Livres Février 2021

LE NOMBRE ET LA RAISON
La Révolution française et les élections
PATRICE GUENIFFEY
Préface de François Furet, Cerf, 2020, 560 pages, 24 €

L’intérêt de cette réédition réside à la fois dans l’analyse du déroulement des élections françaises durant l’époque révolutionnaire et dans le parcours de l’historien Patrice Gueniffey que l’on retrouve dans l’avant-propos. Ce parcours éclaire l’impact qu’a pu avoir cette thèse publiée initialement en 1993. À travers celle-ci, l’auteur aura contribué au basculement de l’histoire de la Révolution française à la fin du XXe siècle sous l’égide de François Furet, préfacier de l’ouvrage.

L’écriture de l’histoire a son propre contexte. 1993, c’est le bicentenaire de la Terreur et l’ultime négation d’un massacre de masse, qui continue de nos jours, malgré les évidences. Ainsi Patrice Gueniffey précise dans son avant-propos : « Chez les historiens qui se revendiquent de la gauche, vient toujours un moment où l’adhésion à des principes abstraits, où le souci de défendre l’héritage de la Révolution française entrave leur raisonnement et surtout les empêche de tirer des conclusions qui pourraient s’imposer. »

L’historien n’avait pas prévu d’investiguer sur cette période de l’histoire de France, encore moins sur l’histoire des élections qui suppose une approche statisticienne. Il ne suivit que les pas de son maître François Furet. La mort de ce dernier et le rejet de la communauté des historiens l’aidèrent à s’émanciper pour écrire sur l’histoire napoléonienne. La Révolution aura apporté plus de mal que de bien, pensa-t-il. Il jugea même la Terreur « consubstantielle à la Révolution française, logée au cœur même des événements de 1789 ». Ces paroles sont restées rédhibitoires pour bon nombre d’historiens.

L’avant-propos nous permet de lire cette thèse exhaustive où l’on découvre progressivement que les élections ne sont qu’un processus mécanique qui ne sert en rien la démocratie : « La machine décide, le peuple opine. » Comme l’explique François Furet dans la préface, « la Révolution est un absolutisme représentatif mêlé de retours insurrectionnels de la démocratie directe ». La Révolution attend des élus, mais elle empêche les candidatures. Le débat électoral se déroule dans le plus grand des secrets. Imaginer un système électoral stable est une abstraction pour forger l’idée d’une révolution pour le peuple. Car, pour les historiens, il ne peut y avoir de démocratie sans élections, comme le rappelle Patrice Gueniffey : « Si la Révolution française a posé les bases de la démocratie moderne, alors la Révolution a nécessairement élaboré dans ses grandes lignes une doctrine moderne du suffrage, et mis en place un système électoral pourvu des propriétés caractérisant le vote dans les démocraties modernes. »

Pierre Mayrant

DOM AUBOURG
Un moine au cœur du monde
Sr AMBROISE-DOMINIQUE SALLERON
Via Romana, 2020, 360 pages, 25 €.

Il est difficile d’imaginer un bénédictin engagé dans les affaires du monde. Ce fut le cas pourtant de dom Gaston Aubourg (1887-1967), moine de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Celui-ci, que Louis Salleron s’était attaché à faire connaître, notamment à travers la publication d’un ouvrage dans la collection « Itinéraires », bénéficie aujourd’hui d’une biographie exhaustive, due à une des petites-filles de l’écrivain, sœur Ambroise-Dominique.

Enfant en Normandie, j’avais entendu parler de dom Aubourg dont on disait presque en murmurant, qu’il avait été un moine en exil. En exil, en France, même ? Lors de la condamnation de l’Action française, en 1926, il n’avait, en effet, pas caché qu’il ressentait vivement cette sentence du pape. Pour préserver la communauté – Pie XI avait pensé à fermer l’illustre abbaye – on envoya le moine normand dans ses terres natales, aumônier d’une communauté religieuse, près de Bayeux. Très clairement, il servit de fusible.

