Le Père Henri Didon (1840-1900) © Wikimedia

Citius, Altius, Fortius : Le Père Didon et sa devise des Jeux Olympiques

Citius, Altius, Fortius  (Plus vite, plus haut, plus fort) : Comment cette devise, prononcée lors d’une compétition sportive au Collège Albert-le-Grand à Arcueil par un Dominicain est-elle devenue la devise des Jeux Olympiques ?

Le Père Henri Didon, (né au Touvet (Isère) en 1840 et mort à Toulouse en 1900[1]) est notamment l’auteur d’une vie de Jésus-Christ. Il est prieur du Collège dominicain d’Arcueil de 1890 à 1900.

En 1832 apparaissaient les Jeux Olympiques du Rondeau à Grenoble, établissement dans lequel le jeune Didon était élève : il en est lui-même champion (1851, 1853, 1855)[2]. Le Père Didon avait donc bien à l’esprit l’importance des activités sportives dans la formation des élèves.

Son prédécesseur à la tête du Collège d’Arcueil, le Père Captier avait déjà intégré les sports à la vie de l’établissement et imaginé un championnat. Le sport était présent dans les cours donnés dans les établissements du Tiers-Ordre Enseignant de Saint-Dominique comme à l’abbaye-école de Sorèze sous la direction de Lacordaire, par laquelle les Pères Captier et Didon sont passés dans leur parcours au sein de l’Ordre.

Dès la nomination de Didon en 1890, Pierre de Coubertin sollicite le nouveau prieur du collège. La notoriété de Didon, notamment par ses conférences et discours allait même jusqu’à lui valoir son portrait parmi les images présentes dans des tablettes de chocolat[3]. Le 7 mars 1891, Didon prononce la formule dans l’ordre suivant : « Citius, Fortius, Altius[4] ». Un rallye-paper avait été organisé au collège.

En 1892, le neveu[5] de Pierre Coubertin devient élève d’Arcueil[6]. Le 12 mars 1895, Didon assiste au mariage de son ami Coubertin[7] à St-Pierre de Chaillot. Le fondateur du CIO a conservé le programme des courses de 1895 à Arcueil : 100 mètres plat, saut en longueur, 110 mètres haies, saut à la perche, saut en hauteur, 400 mètres, 1500 mètres Interclubs et interscolaires. À noter également bien intégrées dans les activités des courses « séries du 400 mètres, plat (Handicap)[8] ».

En 1894 le Comité International Olympique (CIO) est créé à la Sorbonne et arrête la première date des Jeux Olympiques à l’époque contemporaine, pour 1896 à Athènes[9]. C’est à cette occasion que la devise est adoptée. Didon est présent avec une dizaine d’élèves à ces Jeux Olympiques athéniens. Il célèbre une messe la veille de l’ouverture en l’église Saint-Denys l’Aéropagite : 4000 personnes y assistent. En effet, les JO démarrent cette année trois jours après Pâques, les fêtes orthodoxe et catholique coïncidant, de même que la fête nationale grecque. Il rappelle l’importance de saint Paul, venu semer la foi dans cette ville et de saint Denys si proche aux Parisiens, assimilant ainsi l’évêque d’Athènes et l’évêque de Paris[10]. Il présente aussi l’objectif de la présence des élèves en ces lieux :

« En amenant quelques jeunes gens de l’École française Albert-le-Grand participer à ces grandes solennités des jeux olympiques, je songeais –pourquoi ne le dirais-je pas dans cette métropole ? à rendre hommage au vieux génie grec, dont nous autres, occidentaux et latins, nous aimons à nous reconnaître les fils. Je tenais aussi à m’associer à ce développement de la force physique, dont la Grèce nous a donné un exemple si parfait, et qui doit entrer de plus en plus dans l’éducation de l’homme comme un élément nécessaire. Je voulais, enfin, apprendre à la jeunesse qui m’est confiée à entrer dans ce mouvement d’union internationale, qui semble un premier pas vers la fraternité des peuples et vers cette unité morale que, Jésus, le premier, a formulé comme le grand but du royaume spirituel dont il est le chef, l’initiateur et le soutien indéfectible[11] ».

