Alexandre Del Valle © DR

La mondialisation dangereuse

Alexandre Del Valle va publier avec Jacques Soppelsa, tous deux géopolitologues, un essai vigoureux (1) qui présente un panorama des enjeux géopolitiques marqués par le recul de l’Occident. Rencontre avec Alexandre Del Valle qui nous parle de cet ouvrage et aussi de ses travaux passés.

La Nef – Vous avez consacré plusieurs ouvrages sur l’alliance américano-islamiste initiée en Afghanistan contre l’Union soviétique et poursuivie en Irak, en Bosnie et au Kosovo : pourquoi ces alliances et quelles conséquences jusqu’à aujourd’hui ?
Alexandre Del Valle
– La stratégie pro-islamiste des États-Unis, conçue à la fin de la Deuxième Guerre mondiale (Pacte du Quincy unissant Washington aux Saoud), a été déterminée par l’enjeu énergétique puis l’endiguement de l’URSS durant la Guerre froide (soutien US aux pires islamistes d’Afghanistan, du Pakistan, de Turquie et du monde arabe). Cette stratégie a été poursuivie entre 1990 et 2003 en Irak, entre 1992 et 2007 dans les Balkans, entre 2002 et 2016 en Turquie (soutien atlantiste aux islamistes anti-kémalistes comme Erdogan), puis depuis 2011 et les printemps arabes avec l’appui aux djihadistes et aux Frères musulmans (Égypte, Syrie, etc.). Les États-Unis n’ont jamais rompu avec les monarchies islamistes du Golfe et le Pakistan, parrains du totalitarisme islamiste-djihadiste. Cette stratégie a favorisé la progression de l’islamisme en Occident.

Vous vous êtes aussi intéressé à la Turquie : quelle a été l’évolution de ce pays, quelle menace représente-t-il aujourd’hui ?
Les ambitions panislamistes et « néo-ottomanes » du président turc Erdogan sont l’aboutissement d’une radicalisation qui remonte aux années 1990 et qui a été aggravée par Erdogan, pur produit du Milli Gorüs et parrain des Frères musulmans. En 19 ans d’erdoganisme, cette Turquie néo-ottomane, qui a enterré le kémalisme laïque et est (re)devenue l’ennemie de l’Europe, est désormais un cheval de Troie islamiste dans l’OTAN. En Libye, dans le Caucase (Haut-Karabagh) et dans les Balkans, les djihadistes et islamistes instrumentalisés par l’armée turque sont une menace pour l’Europe, d’autant qu’Ankara peut faire chanter l’UE en ouvrant les vannes migratoires illégales dans les Balkans, dans les îles grecques convoitées par Ankara et depuis la Libye et la Syrie. Nostalgique du Califat aboli par Atatürk il y a cent ans, la Turquie erdoganiste convoite aussi le gaz off-shore de Chypre et de la Grèce, dont elle conteste les zones maritimes exclusives, et où elle procède à des forages illégaux (Chypre, pays membre de l’UE, est occupé illégalement à 37 % par l’armée turque) et menace militairement les compagnies de forage italiennes et chypriotes… L’impuissance de l’Europe est pour Erdogan un atout majeur…

En quoi l’islamisme est-il selon vous un « totalitarisme » ?
En tant qu’idéologie et projet théocratique englobant la totalité de la vie humaine et entreprise politico-militaire ambitionnant de conquérir le monde entier par tous les moyens, l’islamisme doit être distingué des phénomènes intégristes religieux classiques, qui ne poursuivent pas un projet de conquête violent destiné à soumettre tous les êtres humains à un ordre impérial. En revanche, l’islamisme vise la conquête universelle du pouvoir, des territoires et des âmes, dans une logique de soumission politique qui est aux antipodes de l’adhésion spirituelle, et en s’appuyant sur une lecture littérale de la jurisprudence islamique. De ce fait, l’impérialisme islamiste est la continuation théocratique des totalitarismes du XXe siècle analysés par Hannah Arendt, Claude Polin, Raymond Aron, Enzo Traverso ou Karl Popper : le communisme et le nazisme.