Dans sa besace de moine en exil, sa foi vive, sa vaste culture religieuse et littéraire, son amour de la liturgie. Son franc-parler, aussi. Une physionomie hors du commun que ressuscite parfaitement, à l’aide de documents inédits, venant notamment de sa famille, sœur Ambroise-Dominique.

Longtemps, le moine fut l’ami de Mgr Picaud, évêque de Bayeux. Il le fut aussi de personnalités aussi diverses que Bernanos, La Varende ou Lucie Delarue-Mardrus. Sans oublier, bien sûr, Louis Salleron qui lui resta fidèle toute sa vie. En 1944, dom Aubourg sauve Bayeux de la destruction, lors du débarquement. Dans mon enfance, on s’en souvenait encore. Il participa à la reconstruction avant de connaître peu à peu le détachement total du monde et de mourir à Caen, en 1967.

Aujourd’hui, il repose à Solesmes, loin duquel il vécut si longtemps. Moine fidèle, malgré tout, à sa profession. Moine souffrant, profondément arrimé à la vérité et qui de sa méditation constante a su faire éclore des textes profonds qui restent encore à découvrir. En tous les cas, une grande figure monastique, catholique et française, nous est aujourd’hui pleinement révélée. Enfin !

Philippe Maxence

LE BUREAU. LES JUIFS DE PIE XII
JOHAN ICKX
Éditions VdH/Michel Lafon, 2020, 416 pages, 21,95 €

Le titre est un peu étrange : « le Bureau » est le nom donné par l’auteur à un groupe de prélats qui, sous l’autorité du cardinal Maglione, secrétaire d’État, et en lien direct avec le pape Pie XII, ont œuvré pour sauver, protéger et cacher les Juifs des différents pays de l’Europe occupée. Ils intervenaient par l’intermédiaire des nonces présents dans toute l’Europe occupée.

Le genre littéraire adopté peut également dérouter. L’auteur a choisi non pas de faire une démonstration historique classique qui publierait et commenterait des documents, mais il livre une suite de dix-sept histoires ou chroniques qui mettent en scène des situations dramatiques où le Saint-Siège est intervenu pour venir en aide et tenter de sauver des Juifs.

Mais Johan Ickx est un historien des plus sérieux. Il est un des archivistes du Saint-Siège. Depuis 2006, il a travaillé à l’inventaire du fonds d’archives de la secrétairerie d’État et depuis 2010 il les dirige. C’est à partir des documents d’archives qu’il a découverts qu’il a rédigé ses récits.

Le premier chapitre concerne le sort desJuifs dans la République slovaque inféodée au régime nazi. La Slovaquie était alors dirigée par Mgr Tiso, engagé dans la politique depuis plusieurs années. Les interventions du Saint-Siège, par l’intermédiaire de son représentant diplomatique en Slovaquie, Mgr Burzio, ou directement auprès du représentant à Rome de la Slovaquie, furent multiples et pressantes. Ickx cite de nombreux documents qui montrent les tentatives répétées du « Bureau » pour empêcher ou au moins réduire les effets dramatiques de la politique anti-juive slovaque.

Nombre d’histoires sont tirées aussi de la Série Ebrei, ensemble d’archives qui regroupe les dossiers des Juifs ou des Juifs baptisés qui ont demandé et ont reçu l’aide du pape entre les années 1938 et 1944. Soit 2 800 demandes d’intervention ou de secours, concernant plus de 4000 personnes que Pie XII a essayé personnellement de sauver.

Yves Chiron

PAROLES D’ICÔNES
FRIEDERIKA ANGLÈS D’AURIAC
2020, 126 pages, 2020, 18 € (à commander sur Amazon)

« L’icône est une écriture théologique exprimée par l’image. » Cette définition proposée par Friederika Anglès d’Auriac ouvre l’essai dans lequel elle reprend l’essentiel des enseignements qu’elle a donnés pendant plusieurs années aux élèves de l’atelier d’icônes, fondé par elle-même dans sa paroisse de Saint-Cloud. L’auteur rappelle ensuite la légitimité du culte des images, fondée sur l’Incarnation de Dieu en Jésus-Christ et confirmée par le Magistère de l’Église. Le concile de Nicée II (787), réuni alors que la crise iconoclaste menaçait d’anéantir cette pratique sous prétexte d’idolâtrie, constitue une date-clé à cet égard. Rangée parmi les sacramentaux par le droit canonique, « l’icône bénie prépare notre âme à recevoir la grâce, nous renvoie à l’Invisible, nous le fait découvrir », souligne F. Anglès d’Auriac.

