Annuler la dette des États ?

Dans son dernier ouvrage, Endettez-vous ! (1), Hubert de Vauplane, avocat dans le secteur financier, tente de répondre à cette question, sans tomber dans les excès néomarxistes ou néolibéraux.

Au début de l’année 2021, la France enregistre une dette avoisinant les 120 % du produit intérieur brut (PIB). En un an, 260 milliards de titres de dette ont été émis à un taux de rendement négatif de -0,14 % en moyenne, indique l’Agence France Trésor. La situation est préoccupante et de nombreux économistes s’inquiètent de voir la France tomber en situation de surendettement.
Depuis quelques mois, l’idée d’une annulation de la dette contractée en 2020 auprès de la Banque centrale européenne (BCE) voit le jour parmi certains économistes. Le P. Gaël Giraud, prêtre jésuite et économiste au CNRS, propose de l’annuler pour financer la transition écologique : si, aujourd’hui, les pays de la zone euro se mettaient d’accord sur un grand plan de reconstruction écologique avec la marge de manœuvre budgétaire permise par une annulation de la dette publique, les actionnaires se bousculeraient pour avoir de l’euro. La stratégie semble simple et fait des émules dans les rangs de la gauche et de l’extrême gauche (Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon). Mais elle se heurte aux arguments d’autres économistes qui pointent le risque de l’inflation : pour freiner celle-ci, la BCE devrait rémunérer les banques privées à des taux élevés et utiliser ses actifs, dont les dettes d’État. Si ces dernières manquaient, la BCE ne pourrait pas endiguer la dérive des prix (2).

Le principe de la dette est légitime
Ce débat dépasse le seul cadre économique. Le dernier livre de l’avocat Hubert de Vauplane, Endettez-vous !, le place sous les angles juridique, moral et philosophique. L’auteur insiste tout d’abord sur le fait que tous les hommes sont débiteurs et que cela implique une circularité de la dette. La dette n’est pas seulement monétaire, elle existe aussi envers ses parents, sa patrie, la planète et Dieu. Si l’homme est par nature débiteur, alors la dette est légitime. Le premier combat de ce livre est de faire accepter que la dette fasse partie de nos vies et qu’elle ne soit pas rejetée comme un mal en soi.
Actuellement, deux visions s’opposent. D’un côté, la doctrine néolibérale voit l’homme dans un unique rapport d’échange et de marché, déconnecté de toutes racines. De l’autre, la doctrine néomarxiste demande de lutter contre la dette dans le cadre d’une nouvelle lutte des classes : « Cette vision de la dette met la liberté de l’homme au-dessus de tout, au point de refuser toute situation d’endettement » (p. 318). Une conjonction dialectique des deux pourrait être décelée dans la « théorie monétaire moderne », utopique justification universitaire occidentale de l’explosion historique des masses monétaires déclenchées par les banques centrales depuis l’effondrement du système de crédit en 2009, suivi par la « crise sanitaire » de 2020.

Une troisième voie
L’auteur propose une troisième voie qui concilierait la justice commutative (égalitaire, ne s’attachant qu’au respect de l’ordre formel du contrat) et la justice distributive (redistribuant les richesses selon les nécessités de chacun) en prévoyant des situations de remise de dette. Cette alternative nécessite que chacun se considère comme un être endetté : « Le créancier ne peut pas remettre toutes les dettes de tous ses débiteurs, au risque de se trouver lui-même dans une situation extrêmement fragile. Mais à défaut de renoncer à sa créance monétaire de façon systématique, le créancier doit garder comme un idéal à atteindre la remise de dette. Et il doit agir vis-à-vis de son débiteur comme il aimerait que toute personne agisse envers lui » (p. 320).
La question de la soutenabilité de la dette d’un pays est posée depuis longtemps au sujet des pays pauvres, notamment par les courants altermondialistes. Après la crise financière de 2008, mais surtout depuis le début de la pandémie, elle se pose aussi pour les pays développés. Une dette publique trop lourde peut avoir de multiples inconvénients : augmentation des taxes, réduction de l’investissement public, détournement de l’épargne privée… Ce n’est pas sans susciter une possible crise de liquidités sur les marchés financiers et l’augmentation des taux d’intérêt. En reprenant cette idée de soutenabilité, Hubert de Vauplane conclut que, dans de rares cas, la dette d’un pays devrait permettre de qualifier celui-ci en « “état de nécessité”, et dès lors permettre à ce pays légalement de ne pas rembourser la dette qui serait émise au-delà de cette soutenabilité » (p. 299).
Les cas d’abandons unilatéraux de la dette par les créanciers sont rares. La campagne Jubilé 2000 avait convaincu les pays les plus riches d’effacer 100 milliards de dettes pour les pays les plus pauvres. En 2014, seuls 14 milliards avaient été annulés.

Pierre Mayrant

(1) Hubert de Vauplane, Endettez-vous ! Plaidoyer pour une juste dette, Éditions Première partie, 2020, 324 pages, 19 €.
(2) Jules Devie, « L’annulation de la dette Covid-19 : quelles conséquences ? », 23 décembre 2020, site Contrepoints.

© LA NEF n°335 Avril 2021