent alors trois conditions pour passer le pouvoir : que nulle personne mariée avec un étranger ne puisse présider le pays (1) ; que 25 % des députés soient désignés par l’armée ; que les ministères de l’armée et de la police restent sous l’autorité de la junte. La communauté internationale s’inclina.
Aung San Su Kyi voulait desserrer la dépendance économique de son puissant voisin chinois en sollicitant les investissements indiens et occidentaux. Elle parle couramment l’anglais et bien le français. Élevée chez les sœurs catholiques anglaises puis en Inde au collège Notre-Dame de Delhi, elle épousera un professeur d’Oxford. Sa carrière internationale lui permettra de développer son pays rapidement.

Interminables combats
La Birmanie a été l’objet de combats interminables entre la junte et certains États Karen et Kachin où la présence chrétienne est prépondérante. La « dame de Rangoon » a pris la défense des Kachins en faisant annuler les gigantesques travaux entrepris par les Chinois à Myistone. Ces derniers avaient expulsé les populations.
C’est dans ce contexte tendu qu’a explosé « l’affaire des Rohingyas ». Cette ethnie venue du Bengladesh est musulmane et fort influencée par les islamistes. Aung San Su Kyi tentera de trouver les conditions d’une assimilation de cette minorité apatride. Elle mettra sur pied une commission de conciliation à la tête de laquelle elle proposera à Kofi Annam d’établir les conditions d’un modus vivendi. La réponse à cette initiative fut donnée par l’ASRA (l’armée du salut des Rohingyas) fortement équipée par des États islamiques. Celle-ci attaquera une vingtaine de postes-frontières en tuant 50 civils et 21 policiers. À ces attaques l’armée qui, je le rappelle, échappe à l’autorité de Su, réagira violemment. On connaît la suite, la fuite des populations rohingyas au Bengale et la campagne d’accablement internationale contre Aung San Su Kyi. Cette campagne diffamatoire scandalise la population, le cardinal Bo et le clergé catholique qui s’insurgent. Les Birmans considèrent cette injustice comme un complot. Les derniers évènements leur donneront raison.

Aung San Su Kyi vilipendée
Anne Hidalgo déchoit l’héroïne de son statut de citoyenne d’honneur de Paris, des pressions sont faites pour lui retirer son prix Nobel. Le champion de cette mise à mort est le très démocrate… Recep Tayyip Erdogan !
Le parti militaire, trop heureux de voir les tirs concentrés sur celle dont l’image est si dégradée, reste optimiste sur les résultats des élections de novembre 2020. Le démenti qui lui sera infligé est considérable. Ce fut un véritable raz de marée pour Aung San Su Kyi qui l’emportera avec 82 % des voix. Les journaux occidentaux étaient convaincus qu’elle avait déçu les aspirations des minorités, or ces dernières la plébisciteront !
La Chine voit en elle une redoutable stratège qui met une limite à son appétit sur une région qu’elle considère comme sa zone d’influence naturelle. Notamment dans le Nord-Est.
Une image dégradée à l’internationale, la défaite d’un Trump imprévisible donc dangereux, une Europe tétanisée par le virus chinois, tous les pays musulmans de plus en plus influents sur la scène internationale ont été autant de signes favorables à l’élimination du prix Nobel de la paix. C’est, pour ce splendide pays, la loi martiale sous le regard bienveillant de l’Empire du milieu !

Yves Meaudre

(1) Cette condition visait expressément Aung San Su Kyi mariée à un étranger.

Yves Meaudre est vice-président d’Enfants du Mékong et auteurs de plusieurs ouvrages dont le dernier, Ils sont seuls contre le monde, DMM, 2020.

© LA NEF n°334 Mars 2021