Le 17 novembre paraît le premier numéro de Franc-tireur, un journal pour la liberté et la démocratie. Derrière ce beau programme, l’intelligentsia parisienne montre à quel point elle désespère par sa médiocrité et sa bien-pensance. Taillage de costume.
Certains lecteurs se souviendront peut-être de Franc-tireur, journal fondé par l’alsacien Jean-Pierre Lévy en 1941 dont le mot d’ordre était de résister face à l’occupant et à l’ordre nouveau. Après avoir disparu dans les années 60, ne voit-on pas, en cette fin d’année 2021, son nom sortir à nouveau des imprimeries. La formule de Lavoisier a l’intelligence de se justifier partout : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Franc-tireur nouvelle formule est le recyclage admirable de l’entre-soi bourgeois et parisien revendiqué avec désinvolture et paré d’un grand contentement. Cette pravda française est financée par Daniel Kretinsky, le bien nommé, motivé, comme on le sait, par la vérité. Déjà propriétaire de Marianne, Elle, l’(Im)monde, France Dimanche, Ici Paris, il a trouvé un poulain pour présider ce Point en pire, un ponte de la presse purée : Christophe Barbier, récipiendaire en 2018 du prix Manuel Valls de la brosse à reluire. Ce journal concentre la fine équipe : Raphael Enthoven, philosophe de salon et éternel agrégatif donneur de leçon ; Caroline Fourest, fourrée, enfin, quelque part ; Rachel Kahn, Claude Weil, insipides ; Rudy Reichstadt qui voit des complotistes partout jusque sur les boîtes de conserve au Franprix ; Jean Claude Mailly, social traître passé de FO aux forces de l’ordre ; Brice Couturier aussi agréable et intéressant qu’un film de Marguerite Duras. Si l’on ne gagne pas le mondial de pelote basque avec une équipe pareille…
Le mot d’ordre de ces ménestrels : la liberté d’expression « totale et recommandée ». Soit. Puisqu’ils sont attachés à la démocratie autant que je le suis pour ce qui est des épinards, ils ne souffriraient donc point que je m’emportasse à leur encontre et que j’expliquasse ce qui me désole chez eux.
Cette petite de théorie de plumitifs baveux fait montre d’une arrogance folle. Selon les mots de leur gourou à écharpe rouge, ils sont du côté de la raison, savent ce qui est bon et bien car ils sont éduqués, et le peuple, lui, inculte, est menacé par les obscurantismes et le complotisme. Profondément cléments, ils se mettent à notre niveau, mieux, à notre service. Dans leur altissime générosité, ces grands seigneurs tolèrent le peuple réel, ces manants et vilains, malandrins mangeurs de frites et buveurs de bière, rabougris, rances et fainéants, qui se résignent tout en réclamant. Ces pourceaux de pauvres n’ont qu’à sortir le majeur de leur fondement, leurs problèmes sont mineurs devant la charge qui incombe à cette élite élue au suffrage indirecte : gérer la complexité du réel. L’arrogance n’est pas loin du mépris de classe quand Raphaël Enthoven, intellectuel d’ambiance de son état, nous explique que la raison est la base d’un monde commun, que l’égalité des droits n’est pas l’égalité des compétences et que, par conséquent, toutes les opinions ne se valent pas. Suivant, le doctor Fangelicus, fat et faiseur de concepts éteints, on comprend alors que parce qu’il est agrégé et professeur de philo, il sait ; que Jésus qui n’était qu’un simple menuisier, n’ayant pas eu sa place à Normale sup’, n’est pas venu témoigner de la vérité ; que, mutatis mutandis, Alexis Zorba ne sait rien du cœur des hommes parce qu’il est analphabète ; et que Robert le paysan, enraciné dans ses terres du Vexin normand, ne peut pas rivaliser sur le plan des idées avec notre solipsiste chic.