Elle se livre ensuite à des explications historiques, théologiques, spirituelles et symboliques des divers sujets représentés dans ces saintes images, toutes de style byzantin dont certaines sont très célèbres, comme la Trinité de Roublev. Grâce à une pédagogie approfondie, où le sens des gestes du Christ (de la Nativité à l’Ascension), de Marie, des anges et des saints, mais aussi celui des couleurs, tiennent une place essentielle, nous pouvons avec l’auteur « découvrir une Parole vivante que Dieu nous adresse personnellement » pour entrer dans « une conversation avec Lui ». Contempler et méditer la grandeur de tout ce qui constitue le mystère chrétien, tel est le chemin sur lequel nous conduit cet ouvrage réussi.

Annie Laurent

À MES FRÈRES PRÊTRES
PAPE FRANÇOIS
Artège, 2020, 236 pages, 17,90 €

Monsieur Cédric Chanot, diacre permanent du diocèse de Metz, a eu la judicieuse et charitable idée de collecter un certain nombre de textes du pape François qui traitent du sacerdoce et du ministère sacerdotal. J’ose conseiller aux prêtres de France qui ont du mal avec le style du pape François de lire cet ouvrage : ils y découvriront de nombreux conseils spirituels de grande qualité qui les réconcilieront, peut-être, un peu humainement, avec l’actuel successeur de Pierre. Je pense particulièrement à ce que François veut dire lorsqu’il parle de l’attitude du prêtre au confessionnal : « ni rigorisme, ni laxisme » ou encore lorsqu’il parle de l’Église qui doit être un « hôpital de campagne ». Deux exemples : « On confond parfois la miséricorde avec le fait d’être un confesseur “indulgent”. Mais pensez à cela : un confesseur indulgent, pas plus qu’un confesseur rigide, ne sont miséricordieux. Aucun des deux. Le premier parce qu’il dit : “Va de l’avant, parce que cela n’est pas un péché, va, va !” L’autre, parce qu’il dit : “Non, la loi dit… ” Mais aucun des deux ne traite le pénitent comme un frère, ne le prend par la main et ne l’accompagne dans son parcours de conversion ! » (salle Clémentine, 12 mars 2015). Ou encore : « Le confesseur ne fais pas sa volonté et n’enseigne pas sa propre doctrine. Il est appelé à faire toujours et seulement la volonté de Dieu, en pleine communion avec l’Église dont il est le ministre, c’est-à-dire le serviteur » (salle Paul VI, 17 mars 2017). Un livre à méditer pour les évêques et les prêtres. À mon avis.

Abbé Laurent Spriet

ILS SONT SEULS CONTRE LE MONDE
YVES MEAUDRE
DMM, 2020, 340 pages, 23€

Dès les premières lignes de ce très beau livre, on comprend qu’on ne le lâchera pas et surtout qu’il ne vous lâchera pas. Yves Meaudre est non seulement un fin connaisseur de l’Asie du Sud-Est pour l’avoir sillonnée en tous sens pendant de longues années en tant que directeur d’Enfants du Mékong, mais un redoutable analyste des maux de notre époque. Il nous livre ici une analyse sans concession de « la mondialisation heureuse », du communisme ou, comme en Chine, de la conjugaison des deux… Il nous avertit que l’Occident n’est pas à l’abri de ces prédateurs. Au sein même de cet impitoyable environnement, néanmoins, fleurissent des âmes de saints.

Chapitre après chapitre, l’auteur nous raconte leur courage, leur détermination et surtout leur indomptable charité. Il faudrait lire et relire les déclarations de ces missionnaires, évêques ou prêtres, tous sauvagement persécutés et tous remplis d’une magnifique confiance en la Providence divine, comme d’une paisible sérénité et de la joie des enfants de Dieu. Ajoutons que ce livre est d’une lecture facile et agréable ; on se laisse envoûter par ces splendides paysages que l’auteur nous décrit presque comme s’il nous montrait une photo.