Les chrétiens d’Occident disparaissent des sociétés riches enfoncées dans le matérialisme libertaire tandis que les chrétiens d’Orient disparaissent sous les coups de l’islam : leur sort est-il lié et comment expliquer le peu de solidarité qui les unit ?
Oui. L’erreur stratégique des Occidentaux a été de croire que l’on est plus respecté par l’islamisme en se reniant civilisationnellement (dénonciation des croisades ; islamiquement correct), or l’islamisme revanchard perçoit au contraire cet Occident post-chrétien auto-raciste et « apostat » comme une terra nulius à conquérir, méprisable, dont le vide spirituel et la haine de soi sont perçus comme des appels à la prédation, comme un blanc-seing pour éradiquer les chrétiens d’Orient, abandonnés par avance par un Occident qui les défendait lorsqu’il était chrétien mais qui n’en est plus solidaire depuis qu’il se définit par l’atlantisme anti-russe et l’individualisme consumériste. Pour les islamistes, les Occidentaux sont condamnés par leur « perversion athée », et le message lancé par leurs élites, qui appuient le prosélytisme islamiste sans exiger de réciprocité pour le christianisme en terre d’islam, est une acceptation de l’islamisation, d’ailleurs déjà amorcée ouvertement en Occident.

Pourriez-vous nous expliquer comment l’Union européenne est perdante dans « la mondialisation dangereuse », objet de votre dernier livre ?
Dans cet ouvrage, co-écrit avec le géopolitologue Jacques Soppelsa, j’explique que la mondialisation, phénomène au départ neutre et ancien (chinois, routes de la soie, Venise, Portugal, etc.), est un terrain d’échanges et de rivalités entre puissances, et que les pays occidentaux, pris au piège de leur ouverture, ont délégitimé leur civilisation et patries au nom d’une lecture mondialiste de la nouvelle globalisation anglo-saxonne, initiée dans les années 1980 avec la chute de l’URSS et l’ouverture de la Chine et de l’Inde devenues usine du monde des firmes occidentales. Cette néo-mondialisation a profité à l’empire américain (McWorld), mais elle est aujourd’hui retournée contre ses créateurs par l’hyperpuissance chinoise qui s’est autonomisée. Entre ces deux empires, les Européens sont les dindons de la farce, car ils sont les seuls à croire que la mondialisation est synonyme de gouvernance mondiale et de renoncement à la nation. Faite de délocalisations, de dérégulations, d’interventionnisme atlantiste, d’européisme, d’acculturation occidentale et de prosélytisme droit-de-l’hommiste hypocrite, cette mondialisation anglo-saxonne a profité aux empires rivaux chinois et américain, aux multinationales apatrides déloyales, aux Banques, aux GAFAMS, aux mafias, aux trafiquants de migrants, à l’islamisme, et plus récemment, aux virus, bien plus qu’aux peuples attachés à leur identité et à leur souveraineté ainsi menacées. Les pays européens doivent comprendre que dans ce monde multipolaire, seules les nations qui ont une politique de puissance et de civilisation survivront.

Quelles sont les solutions aux maux que vous décrivez dans La mondialisation dangereuse ?
Le retour à une politique de civilisation va devenir une nécessité vitale avec la montée du terrorisme, de l’islamisme et les conséquences de plus en plus insoutenables de l’immigration incontrôlée. Quant à la nécessaire réindustrialisation et aux relocalisations, déjà en cours depuis la crise financière de 2008 (due aux dérives de la dérégulation anglo-saxonne), la crise sanitaire a permis de prendre conscience que nous sommes trop dépendants de la Chine ou de l’Inde pour les matériaux informatiques et les médicaments. L’enjeu géoénergétique et les problèmes de pollution et de réchauffement climatique ont par ailleurs accéléré la volonté des États de favoriser les nouvelles industries locales, les énergies renouvelables, les circuits courts, qui créeront les emplois de demain.

Mais quid des questions identitaires ?
Les attentats terroristes, les violences urbaines et communautaristes ont fait prendre conscience de la nécessité de défendre notre civilisation et nos frontières face aux prédateurs extérieurs qui se nourrissent de l’ouverture de nos sociétés pour y pratiquer une ingérance expansionniste démographique et politico-religieuse. Le retour de la souveraineté, de la realpolitik et de l’identité est en marche, et il va de pair avec un réapprentissage de l’amour de soi. Je crois d’ailleurs que le succès des lycées Espérance Banlieues, comme celui des émissions de CNews aux antipodes du politiquement correct des chaînes publiques marxisées, en sont des manifestations claires. Partout, le souverainisme, la défense des identités et le refus du mondialisme occidental s’observent. L’Europe bisounours et woke est une exception à l’échelle planétaire. Même en Europe de l’Est (Pologne, Hongrie), en Australie ou aux États-Unis, les peuples qui se sentent trahis par leurs élites mondialisées attendent leur heure. En l’absence d’une réconciliation identitaire avec ses racines judéo-chrétiennes et gréco-latines fondatrices, l’Europe sortira de l’histoire et sera balayée par les empires sino-confucéens et islamistes revanchards…

