En finir avec l’homme-soja

Il est courant de présenter le lettré, l’humaniste, celui qui réfléchit, dans les habits d’un intellectuel souffreteux, mal fagoté, aux dents crasseuses, les lunettes sales : une sorte de clochard céleste, en somme, qui ne prendrait soin ni de son corps, ni de son allure au nom de la vie des idées. Celui-là même a lu de trop près Platon qui mettait le corps, soma, au même niveau qu’un tombeau, sema. De l’autre côté, il est courant de présenter le sportif, l’homme musclé, vigoureux, batailleur, comme une espèce de gros bras, bas de plafond, du yaourt dans la tête, débile quant à l’esprit, limité quant à la réflexion, proche la barbarie. En d’autres termes, s’il fallait choisir son camp, on nous demanderait d’être soit du côté de Jean-Paul Sartre ou de John Rambo.

De nos jours, en réaction au monde moderne, il est temps de produire une grande synthèse entre l’intelligence et le corps, l’esprit et la tradition. Le monde moderne, depuis un demi-siècle, a créé l’homme-soja. Il est à lui seul tout un concept : vegan, bobo, progressiste, quelquefois altermondialiste, d’autre fois petit bourgeois sans saveur macronien. C’est un homme en demi-teinte, émasculé en propre comme au figuré ; il refuse d’hériter et répugne à transmettre ; il est hors-sol, qu’il soit de gauche ou de droite, sensible à la sensibilité, propice à toutes les lâchetés et les conformismes. C’est un petit salarié et un petit consommateur qui ne croit en rien sinon en lui ; en rien de plus grand que lui-même, ni en Dieu ni en la nation. On irait dire qu’il épouse le siècle, surfe sur la tendance, poussé vers la féminisation de son esprit, déconstruit totalement sur le plan intellectuel et moral. Rien ne compte sinon un voyage autour de son nombril et le cours sinueux de ses propres valeurs, son smartphone et netflix. C’est en somme un barbare soft des temps modernes, aveugle, amnésique, faible intellectuellement et physiquement, dans l’air du temps.

Le capitalisme s’amuse à créer en quantité industrielle des hommes-sojas émancipés de toutes les structures qui en faisaient des hommes véritables. Les villes sont de grandes solitudes, uniformisées, boboisées ; la province en bave, laissée à la périphérie et au déclassement. Les individus sont des brebis sorties du troupeau, accordés au marché ; ce sont des atomes parfaitement acquis au projet capitaliste : produire des salariés et des consommateurs. L’homme complet, en revanche, comme une belle et grande réaction, doit être le répondant et remplacer, en fin de compte, les homines-glycine max, en renouant avec les structures, le centre du village, la tradition, qu’elle soit catholique ou païenne.

Abordons tout d’abord une idée bien traditionnelle : le lien entre le physique et les idées. L’intellectuel sans bras et sans vitalité n’est pas moins ridicule que le gros bras sans esprit. Assurément le lien entre le logos et le corps engendre une dynamique entre la forme et le fond, ce que les Grecs appellent kalos kagathos. La vie des idées est une vie abstraite et le pur esprit un moine moderne qui s’égare. La pensée traditionnelle met de la vie dans les idées, injecte du sang dans la pensée, donne du corps aux concepts. Principe d’incarnation. Ainsi, parlerait-on d’une biologie de la philosophie : un corps entraîné participe à une âme exercée. La science ne dit pas mieux en démontrant que les bactéries en nous, ce que nous mangeons et buvons, influencent nos idées. L’homme-soja, gringalet, sec, blafard, vegan, est conditionné par le tofu ; le bedonnant gorgé de soda tiède pense coca-cola. « Un jour vous verrez, on mesurera nos idées par le thermomètre de notre vitalité. Et on tracera avec précision des liens ténus entre complexion et réflexion », a pu dire Julien Rochedy, disciple du moustachu de Sils-Maria. L’exercice du corps jaillit sur nos idées et nos idées jaillissent sur notre corps. La noblesse prêtée au gentilhomme est illustrée par un corps d’athlète.