Un seul petit regret : trop de fautes demeurent, comme si l’ouvrage n’avait pas été relu. Que cela n’empêche pas de lire et faire lire ce beau livre ; puisse-t-il secouer nos léthargies d’enfants gâtés et nous inciter à devenir nous aussi des chrétiens debout, « seuls contre le monde ».

Marie-Dominique Germain

L’AUTRE GUERRE D’INDÉPENDANCE AMÉRICAINE
SYLVAIN ROUSSILLON
L’Artilleur, 2020, 192 pages, 18 €

À la suite de leur Déclaration d’Indépendance proclamée en 1776 au congrès de Philadelphie et d’une guerre difficile terminée en 1783, les colonies anglaises, au nombre de treize, sises sur la côte Est de l’Amérique, s’étaient dotées en 1787 d’une Constitution et avaient élu en 1789 leur premier président. Mais le sens de la solidarité y existait à peine, et entre ces États naissants affleurait tout juste la conscience d’être unis. D’ailleurs, la paix advenue, ce fut du bout des lèvres que les Britanniques s’accommodèrent de la nouvelle situation. Et comme ceux-ci, à partir de 1793, vont encore se trouver en lutte ouverte contre la France, ils ne tarderont pas à s’en prendre aux vaisseaux de commerce battant pavillon américain, soupçonnés de passer des marchandises en fraude, à en confisquer les cargaisons, même à en capturer les équipages et les enrôler de force à bord de leurs propres bâtiments. Pour l’ancienne puissance coloniale, pas d’eaux territoriales américaines et pas davantage d’US Navy, non plus, à l’évidence, que de souveraineté des États-Unis, neutres ou pas.

Cependant, en 1807, l’affaire de la frégate Chesapeake agressée par une frégate anglaise a soulevé l’indignation (vengée en 1811 par une autre frégate américaine devant une corvette de la Royal Navy). Jeux maintenant égaux ? De toute façon, la longue liste des offenses subies au cours de plus d’une décennie, l’attitude invariablement arrogante d’Albion, allaient susciter un état d’esprit belliciste chez une jeune nation en train de poser ses marques. Et donc, en juin 1812, résolue à faire parler la poudre.

Ainsi du côté américain, bannir les Anglais du continent en s’emparant du Canada et mater leurs alliés indiens ; du côté anglo-canadien, non point reconquérir des colonies rebelles mais, afin de mieux étouffer toute velléité expansionniste, agrandir de l’immense Louisiane son domaine originaire – qui serait en partie rétrocédée à un futur État indien. Conflit assez bien baptisé la « seconde guerre d’Indépendance » et prolongé jusqu’aux premiers mois de 1815, il vit, ô surprise, la petite Marine américaine surclasser l’orgueilleuse Marine britannique et, dans l’autre camp, la victoire de Bladensburg et le raid sur Washington (désertée par le président Madison, le gouvernement et les habitants) de troupes anglaises… incendiaires de la Maison Blanche et de tous les édifices publics de la capitale.

Pour en savoir plus, lire le bon ouvrage de ce bon historien.

Michel Toda

LE SABRE ET LE TURBAN
JUSQU’OÙ IRA LA TURQUIE ?
JEAN-FRANÇOIS COLOSIMO
Cerf, 2020, 212 pages, 15 €

Alors que la Turquie ne cesse d’élargir le spectre de son expansionnisme hors frontières fondé sur une politique combinant néo-ottomanisme et panislamisme, le livre de Jean-François Colosimo apporte des éclairages fort utiles pour comprendre les motivations du président Recep-Tayyip Erdogan. Mettant en évidence l’aveuglement des Occidentaux séduits par un pays qu’ils ont trop vite considéré comme compatible avec leurs propres valeurs au point de souhaiter son intégration à l’Union européenne, l’auteur rappelle ce qu’est réellement l’héritage d’Atatürk. « Dès l’instauration de la République, la modernisation se traduit par l’exclusion. Toute différence est assimilée à une dissidence potentielle. Toute dissidence est assimilée à un acte d’antipatriotisme. Tout antipatriotisme doit être supprimé à la racine. » Cette citoyenneté tant vantée pour sa supposée laïcité est en réalité fondée sur une pureté à la fois ethnique (la turcité) et confessionnelle (l’islam sunnite) et c’est cette idéologie, promue par les Jeunes-Turcs au début du XXe siècle, qui a justifié les crimes de masse commis contre les chrétiens dans lesquels Colosimo voit l’anticipation de la Shoah.

