Château de Heidelberg © wikimedia

Entre le chaos et le déclin : la renaissance

Pour un optimiste politique

Il est courant, quand on est un jeune homme qui entre dans la carrière, notamment dans les études littéraires ou artistiques, d’être charmé par le désespoir et d’avoir le goût des ruines. On cultive l’allure des poètes maudits, on se laisse séduire par le dandysme désabusé, on succombe à la tentation du drapeau noir incliné sur le crâne du pessimisme. La beauté des ruines attire. Les vestiges sont un curieux vertige. On passe pour les derniers des mohicans ; on vit comme danse le prince Salina dans le Guépard. On chérit le chaos, et on adore le désespoir. « Siamo tutti sull’orlo della disperazione » dit l’écrivain Jep Gambardella dans la Grande Bellezza de Paolo Sorrentino ; la noirceur devient un luxe et le cynisme un raffinement sur une terrasse à Rome.

Cet attrait pour le vertige est le résidu d’un romantisme éculé et fade. Les ruines du château d’Heidelberg émerveillent par leur mélancolie ; la morosité des pierres pince la corde la plus sensible du cœur. La pianiste Waltraut Laurence joue des nocturnes de Chopin. C’est un décor de carte postale pour étudiant en sumérien, escrimeur, vêtu en Canali, faisant l’amour au clair de lune. La beauté de la décadence a quelques somptuosités, il est vrai. Le désespoir est fait pour la poésie et non pour la politique. Léo Ferré par ses vers surréalistes ridicules plait aux minettes de la Sorbonne ; Baudelaire, vivant dans le cœur du lycéen, mêle la mort à la grâce, la noirceur à la suprême beauté triste et froide. Un type désespéré qui ne se suicide pas n’est, en revanche, qu’un imposteur. Cesare Pavese est allé jusqu’au bout, lui, et ceux qui ne l’ont pas rejoint, alors qu’ils chantent des hymnes au subutex et des odes au prozac, ne sont que des petits bras de la déprime. Là encore, cela n’entre pas dans le champ de la politique.  

Trop souvent le camp national, pris au sens large des conservateurs jusqu’à monarchistes, des souverainistes jusqu’au catholiques traditionnalistes, a intégré dans son logiciel la défaite et la décadence. Avec complaisance, il apprécie l’échec, affecte de perdre pour se dire qu’il a raison, préfère renoncer à gagner pour se dire victime et persécuté, alimente la polémique plutôt que de prendre ses responsabilités. A la logique de rente et au cynisme des uns, s’ajoute le romantisme pessimiste des autres. Ceux qui dénoncent la décadence de la postmodernité, n’ont souvent plus rien à proposer et sont dans la parodie terrible du combat. Nous jouons les réacs, Cioran avait déjà tout compris « la doctrine de la chute exerce une forte séduction chez les réactionnaires, de quelques nuances qu’ils soient. Les plus endurcis, les plus lucides d’entre eux savent, en outre, qu’elle recourt à l’offre des prestiges révolutionnaires ; n’est-elle pas l’invariabilité de la nature humaine, vouer sans remède à la déchéance et à la corruption ? » Le romantique soupire, le moderne ricane. Le premier aime ce qui tombe, l’autre ce qui fait tomber. L’un aime Vezelay, l’autre trouve un spectacle dans l’incendie de Notre-Dame. Le ricanement, dans la postmodernité est ce diable qui rit, que personne ne condamne. Nous vouons un culte aux râleurs, aux boudeurs, aux ronchons. Mais nous sommes inoffensifs, notre camp aime une décadence moins festive, moins brillante, c’est tout. On va, comme les vanités, dans la poursuite de la déconstruction. Nous sommes les scrogneugneux de service. Nous jouons aux gaulois réfractaires, aux melenchoniens de droite. Mais combien veulent vraiment une victoire ? La question mériterait d’être posé depuis le Menhir jusqu’à certains cadres de grands partis politiques. « A vous djihadistes, nous gagnerons car nous sommes les plus morts » disait Philippe Murray. L’Occident produit à présent des perdants magnifiques convertis aux bermudas.

