Alors que BAC Nord finit d’être exploité au cinéma, retour sur ce film qui a fait polémique.
Pendant ces vacances de la Toussaint, entre la cueillette des champignons et la chasse aux marcassins, rien de mieux que d’aller au cinoche. Jean-Paul Belmondo demeure toujours dans nos mémoires. Le Professionnel est décidément un film alimentaire bon à jeter, une espèce de parodie qui ne tient pas debout. Le Magnifique est une excellente comédie ; Le Corps de mon ennemi un film cruel de bout en bout. Bébel est mort, mais moins que le cinéma français. Qu’est-ce que le génie du septième art peut bien encore nous servir ? Les Olympiades de Jacques Audiard et Lui de Guillaume Canet. Tout le drame du cinéma français s’y trouve. On voit des bobos coucher entre eux et régler leur compte à l’heure de l’apéro. Ça bamboche, ça se vautre à tout va ; le métissage que l’on secoue comme un shaker à cocktail fait le reste. Terrible sujet que celui du polyamour ! Visconti est relégué au rang des réalisateurs de seconde zone. Le fils Audiard pourtant misogyne est passé par les fourches caudines du wokisme pour continuer son métier. Le mot d’ordre du film : « regardez-nous, on fait l’amour, on peut encore le faire, on a la satisfaction de notre salaire et vous, spectateurs, masqués, vaccinés, frustrés, achetez votre place…tocards ! » Ce sont des histoires pauvres d’autistes cloîtrés dans Paris. Quand ils sont dans leur maison secondaire à Perros-Guirec, cela donne Guillaume Canet qui nous donne envie de caner avec ses petits problèmes, ses petits secrets, sa petite médiocrité de petit-bourgeois sans saveur qui nous rejoue l’artiste en panne d’inspiration. Heureusement que Fellini dans Otto e mezzo est passé par là, soixante ans avant !
Au lieu de lire Schopenhauer ou de prendre un lexomil, ils font des films qui gravitent toujours autour du phallus. Jean-Emeraude et son complexe. Ce sont des histoires réduites aux goûts et dégoûts d’une classe sociale de petits consommateurs vouée à l’indigence par son manque d’élégance, son défaut de culture, son idéologie mal placée. Cette bourgeoisie n’a rien à dire parce qu’elle a renoncé à tout. Leur art est rabougri, suinte le message et transpire de fiction idéologique repassée à la coolitude. La vie des infusoires aurait plus de cuisse que ce blabla de bobos chichiteux et gnangnans servi sur écran noir. Au même niveau que le cinéma allemand, le cinéma français fait du Derrick amélioré d’un ennui profond.
Quand dans cette bouillie subventionnée par l’état culturel où tout le monde est fonctionnaire jusqu’aux producteurs, se trouve un film solide qui rompt avec tout cela, on se doit de le célébrer. Face à des films pour homme soja et papas lavettes, BAC Nord tient cette promesse car il renoue avec l’art français du polar, du film de flics et de voyous. En France, nous savons faire cela avec De Ray, Melville et Olivier Marchal ; avec Cédric Jimenez, à présent, bien installé dans ce genre avec la French. La partition est excellente, Gilles Lellouche, détestable en bobo, n’est jamais aussi bon que quand il fait du polar ; François Civil en chien fou est un acteur prometteur ; Karim Leklou ne ressemble à rien mais il a quelque chose. On ne change pas les habitudes, Adèle Exarchopoulos reste vulgaire de film en film. La caméra de Cédric Jimenez est nerveuse ; les scènes de courses-poursuites sont excellentes de réalisme ; toutes les ambiances sont posées ; la musique détonne comme de la nitroglycérine ; les décors à l’Oriental de la première ville africaine de France ne nous trompent pas.
Le réalisateur ne met pas à sa gauche les méchants et à sa droite les gentils. C’est la grande qualité du film. Il ne fait pas du film à thèse comme Paul Bourget faisait du roman avec une axiologie bien claire et définie. Délimiter le camp des saints et des salauds serait bien facile, de nos jours, au crible de la pensée néo marxiste : Adama Traoré et consorts seraient des victimes et les flics (blancs) des tortionnaires racistes.
Jimenez fait du reportage, comme pouvait le faire, nel rispetto delle proporzioni, Roberto Rosselini avec Allemagne année zéro ou Païsa. La caméra expose ; le constat est froid, les choses sont posées et priment sur l’excentricité et l’originalité du scénario. Jimenez montre la réalité telle qu’il la voit. Crue. Brute. Choc. Qu’il ne prenne pas parti pour les victimes désignées a fait grincer des dents. Bien des gauchistes voudraient que les flics fussent encore montrés comme des SS et les jeunes des banlieues comme des poètes au grand cœur, des artistes incompris, les nerfs à fleur de peau. Jimenez les montre déterminés dans leur trafic, cyniques et connaisseurs des règles du système mieux que les policiers eux-mêmes. C’est pour cette raison que le film a été classé à l’extrême droite.