Dans une société où les barbares ne s’empêchent plus, il deviendra indispensable de manier le verbe et le poing, d’être un orateur excellent et un guerrier honorable. Le Moyen Âge avait déterminé une société selon le principe de la tripartition : laborator, orator, belator. Revenons à une belle unité. Combattre, se défendre, apprendre à prendre des coups doivent faire partie des nouvelles facultés du gentilhomme, comme de réciter Paul Valéry. Casser des nuques comme le major Gérald doit être notre préoccupation face à celui qui fonce sur nous, armé d’un couteau. On laissera alors les nounours, les fleurs, les dessins avec des petits cœurs à ceux qui ne veulent pas haïr quand bien même on tuerait leur femme et leurs enfants. Mandales, targettes, gnons, patates, bourre-piffes, vont être de rigueur. L’exercice forme des princes de la castagne, voués à enfourcher le tigre et tenir sur les remparts.

On pourrait passer en revue les moments dans l’histoire où des hommes ont pu incarner la synthèse parfaite entre l’exercice du corps et de l’esprit, employant aussi bien le combat que les lettres. Rappelons tout d’abord le nom même de Platon qui signifie en grec « celui qui a de larges épaules ». On sait que le philosophe pratiquait la lutte tout en partageant une bonne table avec ceux qu’ils fréquentaient. Dans le Panégyrique à Trajan, Pline l’ancien loue les qualités de l’empereur en ces termes : un homme exercé au combat, aux rudiments de la lutte, et un philosophe accompli, fin lettré, doté d’un bon goût. Sénèque, dans ses Lettes à Lucilius n’hésite pas à condamner le culturisme mais défend l’idée qu’un corps élancé, entraîné, disposé selon une assiette bien réglé, parvient à triompher des envies et des passions. Les croisés plus tard représentent un modèle de foi et de courage ; ces chevaliers chrétiens également comme Bohémond, Bayard, du Guesclin, excellents à la guerre et dans les tournois ; ces troubadours comme Tannhäuser ou Walter von Vogelweide dans l’art de casser des nuques et de composer des chants passionnés. Francesco Petrarca a écrit dans son De viris illustribus une vie d’Hercule. Il le présente comme l’homme idéal de son siècle, fort mais lettré, curieux de tout et aventurier. C’est cet homme, grand navigateur, qui pousse les limites du monde connu. Sur ce modèle, se dessine l’humaniste, le passage de l’érudit qui est une cervelle sur une pile de livres et celui qui, à présent, s’ouvre sur le monde, sort du cloître, apprend de l’homme. C’est, en somme, la rupture qu’Alexandre Kojève a observé entre le monde clos et l’univers infini. D’Artagnan et Cyrano titillent des flancs avec leur rapière. Lord Byron, plus tard, caracole dans l’art de l’escrime, pratique la natation, se muscle, monte à cheval dans les plaines de Ravenne. Ce jeune homme grassouillet, doté d’un pied-bot, a su trouver la force nécessaire pour se former, se bâtir. Cinq ans plus tard, jeune homme, il est prisé des femmes pour danser la valse, rend fou la comtesse Teresa Guiccioli. Comment ne pas penser à Paul Morand qui, bien qu’octogénaire, enchaînait les longueurs de crawl dans une piscine d’un hôtel sous le regard d’Alain Peyrefitte, en sortait fringuant, visitait sa femme, et passait quelques heures à écrire ! Les exemples ne manquent pas pour battre en brèche l’idée saugrenue de l’intellectuel famélique, du romantique négligé, du poète maudit.

