Ce dimanche, Jésus est ressuscité. Sorti du tombeau, il apparaît dans sa gloire, lumineux et triomphant. Alléluia ! Vient le temps de l’allégresse. Le christianisme ne se résume pas, contrairement à ce que l’on entend, à un dolorisme masochiste, mais cultive, au contraire, l’art de la joie. Et Quelle joie que celle du dimanche de pâques ! Une joie crue, solide, d’un bloc, qui retombe sur tout le monde. Une joie effulge tout partout, dans les cœurs, dans les esprits. Vendredi les apôtres étaient au fond du trou, au bout du rouleau ; imaginez ce dimanche, à la nouvelle de sa résurrection, l’exact contraire.
Tout d’abord la stupéfaction et la sidération. Non, ça ne peut pas être lui, il est mort, bien mort, et enterré ! Pierre n’entendit rien ; il fallut que Jésus montrât à Thomas ses plaies et que ce dernier y mît les doigts pour comprendre. Jésus est ressuscité ! Un bonheur immense jaillit alors au plus profond d’eux, comme un geyser, une source d’eau de vie. Un parterre de roses tapissa leur cœur, une odeur de menthe et de citron arriva à leurs narines. Alléluia, oui, du fond du cœur, des tripes, des jambes, Alléluia ! Alléluia !
À Bâle, on peut voir le Christ au tombeau d’Holbein. C’est un corps rigide et verdâtre comme un velouté de céleris. Les viandes sont déjà pourries. Le Christ s’est fait homme de bout en bout, jusqu’à la toute fin, jusqu’à l’accomplissement. De retour ce dimanche, il nous apparaît viril et triomphal. Ses plaies sont là pour qu’on ne les oublie pas mais son corps étincelle. Jésus est le dieu de la plénitude, de l’abondance, de la force vive et de l’énergie. Quand on l’arrêta, il aurait pu faire venir des légions d’anges, il décida de se donner, d’accomplir, dans une symétrie parfaite, sa mort. Sa force a été de mourir. Sa toute-puissance est de nous revenir dans une lumière éclatante. Les Inconnus, toujours aussi excellents trente ans après, s’ils ont voulu parodier les blockbusters avec Sylvester Stallone, ont montré Jésus plus fort que jamais, qui donne et met des pains, qui défie les forts et secourt les faibles « 50 % homme, 50 % Dieu, 100 % sauveur. » Jésus II le retour annonce un Christ qui promet non pas un great reset mais un grand ménage.
Il y a, ce me semble, un beau paradoxe à la rédemption du Christ. Le Seigneur a accepté de nous purifier, de nous blanchir par le sang et le sacrifice. La blancheur s’est rendue nécessaire par le sang versé. La pureté passe par la tache. De la plaie est née la vie, du sang ont germé des fleurs. On trouvera cette tension entre l’horreur et le printemps retrouvé dans la littérature chrétienne tardive, dans la poésie de Paulin de Nole par exemple, sensible plus que nous, peut-être, à ces variations, ces tremblements et la profonde et intense joie que le Christ annonce.
Ce dimanche, allons à Venise. Dans le quartier de la Giudecca, la bande de terre qui s’étale face au Dorsoduro, se trouve la Basilica del Redentore. Rien de bien spécial. Une façade de temple antique, une coupole comme il en faut, un clocher mineur qui peine à poindre. L’intérieur est simple, sobre, les lignes sont épurées et blanches. Aucune fresque à l’horizon. La coupole est vide. Mais au-dessus du crucifix dans le chœur, s’élève la statue du Christ rédempteur. Il est nu dans un pagne rouge ; bénit la foule, tient la croix glorieuse, l’étendard de la victoire. Cette église a été bâtie après la peste de 1575 qui fit disparaître un Vénitien sur trois. La fin de l’épidémie fut annoncée comme une délivrance, un signe du Christ ressuscité qui redonna la vie à la ville, la fluidité aux canaux, la pétillance aux eaux stagnantes. Sur la Punta della dogana se trouve la Salute en forme de gros gâteau. L’église a été construite vers 1630 pour rendre grâce à la Madonne qui a miraculeusement assaini la ville de la peste. La deuxième vague. Le Christ et Marie sont associés à la libération, à la vie retrouvée, qui surgit du chaos et de l’horreur. Il faut aussi avoir en tête le Gloria de Vivaldi, frais et allègre, pulsée par l’envie de vivre, pour s’imaginer le splendide catholique à Venise. Nietzsche pense un christianisme souffreteux et victimaire, du côté des faibles et des pauvres, poitrinaire et frustré. Le moustachu de Sils-Maria, féroce dans le Crépuscule des idoles, n’a pas compris que le Christ vénitien est un Dieu de la grande santé, idée si chère au philosophe pourtant ; un dieu qui représente l’esprit ancien du beau et du bon, du kalos kagathos.