Ce film est-il alors d’extrême droite ? Nullement. Les flics font leur travail, par vocation, par envie, et laissent entrevoir, malgré leur brutalité, une inquiétude sincère pour les habitants des quartiers, un souci du travail bien fait, une volonté de rétablir la concorde et la paix. Pour peu il ferait du social, ce que contestait en son temps, Flash-Ball, le petit ministre Sarkozy. Est-ce parce que l’on suggère que dans ce film les racailles sont d’origine maghrébine et africaine ? Il ne faut pas être une grande âme pour ne pas le voir, peut-être habiter dans le Ier arrondissement de Paris ou être un fieffé crétin, ou les deux. Il n’y a que des gens de gauche pour croire que les terroristes sont catholiques, que les agresseurs de femmes s’appellent Gontran et que les Jean Fifou occupent les prisons.
Bien sûr, BAC Nord est un film brut de décoffrage. Ce sont de vrais flics tatoués, virils et solides. L’inclusivité des minorités n’est pas le genre de la maison. Ils peuvent distribuer des targettes et des poings dans la fife des racailles mais connaissent la misère des gens et l’urgence d’agir. Ils ont des méthodes peu orthodoxes, sont un poil machos et carrément écorchés. L’un veillant sur l’autre, ils sont frères, à la vie à la mort. De vrais hommes existent. Ils mangent mal, fument des cigarettes de contrebande, ne pratiquent pas l’imparfait du subjonctif. Les jurons fusent, les mots crus détonnent. C’est cela que l’on aime.
Tout se passe à Marseille, ville chaude ; la police essaye de faire régner l’ordre en luttant contre la délinquance et le trafic de drogue. Voilà la trame du film. Problème, il est parfaitement impossible d’y remédier. Marseille débloque à tout berzingue, tout part en quenouille à tous les étages. Il y a le problème du grand remplacement, les cités devenues des enclaves étrangères, des zones dangereuses, violentes et de non-droit, où l’on n’est plus en France. Les stratégies sont mauvaises. Les flics arrêtent le guetteur et ne s’attaquent jamais à la structure. Ils coffrent le chouf mais jamais le gros bras. À cela, s’ajoute le manque de moyens concrets, la politique du chiffre, la bureaucratisation de la police. C’est même dans ce film tout le problème de la technocratisation des services publics : à un problème, une solution mais aucune logique permettant de changer les structures. C’est la police du pays réel contre la police de Juppé, des accommodements raisonnables qui tantôt bricolent, tantôt colmatent, c’est selon.
Les policiers sont pris en tenaille entre leur hiérarchie qui ne moufte pas, la justice laxiste qui renvoie à l’air libre et la peur de faire une bavure. « Vas-y, là, qu’est-ce que tu vas faire ? » cette phrase revient souvent dans la bouche des racailles qui savent que le flic qui pointe son arme ne peut, en effet, rien faire. C’est un jeu du chat et de la souris semblable au tonneau percé des Danaïdes, à la pierre qui roule de Sisyphe. Un perpetuum mobile absurde. Une réplique illustre terriblement la situation : « on sert à rien, on sert plus à rien, c’est fini. Plus je fais ce métier, moins je le fais, je ne comprends pas comment on en est arrivé là, en fait, bientôt il sera trop tard, il est peut-être déjà trop tard. Les habitants des quartiers n’ont même plus l’espoir qu’on vienne les aider, c’est fini. Ils sont résignés, on les laisse dans la merde. On ne fait rien pour eux. On ne peut plus foutre les pieds dans les cités sans se faire insulter, agresser, cracher dessus, sans se faire traiter de fils de pute. Tous les jours, je me fais traiter de fils de pute… mais faut pas faire de vague, faut pas casser le matériel, faut laisser faire. C’est comme ça. Ok. On va où ? C’est quoi le projet ? À quoi on sert ? »
La lâcheté, le pas de vague, le carriérisme minent le métier, entre le commissaire qui ne veut pas d’ennui, le ministre Valls qui met son grain de sel dans le gaspacho, le préfet qui agit selon le calendrier électoral pour que les gens soient contents du travail fait une semaine avant les régionales ou les cantonales, on comprend que la situation est explosive, qu’il n’y a rien à sauver, et que la partition, comme l’a suggéré le ministre Colomb, le bien nommé, et comme l’a confirmé Jérôme Fourquet dans l’Archipel français, s’annonce irrémédiable.
La première partie est exposée comme un reportage avec pour scène la plus aboutie, la descente des flics dans une cité et le démantèlement d’un trafic de drogue. La deuxième partie est plus grave, les trois compères sont accusés injustement de trafic de drogue et de racket. On assiste à leur déchéance et à leur séjour en prison. Si cette partie manque de coffre et se trouve moins bien ficelée, un peu plus expédiée, elle n’en demeure pas moins bouleversante : même les bons flics sont brisés et broyés par la machine qui éprouve tous les scrupules du monde face aux dealers mais ne fait pas de quartier pour des flics qui clament leur innocence, jetés en pâture, surtout quand le politique s’en mêle et ne veut pas perdre la face devant l’opinion publique toujours propice à manger du mauvais flic.
Voilà du bon film français. C’est assez rare pour le souligner. Qu’un film dérange parce qu’il montre la réalité d’un îlot de l’archipel, tant mieux, ce sera toujours cela de pris, car, ce qui est tiède, on le vomit et on ne peut strictement rien en faire.
Nicolas Kinosky
© LA NEF le 9 novembre 2021, exclusivité internet