Une force supérieure, plus grande que lui guide l’homme complet. En France, l’image du catholicisme est pâlotte ; on pense à des curetons ringards, dépassés, frêles et mielleux avec les enfants. On pense à une église mièvre des bons sentiments. Parmi les oratores qui renouent avec un christianisme authentique et viril, l’abbé Matthieu Raffray est celui que nous aimons le plus. C’est une intelligence, tout d’abord, capable de dominer la cathédrale entière de Saint Thomas d’Aquin, la Somme théologique ; c’est, ensuite, un jeune prêtre solide d’une virilité qui fait plaisir à voir. La vitalité de sa foi est ardente, on dirait l’intérieur d’un haut-fourneau polonais combiné à l’alliage extérieur d’un char d’assaut de la 9ème brigade d’infanterie de marine. Ce prêtre est habile dans le tir, comme pour donner des patates de forains, doué dans la disputatio comme dans la bagarre. Prêtre engagé dans la défense de la nation française, réactionnaire affirmé et courageux, l’abbé Raffray pourrait reprendre l’engagement d’Urbain II, celui de faire la croisade contre le monde moderne et son cortège luciférien. Tout bon catholique doit pouvoir illustrer, incarner, revêtir les coutumes et les pratiques de sa religion ; l’abbé Raffray, engagé contre les lois progressistes, la mollesse, le libéralisme libertaire va dans ce sens. Il a très bien dénoncé pendant le deuxième confinement la fermeture (scandaleuse) des églises : « catholiques défendez la messe, elle est votre cœur et votre sang. » Dans le camp national, il est facile d’être dans la posture du croisé sans croisade, du gros bras sans bras, du patriote sans patrie, l’abbé, quant à lui, prêche pour une foi au service de la France, fille aînée de l’église, une foi de la terre des morts et une foi des ancêtres. C’est un miles Christi qui incarne la vertu de force, la virilité du catholique qui anime l’homme fort qui se soumet à Dieu, se met à genoux devant au Seigneur, qui défend les plus pauvres, faisant sien les mots de Saint Paul : « nous luttons contre les dominateurs de ce monde des ténèbres, contre les esprits du mal répandus dans l’air » et « prends ta part de souffrances comme un bon soldat du Christ Jésus. Nul qui sert comme soldat ne s’engage en des affaires ordinaires ».

Baldassare Castiglione dans Il libro del cortegiano, livre du gentilhomme, associe l’intelligence à la force, certes, mais aussi cette faculté d’avoir du goût, de l’esprit et d’être à l’aise aussi bien en bas qu’en haut. Ainsi il est chez les soudards dans une taverne, renverse la lavandière, mais manie un langage fleuri qui fait mouche dans les salons et les bals. C’est cela aussi le panache, la décontraction et l’élégance, tout ce que Bernard Lugan possède. Il n’est pas un colosse, une brute épaisse, mais un dandy, aux moustaches fines comme des fleurets, qui, avec finesse et délectation, distribue les gifles intellectuelles aux gauchistes.

L’alliance du vulgaire et du raffiné est toute française. Le trivial se joint au sublime, le bas corporel au grand raffinement. La langue française en tire sa grandeur en maniant le cru rabelaisien et l’élégance d’un Crébillon, marquée par le grand écart entre le parler populo, les mots crus et argotiques employés par Bigard et Alphonse Boudard et les archaïsmes du XVIème, les formules latinisantes du XVIIème, les formes raffinées du XVIIIème, les longues périodes d’un Paul Valéry manœuvrées à l’instar de Bossuet.

En fait d’intelligence, il ne s’agirait pas de déterminer les auteurs propices ou non à lire mais de donner quelques idées en termes de savoir. Revenons aux humanités latine et grecque, fondamentales dans notre civilisation. Ensuite, ajoutons-y le savoir millénaire du christianisme. Saint Thomas d’Aquin propose la synthèse du logos et Christos, l’helléno-christianisme. Le terme culture est fourre-tout, préférons « savoir », « discipline », « arts libéraux », catégories qui reposent sur l’idée de structure. Pensons comme au Moyen Âge l’intelligence comme un palais de la mémoire où chaque ramification, chaque concept est représenté par une pièce, un couloir. L’intelligence que l’on fait grandir et fructifier ressemble alors à un édifice figé et construit, solide, à l’abri du vent. Quand on visite la bibliothèque de Saint-Gall, on est frappé par ces mots qui brillent à l’entrée : « psychès iatreion », la pharmacie de l’âme. Quoi de plus beau qu’une bibliothèque assimilée à une pharmacie dont les livres servent à guérir les maux de l’esprit ! De même une pharmacie est rangée, structurée, ordonnée dans l’idée qu’un médicament soigne telle maladie, réponde à tel mal, de même une bibliothèque répond aux mêmes exigences, à la même rigueur pour s’informer sur tel ou tel sujet. C’est donc par structure que les lectures doivent s’ordonner, s’établir en programme, et s’étaler dans le temps. Parce que l’homme total est un homme de la tradition, il doit aussi avoir le sens de ce que l’on pourrait appeler l’esprit du moment, c’est-à-dire la manière dont une œuvre illustre l’idée générale de son temps. Il est sensible au sens de l’histoire : histoire de l’art, des idées, pris d’un point de vue hégélien, comme un processus dialectique de figure, à la différence de la philosophie, discipline konisgbergienne. Qu’importe que l’on aime plus la poésie ou les romans, tel auteur ou tel autre, l’idée est d’avoir une vaste connaissance d’une histoire de l’art en occident, qui permette de comprendre quelque chose à l’évolution de notre civilisation, aux œuvres et aux grands mouvements des pensées de manière structurée et synthétique.