Ces gâte-sauces de la presse, délégués au ministère de l’Interdiction de la vérité se croient dotés de la charge quasi mystique de guider le peuple. Ce sont surtout des bourgeois Louis-philippards inscrits au parti de l’ordre, cachant leur domination bourgeoise, leur mépris du peuple, par du progressisme sociétal. Ces cons-cons flingueurs nous rejouent l’hollandisme révolutionnaire. Le ridicule, s’il ne tue pas, se lit à toutes les pages de leur journal. Ils arrivent avec une maîtrise épatante à rester méthodiquement toujours à l’extrême centre : européisme frelaté, progressisme sous cellophane, libéralisme réformiste et réchauffé, laïcité creuse, ordre républicain infect et valeurs républicaines avariées. Leur pensée tiède et navrante est sans matière grasse. Ils conchient Trump et adulent Biden, s’alignent sur l’axe atlantiste et impérialiste ; honnissent le Tsar Vladimir ; souscrivent au covidisme le plus bête ; ont foi dans le réchauffement climatique ; se piquent de vacciner tout le monde ; adulent Meckel, admirent Van der Leyen ; vénèrent les grandes idoles comme Edgar Morin, Simone Veil, Nelson Mandela, Greta Thunberg, Al Gore, Alexei Navalny. Ils ont une sainte horreur des fake news mais s’accordent maintenant pour dire que Colin Powell avait menti afin de déclencher la guerre en Irak. Ils auraient, s’ils l’avaient pu, fait toute confiance à la fiole du régiment. Ils croient en la République, mais jamais dans la France, catholique et millénaire ; ils espèrent dans l’Islam des lumières et croient dans les forces de la laïcité. La mort de Samuel Paty leur déchire le cœur mais ils ne comprennent pas qu’elle est la résultante tragique d’un demi-siècle d’immigration, d’impossible assimilation et de disparition de l’âme française. Cocus et contents, ces plumitifs sont prostrés dans le bunker intellectuel de leur rédaction.
Ils vomissent les pensées radicales et les extrémismes mais, las, une pensée radicale qui annonce l’horizon en feu et ne souffre d’aucun compromis aura toujours plus d’intérêt qu’une pensée mièvre et sotte, qui ne prétend pas donner une vision totale du monde, weltanschauung, mais qui fait dans la demi-mesure. Les intellectuels du parti, les paltoquets et butors de la presse, apparatchiks des médias, manient la raison comme le hochet pour bricoler, comme la spatule pour croisader. Ce que ces pisse-copies ont fait au cadavre d’Albert Camus, devenu une caution à la moribonde sociale démocratie, est affligeant. Il n’y a rien de mieux que d’être avec des absolutistes et des extrémistes, des terroristes de la pensée qui explosent tout et dynamitent les croyances modernes, les vérités toutes faites, les idoles, les demi-idées fausses, que d’être avec les béni-oui-oui qui demeurent dans les concepts doux, les idées immaculées, les vérités qui se cachent d’être des idéologies. Une pensée exigeante doit se compromettre et mettre quelque chose sur la table. Ce qui est gratuit, pue le gratuit. Ce qui est au centre est inoffensif, ce qui est correct est apaisant. Cela fait chic dans les salons, mais ne fera pas bouger l’orteil d’une légion. Il faut que ça brûle, claque, choque, explose. Ce qui n’est pas radical ne mérite pas d’exister. Jésus lui-même est radical. S’il ne l’avait pas été, il aurait renoncé devant la menace de la crucifixion. Il est la vérité, à partir de ce moment-là, tout ce qui est résolument du côté du compromis, de l’ordre, du bien penser et de la bonne pensée, est écœurant, anti-chrétien.
L’un d’entre ces feuillistes en herbe explique qu’il aime l’idée d’être « engagé mais pas partisan ». Ces journaleux sont pour le bien et contre le mal mais ne brandissent jamais aucun étendard ; ils usent de tous les cirages sur les berlutti des ministres du gouvernement mais revendiquent leur totale liberté et leur neutralité. Nous sommes réactionnaires et n’avons pas honte de ce mot ; eux sont de toutes les coteries mais n’avouent pas le montant de leur cotisation au parti zombi. Et puis de quelle liberté d’expression parle-t-on quand son journal est financé par un milliardaire sorosien et gavé de subsides de l’état ? Ils disent ce que leurs financiers disent. Qui va donc acheter leurs feuilles de choux ? Des boomers progressistes et quelques agrégés désabusés qui écoutent France culture. Cela pèse peu dans la balance ; après tout, l’Humanité a encore 40 000 abonnés, en faisant les fonds de tiroir des vieux communistes presque morts finis au mauvais alcool dans des HLM de Clermont-Ferrand.
Voici donc Franc-tireur qui prétend brandir l’étendard de la raison par le recours au langage guerrier, d’autres s’évertuent à déployer des trésors d’intelligence pour tenter d’y trouver ce que doit naturellement produire celle-là. Ils sont bien conformes à ce que franc-tireur veut dire : toujours dans le dos et sans uniforme. Assister à l’écroulement de ce système pourri jusqu’à la moelle est une réjouissance extraordinaire. Ce parti de l’ordre est épuisant de bêtises. Que ces gens se regardent dans la glace, ancien patron de l’Express, chroniqueur d’Europe 1 et consorts ; songez à Beaumarchais, il peut dormir paisiblement, les maîtres ont encore une âme de valet.
Nicolas Kinosky
© LA NEF le 29 octobre 2021, exclusivité internet