La merveilleuse histoire du flexe

Le flexe, du balai ! Et pourquoi, je vous prie, vous en prendre à ces papillons qui couronnent nos mots ? Parce que c’est compliqué, inutile ? Parce qu’une langue « évolue » ? La vérité est toute simple ! Si les linguistes ne les aiment pas, ces papillons, c’est parce qu’ils relèvent de l’histoire des mots. Et que les pays francophones dont le Canada, où le français se meurt, nous imposent une nouvelle orthographe que les Français s’empressent de suivre, sous prétexte que ce circonflexe pourrit la vie de tout un chacun. Un smile, oui, un flexe, non. Il est donc temps de raconter la belle histoire du flexe.

Ce papillon qui se pose sur nos voyelles a, e, i, o, u est un signe diacritique venu du grec : il est l’union d’un accent aigu et d’un accent grave. De ce flexe, notre lexique est rempli : fête, tête, fenêtre, hôpital, malhonnête, mûr, suprême et trône. Vous les croyez inutiles ces chapeaux, comme disent les enfants ? Erreur ! Ils nous parlent de notre forêt natale.

Le circonflexe peut marquer la disparition complète d’une lettre : aage, d’où âge, seur, d’où sûr, meur, d’où mûr. Il peut venir de l’amüissement d’une lettre qui devient alors muette. Ainsi, dans les mots suivants, le s s’est amuï devenant circonflexe : fenêtre, fête, tête (lat. testa, crâne), hôpital, Pâques. Mais il redevient visible dans les mots de la même racine : défénestrer, festoyer, hospitalier, pascal. Le circonflexe peut aussi lever une ambiguïté : sur et sûr, mur et mûr, du et dû. Ce flexe peut être également coquin et n’avoir aucune justification, comme les mots trône qui mérite bien un tel honneur, prône, drôle, par imitation de rôle. En revanche, quand le circonflexe est grammatical, on ne peut le supprimer. Au passé simple et au subjonctif imparfait, pas de lézard, c’est : « Nous chantâmes et il chanta juste parce qu’il fallait qu’il le fît. »

En 1990 puis 2012 puis 2016, arriva l’idéologie du balai : il fallait « normaliser » l’orthographe française suivant la doxa que, plus une langue vieillit, plus elle se simplifie. Et qu’à force de vieillir, on finit par mourir. La Nouvelle Orthographe (NO) venue du Canada, très multiculturaliste, ainsi que des pays francophones, a donc entrepris de simplifier l’orthographe. Je ne parle pas ici du toilettage régulier auquel se livre, en ménagère consciencieuse, l’Académie Française, qui a féminisé notre virus et transformé un accent aigu en accent grave. Non, il fallait s’attaquer au disque dur de l’étymologie : le circonflexe était tout trouvé. Sauf que, si on commence à chipoter sur le flexe de certaines voyelles, le jugeant inutile là, on ne voit pas pourquoi il serait obligatoire ici, et « discriminant » ailleurs. Ainsi, le flexe est discriminant (ainsi dit-on) sur « ou et où », « ça et là ». Libre à chacun de faire des fautes, ce dont on ne se prive pas. Viva la libertà !, comme dit l’autre mais, si j’étais vous, j’aimerais mon circonflexe en me disant que cette NO, aucunement régalienne, est une tolérance. Et puis, tenez ! Réfléchissez à la forme « il parait » : ne serait-ce pas le verbe parer à l’imparfait que vous écrivez là puisque le s du verbe paraître, réapparaît à « nous apparaissons » ! Avouons-le, en ce moment, dans l’orthographe, c’est le joyeux bazar.

Signalons plutôt certaines incohérences dues à un esprit de système. Le circonflexe de certains mots ne se justifierait pas phonétiquement (et pour cause : notre orthographe n’est pas phonétique) : les mots cout, diner, gout, maitre. Mis à part le fait que, sans circonflexe, les pauvres, ils sont bien vilains, voyez la malice de cette NO. Le verbe et le nom dîner viennent de disner (lat. disjejunare : rompre le jeûne). Pourquoi supprimer le circonflexe sinon pour aligner le mot sur l’anglais, roi du monde. Le s de « gouter » qui a donné gustatif est inutile ? Du balai ! Le flexe de maitre est inutile ? Du balai ! Le circonflexe, en revanche, demeure, on l’a dit, sur les homonymes : sur et sûr, jeûne et jeune, croître et croire, au participe passé. À quand, le balai ? Surtout, le problème demeure du circonflexe grammatical. Dites-moi pourquoi il faudrait écrire : afin qu’il fût ? – Parce qu’il faut un circonflexe, me direz-vous ?

Marie-Hélène Verdier

© LA NEF le 23 avril 2021, exclusivité internet