À l’homme-soja, faut-il encore apprécier l’homme-goulash, le ventripotent, adepte de la bonne table ? Assurément. Le gentilhomme cultive l’art de la table. L’homme total a les papilles alertées, exercées comme ses biceps ; il connaît les degrés d’assaisonnement et de condiment, les manières d’apprécier le vin et la conservation des alcools blancs. N’oublions pas ce que nous dit Castiglione : le gentilhomme est aussi à l’aise en taverne qu’en salon ; à table cela est pareil, l’homme total peut engloutir une bonne poule faisane arrosée au sauternes, faire des barbecues, adorer le claquos, et la petite prune pour tout faire passer ; mais il est capable d’apprécier le vœu Wellington, le homard thermidor, les escargots d’Auvergne et les vins précieux. La table le remet dans la tradition, il renoue avec la diplomatie de l’esprit chère à Marc Fumaroli, le bonheur de la conversation. Il retrouve ses amis, sa famille, le repas est béni par le Seigneur.

Le monde est laissé aux granivores, aux vegans. Sont-ce des humanistes ? Par conviction, par idéologie, ils se sont coupés des plaisirs, ont renoncé à toutes les chaires, vivent dans une abstinence abstraite au nom de la planète. Funeste sort que celui d’un bobo qui mange un hot dog végétal ! De nos jours, rendons-nous compte, manger un magret de canard est devenu un acte pas politiquement correct, que l’on peut soupçonner de fascisme. Misère et décadence de l’occident. Revenons à des bases saines : bien manger, sainement certes, mais manger de la viande. Quelles délices la France ne peut-elle pas produire d’autre sinon la côte d’une charolaise cuite au feu de bois, le pâté de cerf, la terrine de sanglier, les rillettes du Mans, le foie gras d’Alsace, une bonne tourte vigneronne qui grouille de morilles, des gésiers du Périgord ? Si l’on veut être street cred, il faut bannir les hamburgers et les kebabs, arrêter le coca et boire du bon pinard. Mon ami l’abbé Christian Gouyaud est la meilleure table de Strasbourg. Fin gourmet, friand des viandes rouges, il est Porthos en soutane. Il dit ainsi le bénédicité « Seigneur bénissez ce repas afin de réparer nos forces pour mieux vous servir ». À l’approche d’une tablée avec monsieur l’abbé, messire gaster redoute autant qu’il s’impatiente.

De tous les Français connus dans la tradition et l’art français de la table, Baptiste Marchais est celui qui correspond le plus à l’homme total. Il est un de nos grands sportifs, pratiquant le développé-couché, le bench en anglais, ainsi que le powerlifting. Il faut le voir, ce frigo sur patte, massif, pur produit français dont le physique ressemble à celui des forts des halles que Zola décrit. Cet homme est une machine, mieux, une horlogerie, subtil, roué, fin. Passionné par la chasse, amateur de cognac, fou de reconstitutions historiques, on le voit sur sa chaîne youtube Bench and cigars tirer de la bécasse, se taper la cloche. Amoureux de l’histoire, il voue un culte à Napoléon, de Gaulle et saint Louis, l’amour des vieilles pierres, du beau mobilier, des châteaux et des vieilles églises. Tous les jours de la semaine, dans les secrets des dieux de la fonte, Baptiste Marchais s’entraîne à la palestre, soulève en poids l’équivalent du comité de rédaction de Médiapart, fume des barreaux de chaise en rentrant, se taille une bonne tranche de sanglier. Le dimanche, catholique fidèle, il va à la messe selon saint Pie V.