Deux ans auparavant il s’était déjà rendu avec l’une des Caravanes d’Arcueil en Grèce et notamment à Olympie[12].

Le fondateur du collège d’Arcueil, le Père Captier, avait déjà évoqué l’utilité du sport dans ses discours, comme lors de la conférence « L’Éducation doit être le remède à nos maux », tenue lors du Cercle Catholique du Luxembourg en 1870 :

« Ce serait donc une impardonnable légèreté de considérer comme de simples amusements la gymnastique, la marche, l’escrime, la natation et les autres exercices propres à aguerrir les membres, et l’axiome de la sagesse antique sera éternellement vrai : Il faut protéger la santé de l’âme par la santé du corps, mens sana in corpore sano[13] ».

Il fait installer des portiques et des agrès dans l’école. Comme à Sorèze où le sport avait aussi sa place, il met en place l’Athénée et l’Institut des sociétés littéraires. Captier ajoute la « Petite Académie » pour les élèves plus petits, avec des causeries où sont invités les anciens élèves. La fête patronale de saint Thomas d’Aquin le 18 juillet devient encore plus solennelle avec des jeux sportifs en plus des festivités auxquelles assistent les familles[14].

Jules Simon, ministre de l’instruction publique, des cultes et des beaux-arts en 1870, a rapporté à Coubertin une confidence du Père Captier : il « rêvait des Jeux Olympiques pour donner à la jeunesse de la volonté, de la foi et de la force, trois choses inséparables[15] », en concluant : « Les moines nous ont devancés ![16] ». L’Association Athlétique de l’École Albert le Grand (A.A.A.G.) est ainsi intégrée ensuite à l’Union des sports athlétiques dont le secrétaire général est Pierre de Coubertin et le président Jules Simon[17]. Le 2 janvier 1891 flottait un drapeau blanc et noir (couleurs de l’ordre dominicain) lors du championnat inspirant la devise[18]. Des petits papiers sont semés sur seize kilomètres en sous-bois et la course est engagée avec des équipes de dix coureurs aux couleurs de leurs écoles : en plus d’Arcueil figurent Buffon, Condorcet, Chaptal, Louis le Grand, l’École Alsacienne, Michelet, Lakanal, Janson de Sailly, mais aussi Henri IV et Rollin devant laquelle se classe l’équipe d’Albert le Grand[19]. Des liens étroits avec des directeurs d’établissements publics avaient par ailleurs déjà été établis comme dans le cadre de l’organisation des caravanes scolaires. L’un des promoteurs, Emile Talbert (1820-1882) travaillait au collège Rollin[20]. Son amitié avec le Père Barral de Baret, ancien élève de Sorèze, membre du Tiers-Ordre Enseignant de Saint Dominique et prédécesseur direct de Didon à Arcueil, renforcée par ces voyages d’élèves à travers les Alpes sous l’égide du Cercle Alpin Français (CAF), perdure au point que le Père Barral, lui rendant visite à l’improviste l’assistera pour ses derniers sacrements.

Le Père Didon a continué ces voyages scolaires mais en trouvant donc d’autres itinéraires, les détachant encore des activités de montagne originelles. Coubertin évoquait sa rencontre avec Didon :

« Je ne le connaissais pas mais à peine avais-je appris sa nomination comme Prieur d’Arcueil que j’avais aussitôt été le retrouver dans son cabinet de la rue Saint-Jacques[21] où il recevait un après-midi par semaine. Je lui avais raconté […] le grand désir que nous éprouvions de voir se fonder à Arcueil une association scolaire dont les jeunes champions lutteraient avec ceux des lycées[22] ». Ce à quoi Didon lui avait répondu : « Venez la fonder, j’en serai[23] ».

