Celui qui fut primat de Pologne pendant trente-trois ans, sous le régime communiste, a été béatifié à Varsovie le 12 septembre. Présentation de cette figure héroïque d’une Église persécutée.
Stefan Wyszynski est né en 1901 à Zuzela, dans une famille profondément catholique. Pendant la Première Guerre mondiale il fit partie d’une des premières troupes scoutes implantées dans le pays, ce qui lui valut de la part des autorités allemandes vingt-cinq coups de fouet pour participation à une « réunion clandestine ». En 1917 il entra au grand séminaire de Wloclawek et fut ordonné prêtre en 1924. Il célébra sa première messe au sanctuaire marial de Czestochowa.
D’abord vicaire à la cathédrale de Wloclawek, ses supérieurs l’envoyèrent bientôt poursuivre des études à l’Université catholique de Lublin. Il y étudia le droit canon et la doctrine sociale de l’Église et y soutint en 1929 une thèse de doctorat consacrée au « Droit à l’école ». Puis une bourse d’études lui permit d’accomplir pendant près de deux ans un grand voyage en Europe occidentale. Il s’intéressa particulièrement à l’apostolat ouvrier, aux syndicats chrétiens et à la JOC naissante. En 1931, il fut nommé vicaire de paroisse tout en étant professeur de sociologie et de droit canon au grand séminaire de Wloclawek. Il participa à l’organisation des syndicats catholiques dans la ville et à la création de l’Union de la jeunesse ouvrière catholique.
Sous l’occupation nazie
En 1920, le Père Bogdanski, un de ses professeurs au séminaire, avait dit à ses élèves : « Il viendra un temps où vous subirez des tortures que l’homme de notre siècle ne peut imaginer. On enfoncera des clous dans la tonsure des prêtres et, parmi eux, nombreux seront ceux qui iront en prison. » La prophétie avait marqué le jeune Wyszynski (1).
La Seconde Guerre mondiale fut une période dramatique pour la Pologne. Le clergé catholique sera lui aussi la cible de l’occupant allemand. Quelque 2500 prêtres polonais seront exécutés ou trouveront la mort dans les camps. Les seize prêtres qui avaient été ordonnés avec l’abbé Wyszynski en 1924 ont tous été arrêtés les uns après les autres, sept d’entre eux mourront au camp de concentration de Dachau. L’abbé Wyszynski fut le seul de sa « promotion » à échapper à l’arrestation parce que son évêque lui avait ordonné de quitter la ville. Il se réfugiera d’abord à Laski, dans la banlieue de Varsovie, où il sera aumônier de l’Institut des enfants aveugles. Puis il s’engagera de différentes manières dans la résistance intérieure : « il organise des cours clandestins de catéchèse et de sciences sociales, prêche des retraites pour la jeunesse universitaire, collabore avec la commission chargée des projets législatifs d’après-guerre » (2). Pendant l’insurrection de Varsovie (août-octobre 1944), il sera aumônier de l’Armée de l’intérieur (AK).
Face à l’État communiste
Après la libération du territoire, il fut chargé de rouvrir le séminaire de Wloclawek dont il fut nommé recteur. Le 4 mars 1946, il fut nommé évêque de Lublin. Dans un diocèse qui avait été ravagé par la guerre, il s’attacha à reconstruire les édifices religieux et à restaurer l’unité d’une population qui s’était divisée pendant le conflit. Le 22 octobre 1948 mourut le cardinal Hlond, archevêque de Varsovie et primat de Pologne. Dès le 12 novembre, Pie XII nomma le jeune évêque de Lublin pour lui succéder.
Sa nomination coïncida avec le renforcement du pouvoir communiste et la création du POUP (Parti ouvrier unifié de Pologne) qui deviendra, dans les faits, le seul parti dirigeant. Lors du congrès de fondation, une mise en garde avait été lancée contre « les éléments réactionnaires du clergé qui s’efforcent de soulever contre l’État populaire et ses organisations sociales démocratiques les masses immatures sur le plan politique » (3). Dans les faits, cela se traduisit dans les années suivantes par une suite de lois et de réglementations administratives qui viseront à supprimer ou à réduire toute activité religieuse hors des églises. En parallèle, les autorités communistes suscitèrent des organisations catholiques inféodées au régime : notamment l’association Zbowid qui rassemblera jusqu’à un millier de membres « prêtres patriotes » et le groupe Pax qui se dotera d’une maison d’édition très active et de plusieurs publications.