Comme Atatürk, Erdogan ne cesse d’ailleurs de nier la réalité génocidaire de cet épisode tragique et c’est la même volonté d’éradiquer l’altérité qui guide sa politique contre les Kurdes, les Alévis, les Juifs, les Arméniens et chrétiens de diverses obédiences. « Le même processus qui, hier, était conduit par le régime militaire, progressiste et laïc, est reconduit aujourd’hui par le régime islamiste, conservateur et fondamentaliste. » Les choix géopolitiques du Réis répondent eux aussi à des ambitions bellicistes, notamment au Levant et au Caucase mais également en Europe, laquelle se trouve aujourd’hui en grand danger. Cet essai au style vigoureux est donc un appel à un regard lucide sur cette Turquie passée maître dans l’art du chantage.

Annie Laurent

PARENTS HEUREUX, ENFANTS HEUREUX, OUI C’EST POSSIBLE
MARC ET MARYVONNE PIERRE
Éditions de L’Homme Nouveau, 2020, 214 pages, 12 €

Après avoir écrit Mariés et heureux, oui c’est possible, Marc et Maryvonne Pierre publient un deuxième opus qui en est la conséquence logique. Ce petit livre est un précis d’éducation plein de bon sens, de joie et d’amour familial. Les auteurs, parents de onze enfants, synthétisent plusieurs théories éducatives et donnent des conseils concrets en vue du bonheur des adultes de demain. Une enfance équilibrée, heureuse, bien guidée est en effet le plus beau cadeau que des parents puissent faire à leurs enfants. L’enjeu est immense. Or, personne n’a suivi de cours pour être un bon parent. Il existe pourtant des techniques éducatives précieuses qu’il est bon d’avoir en tête pour amener sereinement et solidement ses enfants vers l’âge adulte. Ce livre est un petit guide pour prendre un peu de recul sur son quotidien de parent et pour pouvoir ajuster, rectifier ou confirmer ses habitudes. Quelles différences entre l’éducation d’une fille et celle d’un garçon ? Comment user de la punition justement ? Quelle est la place de la mère ? Celle du père ? Quels sont les enjeux éducatifs des différents âges ? Comment appréhender les différents caractères ? Autant de questions auxquelles Marc et Maryvonne Pierre répondent – en donnant les références nécessaires pour aller plus loin.

Marie de Dieuleveult

QUI EST COMME DIEU ?
Essai sur les vertus chrétiennes au service du commandement
PIERRE GILLET
Éditions Sainte Madeleine, 2020, 246 pages, 12 €

Sous la forme d’un abécédaire, d’Amour à Vérité en passant par Aventure, Discipline, Guerre, Obéissance, Pardon… P. Gillet nous guide au travers de ses réflexions sur le sens de l’autorité reçue. Abreuvée ainsi aux sources des vertus chrétiennes, elle pourra rayonner de la paternité divine. De ses deux titres, général de l’armée française et oblat de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, l’auteur tire une grande légitimité et expérience qu’il distille dans ses belles réflexions.