Propos recueillis par Christophe Geffroy et Éric Mestrallet

(1) Alexandre Del Valle et Jacques Soppelsa, La mondialisation dangereuse. Suprématie chinoise, islamisme, crise sanitaire, mafias, défis éco-énergétiques : vers le déclassement de l’Occident ?, L’Artilleur, 2021, 528 pages, 23 €. À paraître le 28 septembre 2021.

© LA NEF n°339 Septembre 2021


Pour découvrir l’œuvre d’Alexandre Del Valle

Alexandre Del Valle a commencé ses recherches sur le monde arabo-musulman il y a de 30 ans à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence, dont il est diplômé (1992)[1].

C’est durant ses études aixoises, que je fais alors sa connaissance, en 1990, en pleine guerre du Golfe, à Beyrouth dans le cadre d’un séjour humanitaire et de recherches qu’il a intégré grâce à l’Ordre de Malte. Il effectue un séjour au Liban pour y étudier la guerre civile libanaise et le sort des chrétiens d’Orient. Il entrevoit à cette occasion les conséquences des décisions de l’administration américaine sous la présidence de Georges Bush. De cette période je retiens à travers des discussions homériques, sa grande curiosité et son esprit libre qui l’amènent à réaliser des 360° sur les problématiques étudiées. Une approche peu commune aujourd’hui pour les intellectuels qui sont de plus en plus obligés de faire rapidement allégeance à telle ou telle théorie.

Quelques années après, avec les encouragements du Général Gallois[2], avec qui il se lie d’amitié, il commet plusieurs ouvrages majeurs, fruits de ses recherches universitaires : Islamisme-États-Unis[3], paru en 1997 et en 1999, Guerres contre l’Europe[4], dans lequel il poursuit son décryptage de l’alliance américano-islamiste – initiée sous la guerre froide en Afghanistan, poursuivie en Irak par la destruction de l’État laïque bassiste de Saddam Hussein, puis en Bosnie 1992-1993 et au Kosovo (1999) lors du démantèlement de l’ex-Yougoslavie au profit des particularismes ethno-religieux musulmans. Tout cela aux dépens des Chrétiens d’Orient pris en tenaille et injustement assimilés à des 5èmes colonnes de l’Occident croisé.

L’auteur annoncer aussi dès cette époque la montée de l’impérialisme turc néo-ottoman, puis la « nouvelle guerre froide » russo-occidentale exacerbée en 2003 au détriment de la lutte contre la menace islamiste. Del Valle poursuivra sa démarche géopolitique dans La Turquie dans l’Europe et Le dilemme Turc[5], essais qui alertent sur le danger néo-ottomaniste de la Turquie d’Erdogan, candidate à l’entrée dans l’UE. Sollicité par les milieux de la Défense (CHEM, IHEDN, SGDN), Del Valle annonce 10 ans avant tout le monde la future évolution « national-islamiste » d’Erdogan, faux musulman-démocrate modernisateur et vrai anti-occidental qui instrumentalisait déjà les communautés turco-musulmanes d’une Europe culpabilisée, déchristianisée, décadente, et donc à conquérir…

En 2002, juste après le 11 septembre 2001, qu’il a pressenti dans Guerres contre l’Europe, Del Valle publiait un ouvrage majeur, Le Totalitarisme islamiste[6]: il assimile l’islamisme impérialiste et théocratique, non pas à un « intégrisme » mais à un totalitarisme, annonçant ainsi le « 3ème Totalitarisme Vert ». C’est dans ce contexte que Del Valle, par ailleurs marié à une juive argentine très attachée à l’État d’Israël, lance sa théorie des Rouges-Bruns-Verts[7]: la « convergence des totalitarismes » anti-chrétiens et anti-juifs.