Les Allemands dans leur idiome ont le terme le heimat, c’est-à-dire, le chez soi, le village natal et la chaumière et tout ce qui est proche. La tradition s’incarne par les racines et la terre. Couper le bois, chasser, pêcher illustrent cette appartenance à la terre et à l’esprit des morts. Fumer la pipe est traditionnel et rompt avec la mécanique des clopes. Il y en a deux écoles, ceux qui aiment le tabac sans arôme et ceux qui aiment les mélanges ; il y a ceux qui ne jurent que par les pipes de Saint-Claude et les autres qui préfèrent les lignes artistiques des pipiers italiens. À ces gens, viennent les fumeurs de cigares, adeptes des cubains, passionnés par les barreaux de chaises, ou par les toscanelli, simples et efficaces à fumer après le repas. Pour les liqueurs et les alcools blancs, è la stessa cosa : l’homme complet sait profiter d’une poire glacée, d’une liqueur de framboise de Forêt Noire comme d’un excellent Armagnac de chez Gelas, à la robe d’ambre, au goût de feu de cheminée. Pour les sports, cela est la même chose. La pratique du cheval a une noblesse sans égale, la chistera une brutalité basque que jalouse le rugby. Le Tour de France est un voyage autour de sa patrie. La pétanque, cet art populaire, est un sport qui remet l’individu dans une communauté et une équipe. Chacun est sur le terrain au centre du village, entre la buvette, l’église et la mairie. La pétanque, avec sa musique des sphères, sa métaphysique des boules, est l’omphalos du village.

Pour revenir à l’idée de beauté, l’élégance fait partie des atouts de l’homme total. Les gauchistes sont des loques, en sarouel, en marcel ; l’homme total cultive aussi l’art de la sape. Adieu les tee-shirt dégoûtants et les joggings pourris, un corps soigné va aussi avec une mise soignée. On y trouvera toutes les écoles avec le Prince Philippe, Philippe Noiret et Beppe Modenese. Les trois-là, décédés, illustraient les trois styles anglais, français et italien. Certains préféreront les princes de galles, les blazers de chez Savil Raw et les cravates clubs, d’autres adhéreront aux costumes traditionnels et virils de chez Arnys, des complets en flanelle marron en passant par la forestière vert émeraude ; d’autres encore préféreront les costumes croisés à rayure, style gessato, de la maison Caraceni avec des chaussettes rouges de chez Gammarelli. Nous avons en France un des plus grands spécialistes du monde sartorial en la personne de Hugo Jacomet. Fondateur de Parisian gentleman, il est à la fois une encyclopédie sur pieds du monde de l’élégance. Sa mise illustre ce qu’il défend : costume crème de chez Cifonelli, souliers marron glacé fait sur mesure par Pierre Corthay, cravate de chez Kenji Kaga, le meilleur cravatier d’Italie avant Marinella et Calabrese. Parce que l’on trouve des tailleurs qui se laissent aller au sacrilège du costume slim-fit, un tour chez les fripiers vaut le détour pour retrouver le goût de l’ancien. Ammar, à Paris, au 65 rue Nollet, est le meilleur dans sa catégorie, le pape de la fripe, une honorable institution. Dans sa petite boutique, semblable à une chambre de bonne, les souliers défilent, bruns, noirs ; des derbys caramel, des mocassins en velours bordeaux ; des spectators blanches et noires. Du grand art. Ammar revient à l’ancien monde des grands et petits tailleurs. Il renoue avec les laines, les cachemires, quelques soieries, on n’y trouvera pas d’infâme polyester, du terrible tergal. Il défend les pantalons larges, les ourlets qui tombent bien sur les souliers, les costumes aux revers généreux, les formidables toiles des sahariennes, les cirés, les imperméables de l’ancien monde. On conseillera donc au gentilhomme qui souhaite plaire à l’église comme en ville, de commencer par un costume bleu, puis un gris en flanelle, jamais de noir.

S’il fallait, de nos jours, partir en croisade, il faudrait la faire dans notre pays contre le monde moderne et le gauchisme. Une bataille des idées, comme disait Gramsci, doit être gagnée. Annonçons la mort de l’homme-soja, mettons à mort le cool et le fade, le fragile et le mièvre, mettons du pétillant et de l’énergie dans nos vies, revenons à l’église et à notre terre. À la source de la bataille des idées et la victoire politique, trois choses : la vitalité, le panache et la tradition.

Nicolas Kinosky

© LA NEF le 28 mai 2021, exclusivité internet