Aude Dugast © DR

Jérôme Lejeune, savant modèle

À l’évidence on ne naît pas saint, mais on le devient, par la grâce de Dieu, et cette sainteté, qui n’est pas réservée à une élite, est le plein accomplissement auquel chacun est appelé. Un des aspects passionnants de la vie de Jérôme Lejeune est cette évolution, à la fois simple et radicale, qui l’a conduit de l’ordinaire du quotidien au don de soi extraordinaire. S’il est devenu saint, par sa vie de médecin, laïc, époux et père de famille, dans la France d’aujourd’hui, pourquoi pas nous ? Bien sûr le Professeur Lejeune était un génie scientifique, doté de nombreux talents humains exceptionnels. Mais ce n’est pas pour ses remarquables capacités qu’il a été déclaré vénérable par l’Église, le 21 janvier dernier. Ce serait trop injuste ! C’est pour l’usage qu’il en a fait. La parabole des talents, en acte. Par l’exercice des vertus théologales (foi, espérance et charité) et des vertus cardinales (force, justice, prudence et tempérance). Héroïquement. Harmonieusement. Et même avec bonheur, malgré les épreuves.
Au seuil de sa vie d’adulte, rien n’indique un chrétien d’exception. Rien, si ce n’est la foi qui l’habite. Une foi reçue au baptême, qu’il prend au sérieux. Une foi qui s’épanouit dans la pratique des sacrements, la lecture de la Bible et la fréquentation des vies des saints, dont saint Vincent de Paul pour son attention aux plus pauvres et saint Thomas More pour la droiture de sa conscience et son courage.
Si le Professeur Lejeune n’est pas déclaré vénérable en raison de son intelligence, ce serait une grande erreur de penser qu’il a gravi le sentier de la sainteté en mettant de côté son intelligence. L’intelligence géniale de Jérôme joue au contraire un rôle central dans sa foi. Sa vie de scientifique mondialement courtisé montre que la foi et la science vont de pair dans la recherche de la vérité et que le bon usage de l’intelligence fait grandir la foi. Comme chercheur, il a une foi très naturelle et imprégnée de science et témoigne de la beauté de la Création. Il montre l’harmonie profonde entre la vérité révélée et les découvertes scientifiques. C’est un serviteur de la vérité. C’est un des aspects de sa sainteté qui inspire beaucoup de scientifiques et d’universitaires aujourd’hui.
Qui peut avoir une foi exceptionnelle en notre Dieu d’amour et ne pas brûler de charité ? Guidé par l’appel de l’Évangile qu’il rappelle souvent : « Une phrase, une seule, dictera notre conduite, le mot même de Jésus : “ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait” », Jérôme exerce, comme médecin, la vertu de charité de façon exceptionnelle. Il fait preuve d’un amour inconditionnel pour ses « petits patients ». Amour inconditionnel car sans critère d’âge ni de maladie. « Chaque patient est mon frère » aime-t-il répéter, et voyant en chacun d’eux le visage souffrant du Christ, il donne sa vie pour tenter de les guérir. Il a une foi christique, dans laquelle le mystère de l’Incarnation tient une grande place. Jérôme est un serviteur du Verbe incarné. L’amour de Dieu et de son prochain est son moteur et sa raison de vivre. Et dans le renoncement à « son propre moi », il trouve cette liberté qui lui permet de résister à toutes les tentations et les attaques.
Comment ne pas parler également de la vertu d’espérance de Jérôme Lejeune ! Particulièrement éclairante sur son envolée spirituelle. Dans le contraste entre sa faiblesse d’origine, qu’il avoue dans son Journal personnel à l’aube de sa vie d’adulte, et la manifestation éclatante de cette vertu d’espérance à l’âge adulte nous mesurons l’action de la grâce. L’espérance de Jérôme mérite aussi une attention particulière en sa double qualité de médecin et de chercheur. Il s’agit pour le scientifique chrétien de ne pas substituer l’espérance scientifique à l’espérance biblique, de ne pas chercher le salut de l’homme dans la science, mais bien en Dieu. C’est aussi le lieu de l’humilité nécessaire au savant pour reconnaître les limites de sa science et ne pas servir des desseins contraires au projet de Dieu. L’humilité du savant que Jérôme appelle de ses vœux dans de nombreuses conférences : « La seule dignité des scientifiques, c’est d’avoir l’audace de dire : Ça, vraiment, je ne sais pas, je ne suis pas compétent. […] Les scientifiques ne sont absolument pas faits pour poser des barrières. Ce qui nous dit ce qui est bien ou mal, ce n’est pas la science, c’est la morale. Et si la science ne se soumet pas à la morale, la science devient folle. »
C’est ce chemin qui a conduit Jérôme Lejeune des fragilités de la jeunesse à la liberté des enfants de Dieu que j’ai tenté de décrire dans ce nouvel ouvrage. Ce portrait spirituel, plus intime que la biographie (1) publiée en 2019, montre comment la dynamique des vertus l’a conduit au plein accomplissement de lui-même. On y voit que la sainteté n’est pas un rêve spirituel abstrait, incompatible avec les réalités terrestres, mais une invitation à l’excellence, avec notre génie propre. Au contact du vénérable Jérôme Lejeune, on découvre combien l’exercice patient, fidèle, héroïque des vertus, trésor trop ignoré, est le chemin de la plénitude. Un appel à le suivre, sans peur.

Aude Dugast

Aude Dugast, postulatrice de la cause de canonisation de Jérôme Lejeune, vient de publier Jérôme Lejeune. Portrait spirituel au fil des vertus, Salvator, 2021, 226 pages, 18,80 €.
(1) Aude Dugast, Jérôme Lejeune, la liberté du savant, Artège, 2019, 480 pages, 22 €.

© LA NEF n°337 Juin 2021