Fidèle à son engagement chrétien de jeunesse – aux antipodes des orientations « néo-païennes » dénoncées par certains – Del Valle publie des années plus tard, en 2011, au moment des attentats massifs jihadistes contre les Chrétiens d’Égypte et d’Irak, La Nouvelle christianophobie[8], dans lequel il affirme que dans les pays musulmans radicalisés se produit une « solution finale progressive des chrétiens », perçus comme des suppôts de l’Occident honni. Ceci dans l’indifférence des pays occidentaux incapables de raisonner du point de vue civilisationnel (n’assumant pas les racines de Rome Athènes et Jérusalem !).

Cette idée est développée en 2014, dans Le Complexe occidental[9]: il y affirme que l’auto-reniement de l’Europe « cosmopolitiquement correcte » n’est pas le seul fait de la gauche internationaliste, mais aussi de l’atlantisme, qui remplace l’identité historique par l’appartenance au monde capitaliste. Il inclut l’islamisme parmi les protagonistes du mondialisme, aux côtés des forces marxistes, des multinationales et de la gauche diversitaire, tous hostiles aux Etats-nations souverains. Il prône une démarche audacieuse en appelant à une thérapie collective d’auto-estime et de pardon – y voit-on sa culture personnelle chrétienne ? – qui permettra de guérir de la haine de soi.

Ensuite, à la lumière de « la folle opération » de déstabilisation du régime de Kadhafi en 2011, Del Valle publie en 2016 Les vrais ennemis de l’Occident[10], dans lequel il constate les dégâts de l’absence de stratégie « géo-civilisationnelle » de l’Occident, qui ne se définit plus d’un point de vue identitaire mais comme un empire consumériste-libertaire mondialisé. Del Valle affirme que cette stratégie contra-civilisationnelle rend l’Occident incapable de protéger ses valeurs, territoires et populations, tandis que les puissances décomplexées comme la Chine, la Turquie, la Russie, l’Indonésie, le Brésil, sont foncièrement identitaires. Il préconise une réconciliation pan-occidentale entre l’Occident et la Russie pour faire face aux impérialismes théocratiques de l’islamisme, libertaire du mondialisme (qualifié par Del Valle « Mcworld »), et géoéconomique de la Chine. L’erreur a donc été selon lui de jeter la Russie de Poutine, au départ pro-occidental, dans les bras de la Chine, une Russie diabolisée et ultra-sanctionnée alors que la Turquie qui envahit Chypre et menace la Grèce ou les monarchies du Golfe qui ont sponsorisé des djihadistes, n’ont jamais subi de sanctions…

À l’image de sa discipline, Del Valle est un penseur complexe, inclassable, libre même, bien qu’il ne nie pas être issu du milieu souverainiste chrétien (il a commencé son militantisme politique au sein du RPR-DF et de Combat pour les Valeurs de Philippe de Villiers, alors partisan d’un rapprochement avec Charles Pasqua). Il est surprenant que quelques observateurs se soient trompés sur lui en l’assimilant à des milieux idéologiques radicaux sous prétexte qu’il aurait toujours accepté de discuter et débattre avec tous ceux qui l’ont sollicité, qu’ils soient gaullistes, catholiques traditionnalistes, libéraux-conservateurs, francs-maçons, villiéristes, pasqualiens, nouvelle-droitistes, chevènementistes (proches de son ami le général PM Gallois, préfacier de certains de ses ouvrages, grand résistant, et du général Henri Paris[11]), et même fréquemment avec des associations communautaires juives dont il est un temps devenu le héros car elles pointaient comme lui les ennemis existentiels islamistes, nazi-fascistes et communistes (cf. sa théorie des « Rouges Bruns verts »- voir note sur ces écrits supra – qui lui a valu les critiques de la part de la Nouvelle droite et des milieux antisémites d’extrême droite et pas seulement de l’extrême gauche).

Sa grande liberté et la maîtrise des sujets objets de ses recherches font qu’il n’a jamais considéré que le fait d’exprimer ses thèses au sein d’instances très diverses constituait une contradiction, sa motivation étant alors essentiellement de présenter ses analyses géopolitiques. Il est certain que ses analyses souvent prémonitoires ont souvent dérangé mais n’est-ce pas là la caractéristique de ceux qui font avancer la recherche ?