C’est une vague idée de décadence propre à Splenger qu’un philosophe comme Michel Onfray a diffusé hors de ses frontières. Il a le mérite d’avoir soutenu les gilets jaunes et dénoncé l’Europe maastrichtienne; mais cette manie de ne jamais faire le saut qualitatif horripile ; cette manière presque complaisante de justifier la décadence et le déclin comme une donnée fatale est insupportable. L’horizon est en feu ? Après moi le déluge ! Les banlieues s’enflamment ? Restons élégants ! Notre-Dame menace ruine ? Buvons du bon vin ! Cette posture trop facile est de la petite bourgeoisie. Quand on regarde la tempête de la terre ferme, il est bon de vaticiner avec détachement ; mais quand on est dans l’œil du cyclone, vivant dans ce que  Christophe Guilluy appelle la « France périphérique », que l’on est masqué et salarié, et que l’on subit les conséquences d’une mondialisation  heureuse, soutenue par des politiques mauvaises, libérales et européistes, le dumping social et les conditions épouvantables d’un salariat aliénant ainsi que les conséquences d’une démographie incontrôlée , d’une immigration massive et d’un problème d’assimilation- le grand déclassement et le grand remplacement en somme-accepter de se faire éparpiller façon puzzle dans le plaisir de l’épicurisme bon vivant est une ânerie totale.

Sur le plan historique et anthropologique, ne soyons pas dupes non plus, les civilisations naissent, grandissent et disparaissent. Dans son sermon sur le chute de Rome, Saint Augustin explique très bien, au lendemain du sac de la ville éternelle en 410, que le monde est fait de ce genre de mouvement, d’apparition et de disparition. Les Phéniciens ont disparu, Sparte la grande est un champ de cailloux ; la Venise des doges n’existe plus. Quand bien même cela serait une donnée de l’histoire, admettre la fin, croiser les bras, faire la sieste au moment de la bataille, lâcher prise, est un signe de défaite. Parce qu’elle s’est imaginée décadente par une sorte de catastrophisme éclairé, Rome s’est prémunie de la décadence ; au moment où elle se sentait vaciller, elle s’est redressée, cela à de nombreux moments de son histoire.

La décadence des élites a été un facteur de la révolution. Comme le dit très bien Chateaubriand, la noblesse, à l’aune de 1789, était parvenue à « l’âge des vanités ». L’Aristocratie de la seconde moitié du XVIIIème siècle, a fini, pour une part importante, autiste, certes raffinée, mais elle n’a joué son rôle qu’en demi-teinte. Les Castaner et les Schiappa étaient déjà là, en plus poudrés, dans des redingotes et des robes en taffetas. La bourgeoisie des villes, organisées, issues de l’entreprenariat, investissant le pouvoir avec l’idée urgente de faire de l’emprunt et de réformer, a triomphé. La révolution a été le remplacement d’une classe dominante par une autre classe dominante, formée, réunie, structurée.  L’héritier de Necker fut Giscard. L’un était ministre des finances, l’autre un financier devenu roi de France. Nous y sommes toujours.

La chute fascine, tomber semble plaire mais se relever moins. Il faut combattre. Pour conjurer le déclin, il faut arriver à une vision renaissantiste de notre nation : remettre de la vie, de l’esprit et des muscles là où il faut. Les athées parleront de renaissance, les frères dans la foi de résurrection, l’un dans l’autre, que l’on croit au Ciel ou que l’on n’y croit pas, l’idée reste la même : sortir du long hiver.

Les chrétiens parlent de la vertu d’espérance ; Antonio Gramsci est « pessimiste par l’intelligence, optimiste par la volonté ». Et Charles Maurras d’ajouter « tout désespoir en politique est une sottise absolue. » A la guerre on fusille les partisans de la défaite. Etre pessimiste, c’est renoncer. L’idée première de l’empirisme organisateur comme l’a pensé Maurras est une dynamique positive « la mise à profit des bonheurs du passé en vue de l’avenir que tout esprit bien né souhaite à son pays ». Que l’on soit catholique ou athée, de l’Action française ou proche d’Alain de Benoist, il faut survivre au nihilisme qui gangrène autant à gauche qu’à droite. La question pour les chrétiens est simple : le Christ a ressuscité, il a mis à mort la mort. Si, en effet, chez Augustin, le déclin d’une civilisation fait partie d’un plan divin, il ne faudrait pas nier au christianisme la lumière qui jaillit des ténèbres, la vérité des mensonges. L’église, celle qui ne s’est pas ralliée, a gardé le sens de la tradition. Sans doute que l’on a vu, de l’autre bord, Nietzsche comme un nihiliste. Julien Rochedy a expliqué le contraire dans son livre Nietzsche l’actuel. Qui annonce la mort de Dieu ? Un insensé qui cherche un homme sur une place avec sa lanterne en plein midi. Avec la mort de Dieu, c’est la chute des valeurs et le désastre, l’homme doit advenir à la mort de Dieu est construire un nouveau système de valeurs. Nietzsche avait presque tout vu : l’argent remplacer Dieu, Cohn Bendit est sa clique constituer leur propre morale même si elle est hideuse au commun des mortels ; les frelampiers en Lacoste, la barbarie généralisée et les cotons tiges vegan à cheveux verts bouffés par le ressentiment. La civilisation produit des hommes qui s’empêchent, la barbarie des hommes qui se défoulent. De nos jours, la civilisation est devenue un poison, vaccinée, masquée, confinée, à l’heure de la Covid.