Le 22 mars 1903, trois ans après la mort du Père Didon, Pierre de Coubertin l’évoquait ainsi, éclairant encore la fameuse devise : « Et souvent, vers le soir, il me reconduisait à pied jusqu’à Montrouge, et les grandes pensées qu’il me disait se détachaient curieusement sur ce paysage de banlieue déjà noyé dans le crépuscule. Une fois, au pied des fortifications, il s’arrêta et, traçant avec sa canne des lignes imaginaires sur l’asphalte : « Quand on veut sauter trois mètres, dit-il, il faut en viser cinq : dans la vie, ce ne sont pas tant les jarrets qui vous trahissent que le manque d’ambition qui vous actionne insuffisamment[24] ».

Principe érigé aussi bien dans le sport que la formation. Une autre formule liée aux Jeux Olympiques est aussi due à un homme d’Église : « L’essentiel est de participer » a été déclaré par l’évêque de Pennsylvanie aux Jeux Olympiques de Londres en 1908[25] : il s’agirait de Mgr John Walter Shanahan (né en 1846, évêque de ce diocèse de 1899 à sa mort en 1916[26]), évêque d’Harrisburg[27].

Les JO de 1896 ont marqué les membres de la XXIème Caravane d’Arcueil qui parlent de « 668ème Olympiade » :

« On nous pardonnera cette façon nouvelle encore que très ancienne de compter les années. Ce serait comme un non-sens de dire le 25 mars 1896 quand on s’embarque pour assister aux jeux olympiques, que l’initiative d’un Français et la générosité d’un Grec[28] viennent de renouveler après tant de siècles écoulés, depuis le jour si funeste aux sports, où Théodose le Grand, en 393, les supprima par haine du paganisme[29] ».

C’est aussi une attention nouvelle portée aux sports non seulement dans l’éducation, la société mais aussi le catholicisme. Elle n’empêche cependant pas les débats au début de l’époque contemporaine :

« Le Père Henri Hello, frère de Saint-Vincent-de-Paul et auteur en 1932 d’un manuel d’éducation, Conseils pour la direction des œuvres de jeunesse, […] met en garde les éducateurs contre le culte de la chair qui « porte facilement à l‘oubli de Dieu », et après avoir cité l’épître aux Corinthiens de saint Paul dans laquelle l’apôtre dénonce les courses du stade, le père Hello écrit : « le monde est en train de revenir aux mœurs païennes, au culte du corps, aux Jeux olympiques. Il attache aux exercices physiques, toujours plus raffinés, une importance primordiale. De l’âme il n’a aucun souci »[30] ».

À l’inverse, en 1920, le Cardinal Mercier, Primat de Belgique, était allé bénir les Jeux Olympiques d’Anvers. À ceux qui le lui reprochaient il objectait : « Croyez-vous que, si saint Paul avait eu l’occasion de parler au stade de Corinthe, il n’y serait pas allé ?[31] ».

En 1905, Pie X avait encouragé Pierre de Coubertin dans son initiative[32]. Autant d’éléments qui auront préparé aux activités physiques associées ensuite à l’encadrement de l’enfance et de la jeunesse catholiques.

Marie-Thérèse Duffau

Marie-Thérèse Duffau, docteur en histoire, Université de Toulouse 2, chargée de recherche CNRS, FRAMESPA, UMR 5136, Université de Toulouse II.


[1] Yvon Tranvouez, « DIDON Henri », Dictionnaire biographique des frères prêcheurs [En ligne], Notices biographiques, D, mis en ligne le 01 juin 2015, consulté le 10 septembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/dominicains/1827

[2] Alain Arvin-Bérod, « Et Didon créa la devise des Jeux Olympiques » ou l’histoire oubliée des Jeux Olympiques du Rondeau (Grenoble 1832-1952), Echirolles, Editions Sciriolus, 1994, p. 15.

