Homélie obsèques abbé Gordien
L'abbé Guillaume de Menthière

Écoutez les conférences de carême du Père de Menthière

Cette année encore, c’est le Père Guillaume de Menthière, curé de Paris et théologien, qui a prononcé les conférences de carême en l’église Saint-Germain l’Auxerrois. Un grand moment spirituel à ne pas manquer que vous pouvez revivre sur KTO et Youtube.

À une ouaille qui lui demandait comment aller à Dieu, François de Sales répondit : « Tout droit, comme un boulet de canon ». Qu’elle est désirable, cette époque, où l’on ne tortillait pas du ruban pour affirmer les grandes vérités de la foi ! Ainsi pourrait-on dire des conférences de Carême que le père de Menthière a prêchées, cette année encore, en l’église Saint-Germain l’Auxerrois sur le thème du salut. Sauver le salut : la formulation est provocante mais le propos est clair : l’homme n’est pas fait pour le péché. « Périmé, recherché, réparé, béatifié », sa vocation est de connaître Dieu. Notre seule fin, c’est Dieu. « Tu nous as faits pour toi, Seigneur », dit le psalmiste.

La question de « notre fin dernière » – expression tombée en désuétude – qui a interrogé les plus grandes civilisations, ne dérange plus nos contemporains. C’est un fait acquis : il n’y a pas d’au-delà. Et s’il y a un paradis, on connaît la chanson : « On ira tous au Paradis ». Notre mentalité égalitariste exige que nous ayons droit à tout, en tout, pour tous : mariage, PMA, 5G, et le Ciel – s’il existe. Cette exigence démocratique nous fait même, dit le prédicateur, réinterpréter la tradition. À une époque où l’Église vacille, sa voix ferme et courageuse nous oriente à nouveau : nous sommes faits pour être sauvés mais le salut n’est pas acquis. Ne soyons sûrs de rien sauf de l’amour de Dieu.

Depuis la mort de Dieu, les athées ne se lassent pas de prophétiser la sortie de la religion chrétienne. Pari à haut risque, après 2000 ans de christianisme. Le grand Pan, il est vrai, est de retour. La post-modernité recycle d’anciens mythes sous forme d’idéologies : l’écologie, « la vie nue », le transhumanisme. Ces nouvelles religions, dans le cycle de l’éternel retour, n’offrent même plus l’horizon désirable du marxisme. « Immortelle, à quoi bon ? » dit Alcmène à Jupiter qui lui promet l’immortalité, dans la pièce de Giraudoux. Pertinente exclamation ! Nous, augmentés, à quoi bon ! La mort de la mort, prévue par Google ? Une finitude à perpétuité. Face à un catéchisme progressiste que nous faisons nôtre insidieusement, il faut ressaisir, dit le père de Menthière, les articles de notre foi : le baptême, le salut, le ciel et l’enfer, et le purgatoire. Sur nos feuilles paroissiales, n’écrivons-nous pas un peu légèrement que tel paroissien « a rejoint la Maison du Père ? » On entre dans la voie de l’athéisme, dit un théologien, quand on ne se pose plus la question de la damnation.

Le père de Menthière débusque, non sans humour, nos accommodements avec le ciel voire nos déviations spirituelles. Et cela fait drôlement du bien. Le péché n’est pas de ne pas faire le mal mais de ne pas faire le bien qui est en notre pouvoir. La paresse spirituelle, le manque de courage : voilà notre péché quotidien. Autre tentation : prendre la place de Dieu. Pourquoi trouvons-nous plus charitables les vierges folles que les vierges sages alors que le Seigneur leur reproche sévèrement d’avoir manqué à la vertu cardinale de prudence ? Pourquoi préférons-nous le fils aîné au fils cadet, le serviteur qui enfouit son talent, l’invité qui n’a pas mis son vêtement de noce ? Nous absolvons sans gêne celui que le Seigneur désapprouve. Curieux, non ? On va jusqu’à réhabiliter, de nos jours, Ponce Pilate, voire innocenter Judas, dont les textes disent qu’il aurait mieux valu qu’il ne fût pas né. Sommes-nous devenus si insensibles au péché et à la grâce ?

On pourrait croire que Guillaume de Menthière sermonne de manière abstraite. Il n’en est rien. Son propos est rempli d’un zèle plein d’amour, plein d’humour, et se nourrit tout autant d’anecdotes que d’une haute culture. Descendant de Lacordaire, qu’il cite avec malice, il fait passer dans l’assemblée ce tremendum propre à l’éloquence de la chaire, nécessaire à notre salut. Les pasteurs hésitent à partager une culture, qui ne leur manque pas, au prétexte que les fidèles ne la comprendraient pas. Quelle erreur ! Ce faisant, que de fidèles ils découragent et détournent de l’église ! Guillaume de Menthière, lui, cite saint Jean Chrysostome, Thomas d’Aquin, Goethe, Lévinas, Sainte Thérèse de Lisieux, saint François de Sales, Dante, Feuerbach, Jules Romains. Un grand air passe sous les voûtes de Saint-Germain l’Auxerrois, rappelant que les conférences de Carême, si elles sont un exercice de haute volée, sont, d’abord, une grande tradition française.

Dans le Faust de Goethe, rappelle le prédicateur, Dieu demande à Méphisto comment ça va sur la terre. Et Méphisto de répondre : « Rien de nouveau, tout y va parfaitement mal comme toujours. » Comme il se réjouit, à présent, le grand diviseur, de notre pandémie, de nos masques, du care à tous crins,de l’incarnation différée, du distanciel eucharistique, des baisers interdits ! Mais il n’aura pas le dernier mot ni du côté de Dieu ni de celui de l’homme. Le psalmiste le chante : « Mon âme a soif du Dieu vivant : quand le verrai-je face à face ? » Le face-à-face : la vision en Dieu. C’est ainsi que les psaumes désignent le bonheur de l’homme en Dieu qui est notre fin dernière.

Au terme de ces conférences, à lire, écouter, méditer, que désirer sinon, de tout son cœur et de toute son âme, l’appétence spirituelle ? Tournons-nous donc, dit le prédicateur, vers la Vierge Marie dont la statue sauvée de Notre-Dame de Paris est là, rayonnante de fraîcheur, sous l’horloge du XVIIème siècle aux chiffres romains. Et relisons, avec émotion, la prière de l’âme dans la ballade célèbre du poète Villon, récitée, en conclusion, par Guillaume de Menthière : « Dame des Cieux, régente terrienne / Impératrice des infernaux palus/ Recevez-moi, votre humble chrétienne/ Que comprise soit entre vos élus / Ce nonobstant qu’onques rien ne valus… / En cette foi je veux vivre et mourir. »

Marie-Hélène Verdier

© LA NEF le 30 mars 2021, exclusivité internet