Par ailleurs, en tant qu’ancien du Secrétariat Général à la Défense Nationale (SGDN), je ne peux m’empêcher de citer le fait que Del Valle est passé au cours de sa première carrière de fonctionnaire par cette institution dont on connaît l’importance pour ceux qui défendent l’Intérêt général et la France. Ce prisme d’analyse à partir de données issues du « renseignement » permet de comprendre pourquoi il a longtemps adhéré au club du général de La Maisonneuve « Stratégie », et qu’il est souvent intervenu dans les milieux militaires de l’IHEDN, du CHEAM et du CHEM. Il reste d’ailleurs aujourd’hui membre et chercheur associé du CF2R, le Centre français de Recherche sur le Renseignement, présidé par un ancien analyste du SGDN, Éric Denecé.

Inclassable, il le restera. Le fait qu’il soit tant critiqué par les extrêmes tant de droite que de gauche montre peut être qu’il est sur une ligne de crête qui se caractérise par sa recherche des justes causes des situations géopolitiques qu’il analyse. Pour qui l’a connu dès sa jeunesse, comme moi, lorsqu’il se singularisait par sa grande curiosité et sa capacité à échanger avec tous, on remarque une continuité dans ses écrits et positions : la défense des Chrétiens d’Orient – comment ne pas souhaiter qu’ils puissent continuer à être présents dans ces contrées où ils vivent depuis plus de 2000 ans souvent ? – et la défense de l’Occident et des identités nationales dans une tradition française géopolitique qui est celle de Gallois et de Lacoste, ses deux premiers maîtres en géopolitique. À ce titre, on peut se rappeler de ses débuts dans la presse conservatrice libérale, quand, rédacteur en chef adjoint de la revue marseillaise Nouvelle Liberté du docteur Giraud, il réalisait des interviews intéressantes du Général Aoun, de Pierre Messmer, d’Alain Peyrefitte ou du Général Gallois, ou lorsqu’il contribuait à La Une, le petit journal du groupe Laffont[12].

Dans son dernier ouvrage, La mondialisation dangereuse[13], co-écrit avec Jacques Soppelsa, géopolitologue distingué et ex-président de la Sorbonne – qui le présente d’ailleurs dans sa préface comme le  » représentant de la nouvelle génération de géopoliticiens qui n’a rien à envier à ses homologues américains », il approfondit l’analyse de la mondialisation, trop souvent comprise comme « sans-frontiériste », dans une logique novatrice et contre-intuitive qui va encore surprendre ses lecteurs comme ses détracteurs. Les deux auteurs expliquent que la mondialisation à deux facettes opposées, et qu’elle est paradoxalement compensée par une multipolarisation porteuse de « resouverainisation ». Après avoir passé en revue les risques, menaces et enjeux, les auteurs de ce quasi manuel de géopolitique expliquent comment les États qui tirent leur épingle du jeu sont ceux qui instrumentalisent la mondialisation comme un champ d’extension de leur puissance et non ceux, qui, comme l’Europe de l’Ouest, en sont dupes. Ils déplorent cette lecture idéologisée, fruit de l’américanisation de la globalisation initiée à la fin des années 1980, lorsque l’empire « McWorld » (terme institué par Del Valle) a imposé ses normes sociétales, consuméristes et planétaires aux autres nations.

Ils expliquent que l’UE – conçue par les Atlantistes comme un laboratoire d’une future gouvernance mondiale utopique et dangereuse – en est le dindon de la farce. Del Valle et Soppelsa observent le processus de « resouverainisation » lancé, face à l’universalisme « babélien de McWorld », par les puissances du monde multipolaire, qui opposent aux Occidentaux une mondialisation régionalisée, désoccidentalisée, vecteur de puissance patriotique, et qui sont toutes (Turquie, Russie, Chine, Brésil, Égypte, etc.) totalement décomplexés, identitaires et politiquement incorrectes. Enfin, les auteurs rappellent que la puissance d’acteurs hybrides comme les multinationales, les Gafam, grands gagnants d’une mondialisation non régulée, n’est pas une fatalité mais le fruit de la capitulation des États. Ils pensent que les nations décidées à préserver leur souveraineté et identités peuvent « recadrer » et encadrer les pouvoirs des entités transnationales et supranationales et que l’État demeure l’acteur majeur de la géopolitique mondiale. La crise de la Covid 19 aura été selon eux une formidable occasion d’accélérer ce processus de « post-mondialisation », voire de « démondialisation », c’est-à-dire le retour du souverainisme et d’un retour à une vision neutre, désidéologisée, de la globalisation, redevenue un champ d’action économique, d’échanges et de communication entre pouvoirs étatiques souverains.