On dirait du nationaliste qu’il est nostalgique, qu’il voit, aigre et amer, la France dans le rétroviseur des siècles. Il est passéiste. Que l’on ne s’y trompe pas : c’est dans la perpétuation d’un héritage qu’il installe son espérance. Défendre, c’est penser que la chose défendue est figée, bientôt mortelle. La défense pousse à la sanctuarisation ; elle acte, par le mot lui-même, la propre fin de ce qu’elle pense défendre. Un patriote, qu’il soit croyant ou non, n’est pas sur les remparts, il prend possession de son royaume. Notre rôle n’est pas de tenir dans Minas tirith en attendant de prendre les tirs des catapultes mais, au contraire, d’enfourcher les chevaux comme les rohirim face aux armées de Sauron.

Illustrer demande de la vitalité et de l’horizon. Quand on illustre, on perpétue, on incarne, on vêt tout entier les coutumes. Celles-là n’en sont d’ailleurs plus puisqu’elles sont habitées, habillées. Il ne sert à rien de ressasser les vestiges des cendres, il faut perpétuer le feu sacré. Un catholique illustre, participe aux messes, aux offices, fait son carême. Aux Français d’illustrer leur histoire, de servir leur langue, de chanter leurs propres chansons et de vivre. Les Mahométans font le ramadan, que Dieu les bénisse !  Faisons nos pénitences. Ceux qui critiquent une éventuelle invasion, déplorent un pays qui n’est plus chrétien et qui n’est plus le leur, sont les premiers à se taper la cloche le Vendredi saint, à ne faire strictement aucun effort, à vouloir même sortir du baptême dans lequel ils ont été, jadis, plongés. Ils se comportent comme des bouffeurs de curés sans raison et souscrivent à tous les progressismes. Ils sont les premiers à trouver que l’église est riche, trop riche, mais ne critiquent jamais un financier arrivé à l’Elysée. Dans le premier cas, il est inacceptable d’avoir des chasubles en soie finement brodées de chez Gammarelli ; dans l’autre, l’enrichissement personnel d’un boursicoteur poudré ne gêne personne. Pourtant, rappelons-nous cette phrase d’André Suarès : « qu’il le veuille ou non, le Français a l’Evangile dans le sang. » Ce n’est que par l’implication que la tradition, donc l’Eglise, peut demeurer. Ouvrez les églises, chantez le Te Deum, lisez le Veni creator Spiritus de Raban, mettez des abbés virils en fonction : they’ll be back, ils reviendront !

L’optimisme en politique tient aussi dans la foi en la jeunesse. On la juge souvent écartelée entre le consumérisme crasse, la crétinisation accélérée des réseaux sociaux, son gauchisme exalté ou sa manière de concevoir les nations comme des hôtels. Pourtant, le discours d’Attali a terriblement vieilli car le réel lui a donné tort. Le gauchisme devenu l’exacte orthodoxie énerve jusqu’à ceux qui aiment faire des barbecues pour bloquer la fac car les vegans y mettent leur brindille.