Anne-Françoise Thès

PONTMAIN, COULEURS D’ESPÉRANCE
FRÈRE LOUIS-MARIE ARINO-DURAND
Cerf, 2020, 182 pages, 14 €

Le 17 janvier 1871, lors d’une froide soirée d’hiver, quatre enfants du village de Pontmain, en Mayenne, ont été gratifiés d’une visite de la Sainte Vierge qui leur est apparue dans le ciel. Pendant trois heures, lentement, Marie déroule un message écrit – « Mais priez mes enfants. Dieu vous exaucera en peu de temps. Mon Fils se laisse toucher » – tandis que ses gestes, sa tenue et le décor qui l’entoure se transforment, comme pour accompagner les mots muets. Les voyants, vite rejoints par des paroissiens, décrivent ces faits surnaturels au fur et à mesure de leur déroulement, et leur curé, l’abbé Guérin, qui a tout de suite cru à la parole des enfants, conduit une prière ponctuée d’hymnes mariaux. L’événement se déroule dans un contexte angoissé puisque les Prussiens menacent Laval. Or, ils renoncent rapidement à leur offensive. Dans son rapport, l’évêque du lieu se dit « frappé de l’exacte concordance » des paroles de la Vierge avec ces « circonstances décisives ».

Parmi les nombreuses apparitions mariales en France, celle de Pontmain reste l’une des moins connues, remarque le dominicain Louis-Marie Arino-Durand, aumônier international des Equipes du Rosaire, émerveillé par la beauté des vitraux de la basilique édifiée sur place et par la simplicité « désarmante » de l’endroit comme des faits qui s’y sont déroulés. D’où son désir d’en proposer une lecture inattendue et audacieuse comme il le fait dans cet essai. Interprétant les couleurs qui ont illustré l’apparition dans ses différentes phases, le silence de Marie et son choix des mots composant le message, le tout à la lumière de la situation présente du christianisme en France, l’auteur montre l’actualité du message avec une liberté de ton bienvenue, même si l’on peut être dubitatif quant au lien qu’il établit entre « mon Fils se laisse toucher » et la vocation de Pontmain au pardon pour les blessures de la pédophilie.

C’est dire l’intérêt de cet ouvrage alors que le diocèse de Laval a préparé un jubilé spécial pour le 150e anniversaire le 17 janvier 2021.

Annie Laurent

L’INVASION DE L’EUROPE
JEAN-YVES LE GALLOU
Via Romana, 2020, 212 pages, 20 €

Raide ce titre ! Mais ce à quoi il renvoie ne l’est pas moins. Et la série de monographies ici réunies où figurent treize pays de notre continent menacés d’engloutissement (si rien ne vient s’y opposer) par l’arrivée massive du monde entier sur leur territoire, établit assez dans quelle situation gravissime on se trouve. Toutefois, même très instructives, les pages relatives aux pays retenus, du Royaume-Uni à l’Allemagne et à l’Italie, ne peuvent, faute de place, susciter l’analyse ou le commentaire. Reste la France, en proie autant ou plus que les autres à cet impressionnant phénomène. Souhaité et recherché car, aveu criant, tout (campagnes médiatiques, décisions de justice, laisser-aller politique) pousse à la roue et va dans le sens de la plus grande ouverture des frontières.

Un jour de doute, Maurice Barrès, au début du XXe siècle, évoquait in petto « cette France éphémère dont je vois la naissance si proche (avec les Capétiens, pas avant), sur la mort de qui je pourrais avoir une vue… ». La mort de la France ? En 2020 question d’actualité.

L’autorisation depuis 1976 du regroupement familial, l’ample distribution des titres de séjour, le dévoiement du droit d’asile ont abouti à la surreprésentation des étrangers dans le nombre de chômeurs (ou de délinquants) et dans le recours aux aides sociales ; à la montée en flèche des nouveau-nés ayant un prénom musulman (3 % en 1968 et 21,6 % en 2018). D’ailleurs, parmi les enfants natifs d’Île-de-France, berceau de la monarchie capétienne, 70 % sont à présent d’origine extra-européenne. Formidable rupture de continuité historique et de civilisation…

Très maître de son sujet, malgré ce qu’il comporte d’angoissant, Jean-Yves Le Gallou ne veut pas céder à la désespérance. Ni plier devant une « fausse fatalité ». C’est un lanceur d’alerte inlassable et déterminé. La nation pourtant, multiple et divisée comme jamais, nous semble bien peu capable de se ressaisir. En effet, l’inconscience des envahis dépasse les bornes et, sauf coup de théâtre, leur acquiescement à ce qui va les dissoudre, fruit de la peur, de la lâcheté, de la sottise, apparaît, osons le dire, définitif.