[3] Ibid., p. 73. Chocolat Guérin-Boutron : https://www.flickr.com/photos/rugby_pioneers/5117748416

[4] Ibid., p. 45.

[5] Lettre du Père Didon à Pierre de Coubertin du 21 juillet 1892 mentionnant que les portes de l’Ecole lui seront grandes ouvertes. Correspondance Père Didon 1892-1897, dans le fonds de Pierre de Coubertin. Documents aimablement communiqués par les Archives CIO / A-P02/044 – F-A04-NOMIN/003.

[6] Alain Arvin-Bérod, « Et Didon créa la devise des Jeux Olympiques » ou l’histoire oubliée des Jeux Olympiques du Rondeau (Grenoble 1832-1952), Echirolles, Editions Sciriolus, 1994, p. 53.

[7] Lettre du Père Didon à Pierre de Coubertin, le 3 mars 1895. Correspondance Père Didon 1892-1897, dans le fonds de Pierre de Coubertin. Documents aimablement communiqués par les Archives CIO / A-P02/044 – F-A04-NOMIN/003.

[8] Archives CIO / A-P02/044 – F-A04-NOMIN/003

[9] Alain Arvin-Bérod, op. cit., p. 12.

[10] Simone Hoffmane, La Carrière du Père Didon, dominicain (1840-1900). Thèse de doctorat ès lettres présentée devant l’Université de Paris IV Sorbonne, 1985, p. 941.

[11] Simone Hoffmane, op. cit., p. 940-941.

[12] Caravane de 1894 passant à Constantinople, au Mont Athos, à Sparte, Delphes et Olympie. Une photographie le montre aussi sur le site en avril 1896, p. 72.

[13] Alain Arvin-Bérod, op. cit., p. 46.

[14] Alain Arvin-Bérod, op. cit., p. 47.

[15] Alain Arvin-Bérod, op. cit., p. 47.

[16] Simone Hoffmane, op. cit., p. 925.

[17] Simone Hoffmane, op. cit., p. 921.

[18] Simone Hoffmane, op. cit., p. 921.

[19] Ibid., p. 923.

[20] Adhérent au CAF créé en 1874, il initie les caravanes scolaires d’abord pour le collège Rollin, puis à des lycées parisiens. Il était aussi ancien élève d’Oullins ; le collège Saint-Thomas d’Aquin était un établissement dirigé par le Tiers-Ordre Enseignant.

[21] Une autre école était annexée à Arcueil, l’école Lacordaire, préparant aux grandes écoles, avec l’externat Saint-Dominique.

[22] Alain Arvin-Bérod, op. cit., p. 75.

[23] Ibid.

[24] Simone Hoffmane, op. cit., p. 923.

[25] Alain Arvin-Bérod, op. cit., p. 65.

[26] https://www.catholic-hierarchy.org/bishop/bshanj.html

[27] https://www.hbgdiocese.org/about/diocesan-history/

[28] Dimitrios Vikelas est le premier président du CIO.

[29] Simone Hoffmane, op. cit., p. 100.

[30] Cité dans Charles-Edouard Harang, L’Aventure par nature. 100 ans des Scouts et Guides de France, Paris, Les Presses d’Ile de France, 2021, p. 58.

[31] Bruno de Solages, « Le Cardinal Mercier [conférence prononcée à Albi], Albi, Imprimerie coopérative du Sud-Ouest, 1927, p. 29. Cité dans Marie-Thérèse Duffau, Bruno de Solages (1895-1983). Biographie d’un intellectuel catholique engagé, Université de Toulouse II le Mirail, 2010, p. 115. (Version publiée : Bruno de Solages. Biographie d’un intellectuel catholique engagé (1895-1983), Paris, Téqui, coll.  « Croire et Savoir » (n° 64), novembre 2014).

[32] https://www.osservatoreromano.va/en/news/2021-08/ing-035/when-the-paralympic-games-were-held-at-the-vatican.html

© LA NEF le 29 septembre 2021, exclusivité internet