A l’arrière, hors des partis, nous sommes nombreux. La jeunesse est acquise de plus en plus à nos idées. Que ce soit du côté des youtubeurs, des intellectuels et des journalistes, le camp national travaille beaucoup, produit beaucoup, innove, milite, débat sur la place publique. Rendons hommage aux forces de l’arrière. Toute une jeune génération fait un travail de vulgarisation nécessaire à la compréhension des idées souverainistes et nationalistes et cherche à donner l’amour de la France aux jeunes : Simon Bavastro à Nice, Valek à Montpellier, Papacito à Toulouse, Greg Toussaint, Baptiste Marchais également dans le centre de la France.  Nous avons également nos médias. On ne saurait résumer toutes les revues, les Web tv, les magazines, les journaux qui, et la Nef en fait partie, promeuvent nos idées. Il en est pour TV libertés, Sud Radio, Eléments, France soir, Présents, Eurolibertés, Boulevard Voltaire, Radio Courtoisie, RT France et d’autres encore dont on ne peut pas parler. Une multitude d’intellectuels occupe le champ des idées souverainistes ou conservatrices ; mentionnons des économistes comme  Jacques Sapir, Olivier de la Marche, Pierre Jovanovic ; des historiens à l’instar du professeur Bernard Lugan ou Thierry Lentz et Emmanuel de Waresquiel ;  des juristes et gens de droit comme Pierre Yves Rougeyron, Damien Viguier, Regis de Castelnau ou Gregor Puppinck  ; mais aussi des philosophes et sociologues comme Olivier Rey, Alain Bessonnet, Pierre Magnard et Matthieu Bock-Côté . Ils forment une élite qui n’a jamais cessé de travailler qui se servent, pour certains, des réseaux sociaux afin de diffuser leurs idées. On peut mentionner Charles Gave de l’Institut des libertés, le Cercle Richelieu, le Cercle Prudhon, le Cercle Aristote, l’Action Française, l’Institut Apollon de Jean Messiha par exemple. A l’arrière nous avons l’intelligence, la jeunesse, l’information et les moyens de s’opposer à la déconstruction et bâtir sur des fondements solides une pensée, une identité, une œuvre nationale. Quand ce peuple réel manifeste pour une église brulée, la dissolution de Génération identitaire, il ne se travestit pas, il ne joue pas, il ne se donne pas en spectacle à la différence de ce que les gauchistes font. On voit des hommes solides et des femmes élégantes. Mais à tout cela, il ne manque plus que le personnel politique.

Alors, que faire ? Что делать? Question brulante ! Tout d’abord apparaître comme on est, sans pudeur ; puis faire comme le capitaine des hussards Lugan : aller là où le canon tape. Ensuite, illustrer nos traditions, réinvestir notre histoire, transmettre et chercher à hériter. Regagnons notre respect et notre amour propre.  Ils ont crevé des yeux et arraché des mains au peuple réel ; à présent, ils le masque, le confine, le pique ; dans les deux cas ils n’ont jamais cessé d’insulter, avec un mépris de classe effroyable, ces « mangeurs de frites », ces gens qui « fument des clopent et qui roulent aux diesel ». Ils adulent le peuple, du moment qu’ils ne voient pas sa sale tronche, comme disait Jules Renard.

Il va falloir revenir à du collectif. Nous sommes bien trop divisés pour pouvoir régner. Vient après le temps où l’on arrêtera de se manger le nez entre nous, de se mettre des bâtons dans les roues et de s’entredéchirer. Le grand mal des nationalistes est de considérer que l’autre ne l’est pas assez et qu’il est un traître. Les antiracistes se picorent entre eux, ils vont se dévorer, la révolution mange ses enfants. On verra la Seine charrier le cadavre des ennemis ; laissons les corbaques faire festin et régalons-nous de leurs déchéances !

Si nous ne voulons pas être une pièce du puzzle d’une grande parodie, il faut à présent construire quelque chose, sur tous les plans. On ne fera aucune véritable politique sans reprendre notre souveraineté, par la défiance et notre indépendance vis-à-vis de Bruxelles, de l’Allemagne et de la technocratie. Il faut aussi rompre avec la technocratie, avec cette urgence usée de devoir faire des réformes libérales comme si la clef d’une politique passait seulement par la réforme, la réduction de la dépense, la paiement d’une dette parasite.  Le bégaiement historique, du moins sa menace, est le dernier rempart, le dernier bunker mental, qui reste à ceux qui ont le pouvoir. Unis, alliés, déterminés, nous pourrons accomplir la renaissance de notre pays. Viendra à la toute fin, le dilemme : révolution ou élection ? L’avant-garde politique ou la foi dans la démocratie ? Mais là encore, avant que l’on arrive à ce point, levons-nous, chantons ensemble, édifions puis fonçons sabre au clair. Le laurier, alors, refleurira !

Nicolas Kinosky

© LA NEF, le 7 mai 2021, exclusivité internet