Après la messe, un plat de pasta al nero di seppia saura ravir nos papilles en alerte. Un petit verre de lagrein, framboisé, aux touches de mûres, achèvera le repas. Le Seigneur nous invitera sûrement à prendre un tiramisu crémeux, inventé à Trévise, non loin de la Sérénissime. Ce dessert qui veut dire « emmène-moi au ciel » est le suprême dessert de cette résurrection. Après les vêpres, un Bellini au Harry’s bar s’impose et nous fera renouer avec les aperitivi oubliés avec le carême.
Maintenant, descendons en Sicile. Au sud du sud, dans le pur sucre de la Méditerranée, nous contemplons le Christ en gloire, le Christ Pantocrator, gouverneur et commandant de l’univers. Cette vision du Christ tout-puissant figure la parousie, c’est-à-dire le moment de la fin des temps et du jugement dernier. Il est vêtu de bleu et d’or aux reflets pourpres. On trouve ce Dieu en majesté au fond de deux cathédrales, dans des absides larges recouvertes de mosaïques. Ses bras sont ouverts, son visage s’étend dans un fond doré somptueux. Il a l’assurance des forts, la noblesse des rois, la beauté des grands. Figuré en entier, tout là-haut, perché au fond de l’abside, surplombant toute la nef, il nous embrasse, nous enlace, nous invite à l’adorer. À Cefalu, son regard est doux, d’une pureté étonnante. C’est un jeune homme dans la pleine jeunesse. Il est invisible et visible, présent et absent, ici et au-delà. Il semble être serein, apaisé après le calvaire comme en vacances pour se refaire une santé sur la plage. Toutefois à Monreale où reposent Roger Ier de Sicile et le cœur de saint Louis, sur les hauteurs de Palerme, le visage du Christ est plus crispé, sa mine sévère. Ses lèvres grimacent, son regard électrise, tarde et fulmine. On dirait un pater familias, garant des traditions. Préparons-nous quand viendra la dernière heure. Le jour du seigneur arrive comme un voleur dans la nuit. Dieu là-haut est le seul juge, cela se sent tellement que l’on en tremble de crainte. À Venise, Jésus était aérien et voguait sur la lagune ; en Sicile, il est solaire et dur comme une vérité éclatante.
Pour l’instant ce dimanche, Jésus le sauveur est ressuscité. À San Vito lo capo, on rompra le carême par un couscous de poissons. En entrée, des arancini aux légumes gorgées de béchamel et de beurre feront l’affaire. Un cannolo sicilien farci de ricotta sucrée nous ravira tout de suite de douceur. Par gourmandise, on y ajoutera une cassata aux fruits confits. On frise le péché ! Mais ici point de pénitence ; en Sicile, ce sont des douceurs pardonnables. Un petit verre de limoncello, couleur liquide vaisselle, restera sur les lèvres jusqu’à la sieste. La baignade dans l’eau couleur marsala, sous les remparts de Syracuse, après les vêpres, est recommandée pour la santé des fidèles. Avec cela, on n’aura jamais été aussi heureux à Pâques.
Nicolas Kinosky
© LA NEF, le 1er avril 2021, exclusivité internet