Le primat de Pologne rechercha un modus vivendi avec le gouvernement pour éviter une persécution plus grave et généralisée. Le 15 avril 1950, après de longues négociations, un accord était signé entre les représentants de l’épiscopat polonais et le gouvernement communiste. Cet accord en dix-neuf points garantissait « l’exercice public du culte » et différentes libertés pour l’Église. En contrepartie, l’épiscopat polonais s’engageait au « respect de la loi et de l’autorité de l’État » et à « accroître les efforts pour reconstruire le pays et élever le bien-être de la nation ».
L’accord surprit beaucoup, y compris à Rome. Mgr Wyszynski reconnaîtra bientôt que « l’épiscopat polonais a couru un grand risque » et que « de nombreuses raisons semblaient déconseiller pareil accord », mais « nous avons voulu, en même temps, donner une preuve irréfutable de notre bonne volonté ». Il considérait aussi qu’un accord écrit et public engage les deux parties et que les manquements pourront ainsi être dénoncés. Dès le 12 septembre 1950 puis à nouveau en janvier 1952, l’épiscopat polonais adressa des lettres de protestation au président Bierut.
Le 29 novembre 1952, Pie XII nommait Mgr Wyszynski cardinal. Le gouvernement lui refusa le visa pour se rendre à Rome. Le 9 février 1953, un décret gouvernemental plaçait les nominations des prêtres et des évêques sous le contrôle de l’État. Plusieurs évêques furent arrêtés. Au lendemain d’un sermon où il avait protesté contre la condamnation de l’évêque de Kielce à une peine de douze ans de prison, le cardinal Wyszynski fut arrêté dans la nuit du 25 au 26 septembre 1953. Il resta détenu pendant trois ans, dans quatre lieux différents. Le journal qu’il a tenu pendant sa détention (et qui ne sera édité qu’après sa mort sous le titre Notes de prison) est un des écrits les plus révélateurs de sa vision constamment surnaturelle de la situation. Le 8 décembre 1953, en la fête de l’Immaculée Conception, après trois semaines de préparation, il conclut « un pacte définitif » avec la Vierge Marie, selon la doctrine de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, se déclarant « par l’intermédiaire de ma meilleure Mère esclave du Christ ».
Libéré en octobre 1956, à la faveur d’un changement de gouvernement, il retrouva toutes ses fonctions et put enfin se rendre à Rome en 1957 pour recevoir des mains de Pie XII ses insignes de cardinal.
Wyszynski et Wojtyla
À la différence des évêques d’autres pays communistes, les évêques polonais purent participer aux quatre sessions du concile Vatican II. En 1958 Karol Wojtyla avait été nommé évêque auxiliaire de Cracovie et en 1964 il fut nommé archevêque de Cracovie. On a dit que le nom de Wojtyla avait été imposé au cardinal Wyszynski. C’est inexact, mais ils avaient des tempéraments différents tout en étant unis dans la défense de la foi et de l’Église, le patriotisme polonais et la dévotion envers la Vierge Marie. Un jour de 1966, le primat de Pologne dira à l’archevêque de Cracovie : « Conduisons ensemble le char de notre Église et de notre patrie. » Cette année 1966 vit la célébration du Millénaire du baptême de la Pologne. Elle fut marquée par une multitude de commémorations et de cérémonies qui rassemblèrent des foules considérables et enthousiastes. Ce Millénaire avait été préparé par le cardinal Wyszynski : dès ses années de prison, il en avait établi le programme – qui commença dès 1957 – et rédigé les engagements et les prières (les Serments de Jasna Gora et la Grande Neuvaine).
Lors du conclave d’octobre 1978 qui a élu le cardinal Wojtyla pape, le cardinal Wyszynski lui avait dit qu’il conduirait l’Église vers le deuxième millénaire. C’est ce qui s’est passé. Le 13 mai 1981, Jean-Paul II a échappé à la mort, protégé par la Vierge Marie. Deux semaines plus tard mourait le cardinal Wyszynski. En 1989, son procès de béatification a été ouvert. En 2017 l’héroïcité de ses vertus a été proclamée. Il sera béatifié le 12 septembre prochain à Varsovie.
Yves Chiron
(1) Il l’évoque dans ses Notes de prison, Cerf, 1983, p. 26.
(2) Maria Winowska, « Le vrai visage du cardinal Wyszynski », dans Un évêque au service du peuple de Dieu, cardinal Stefan Wyszynski, Éditions Saint-Paul, 1968, p. 11.
(3) Cité dans Histoire religieuse de la Pologne, J. Kloczowski (dir.), Éditions du Centurion, 1987, p. 515.
© LA NEF n°339 Septembre 2021