Michel Toda

Les romans à signaler

HOMESMAN
GLENDON SWARTHOUT
Gallmeister, 2020, 284 pages, 9,90 €

En plein XIXe siècle, aux États-Unis, les pionniers font reculer la Frontière. Les conditions de vie y sont si éprouvantes que quatre femmes en perdent la raison et qu’il faut les rapatrier vers la civilisation, dans leurs familles à l’Est. Mais le voyage est ardu, long, incertain et seule la jeune Mary Bee Cuddy, animée par la compassion et sa foi, accepte ce voyage dangereux de plusieurs semaines. Juste avant le départ, elle sauve la vie à Briggs, apparemment bon à rien, qui s’est engagé, en échange, à l’accompagner, sa présence s’avérant vite indispensable.

C’est là un roman fort par le maître du genre aux États-Unis (et porté à l’écran en 2014 par Tommy Lee Jones sous le titre The Homesman), mais aussi une histoire dure et terrible, éprouvante même tant la description, soigneuse et fouillée, des conditions de vie de ces fermiers isolés est effrayante : difficile labeur, misère, inconfort, solitude, froid, dangers de toutes sortes, il y avait de quoi rendre folles ces épouses un moment livrées à elles-mêmes. Mais l’histoire est bien racontée, les caractères bien marqués et l’on assiste à l’évolution positive du héros, Briggs, qui émerge de ce monde hyperviolent où chacun lutte pour sa survie.

Christophe Geffroy

DE POUDRE, DE SOUFRE ET D’ENCENS
PIERRE DE FEYDEAU
Éditions du Rocher, 2020, 340 pages, 19,90 €

C’est une aventure ponctuée d’épisodes où alternent cruauté et tendresse, trahison et pardon, lâcheté et héroïsme, modernité et tradition, dans laquelle Pierre de Feydeau, épris d’orientalisme et doué d’un réel talent d’écrivain, entraîne le lecteur avec ce premier roman. Son héros, Paul de Nantiac, fils d’une famille sensibilisée par son héritage historique aux malheurs des chrétiens du Levant, ne peut rester indifférent face aux persécutions que leur infligent aujourd’hui les djihadistes de Daech en Syrie. Pour aller à leur secours, il suit son ami Georges, catholique melkite d’Alep, avec lequel il s’enrôle dans une milice hétéroclite constituée pour soutenir l’armée de Bachar El-Assad. Paul découvre ainsi la confession alaouite à laquelle appartient ce président honni par l’islam sunnite. On le suit à travers des hauts lieux de l’histoire syrienne, dans un périple dangereux et tourmenté, où la vertu n’est pas toujours au rendez-vous. Paul est aussi parti rechercher Maryam, la femme aimée puis délaissée et tombée entre les mains des combattants d’Allah ; désespéré, il se laisse séduire par Jelena, jeune et touchante militante croate. Prisonnier du néo-califat à Raqqa, il croit se sauver en adhérant à l’islam. Mais la Vérité triomphe dans un épilogue bouleversant de grandeur.

Annie Laurent

LA GRANDE ÉPREUVE
ÉTIENNE DE MONTETY
Stock, 2020, 306 pages, 20 €

Le directeur du Figaro littéraire s’est inspiré du cas du Père Hamel pour bâtir une histoire à plusieurs voies, chacune convergeant vers le point final qui est l’assassinat du Père Tellier, en pleine messe, par deux djihadistes radicalisés. Le montage est fort bien fait et, surtout, l’auteur a réussi à montrer comment deux jeunes hommes, David Berteau (devenu Daoud) et Hicham Boulaïd, que rien n’appelait a priori à devenir violents au nom de l’islam, ont commencé à nourrir une haine tenace envers la France et l’Occident, au point de vouloir d’eux-mêmes commettre un acte suicidaire spectaculaire. L’évolution psychologique des deux musulmans néophytes est particulièrement crédible et en dit long sur les problèmes que l’islam n’a pas fini de nous poser.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°333 Février 2021, mise en ligne le 1er mars 2021