Cette rétrospective est une invitation à découvrir l’ensemble des livres d’Alexandre Del Valle.

Éric Mestrallet


[1] Docteur en Histoire contemporaine (option géopolitique) après avoir été diplômé de deux DEA, l’un d’Histoire des Idées Politiques et des Institutions (Aix-Milan) et l’autre d’Histoire Militaire, Sécurité-Défense (Aix-Montpellier). Par ailleurs, son année de Prépa-Ena à Science Po Paris lui a permis de réussir un concours administratif et d’intégrer la Fonction publique qu’il a quitté en 2009 pour le Parlement européen, puis ensuite un cabinet de Conseil géopolitique (Geopol).

[2] Pierre-Marie Gallois : engagé dans la Royal Air France durant la Seconde Guerre mondiale contre les Nazis, initiateur de la force de frappe nucléaire française aux côtés du général de Gaulle et collaborateur épisodique pendant plusieurs années de La Nef.

[3] Islamisme Etats-Unis, une alliance contre l’Europe, L’Age d’Homme, Lausanne, 1997.

[4] Guerres contre l’Europe, Bosnie, Kosovo, Tchétchénie, Les Syrtes, Paris, 2000.

[5] La Turquie dans l’Europe, un cheval de Troie islamiste ?, Les Syrtes, Paris, 2003; Le dilemne turc, les vrais enjeux de la candidature d’Ankara, Paris, Les Syrtes, 2005.

[6] Le totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, Paris, Les Syrtes, 2002.

[7] Voir son article dans Politique Internationale: « Rouges Bruns et Verts, l’étrange alliance », hiver 2004; puis son essai en italien: Rossi Neri Verdi, l’alleanza paradossale degli estremismi anti-occidentali, Turin, Lindau, 2010.

[8] Pourquoi on tue les chrétiens dans le monde aujourd’hui, La Nouvelle christianophobie, Laurent Dumesnil/Maxima éditeur, Paris, 2011

[9] Le complexe occidental, petit traité de déculpabilisation, Paris, L’Artilleur, 2014. 

[10] Les Vrais ennemis de l’Occident, du rejet de la Russie à l’islamisation des sociétés ouvertes, Paris, L’Artilleur, 2016;

[11] Henri Paris, Général de division, ex-conseiller défense de Pierre Mauroy, socialiste de la première heure, surnommé le « général rouge », présida durant 25 ans le Club de réflexion politique Démocraties, auquel Del Valle a adhéré dans les années 1990-2000, illustration de sa capacité à s’exprimer et débattre de questions géopolitiques avec une grande palette d’interlocuteurs afin de pousser ses idées et conclusions. Del Valle organisa même en 1997 une mission stratégique avec Henri Paris en Russie, auprès du Général russe Lebed (alors présidentiable), à Krasnoïarsk, dans le cadre d’un projet de coopération de la région Ile-de-France, présidée par le socialiste Jean Paul Huchon, proche d’Henri Paris. Cette collaboration apparemment paradoxale Alexandre Del Valle/Henri Paris est d’ailleurs relatée par Raslfront (voir Wikipedia). Pour en savoir plus sur le Général H Paris, récemment décédé, vous trouverez ci-après cet article du Monde: https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2021/05/27/la-mort-du-general-henri-paris-specialiste-des-questions-strategiques_6081726_3382.html.

[12] Collaborations bien plus engageantes et révélatrices que les articles (sur la situation des juifs et des chrétiens sous l’islam) qui ont été publiés dans un fanzine d’étudiants de l’IEP d’Aix, Munin. articles qui reprenaient des éléments de son mémoire de DEA d’Aix en Provence en Histoire des Idées politiques que Del Valle était ravi de diffuser là où il pouvait alors en milieux étudiants et plus tard dans la presse plus classique.

[13] La mondialisation dangereuse, Déclassement de l’Occident, Islamisme, montée de la Chine, puissances multinationales; mafias, défis éco-énergétiques, crise sanitaire, etc…, Paris, L’Artilleur, 2021.

© LA NEF le 19 août 2021, exclusivité internet, mis à jour le 8 septembre 2021