Mgr Eric de Moulins-Beaufort © Peter-Potrowl-commons.wikimedia.org

Lourdes : images fortes et malaise

Les évêques français étaient réunis en assemblée plénière à Lourdes du 2 au 8 novembre. Analyse des principales mesures prises après la remise du rapport Sauvé.

Nouvelle station du chemin de croix que vivent les catholiques avec la crise des abus sexuels, la réunion des évêques à Lourdes pour leur assemblée plénière d’automne, intervenue juste après l’onde de choc provoquée par le rapport de la CIASE, n’a pas été avare d’images fortes : les évêques à genoux (et certains en larmes), tandis que deux victimes lisent le psaume 21 – celui de la Passion du Christ : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » ; le président de la Conférence des évêques de France, seul devant une croix de bois couleur sang, pour implorer le « pardon de Dieu » ; une photographie représentant le visage d’un angelot d’où coule une larme.
Les mesures annoncées à l’issue de cette réunion annuelle témoignent – et c’est heureux – que les évêques ont entendu prendre la mesure du drame. Parmi celles-ci, l’aspect financier apparaît primordial, avec la création de l’instance nationale indépendante (l’INIRR) chargée de fixer le montant des réparations accordées aux victimes, et dont la présidence a été confiée à Marie Derain de Vaucresson, cadre de la Protection judiciaire de la jeunesse et ancienne défenseure des enfants (1). Quant à l’aspect institutionnel, il est également significatif : les évêques ont décidé la création de neuf groupes de travail (chacun d’entre eux étant placé sous la responsabilité d’un laïc), la mise en place d’un référentiel national de bon comportement à l’égard des mineurs (comme l’aménagement des locaux), la signature par chaque évêque d’un protocole avec le procureur, ou encore l’entrée en fonction du tribunal pénal canonique national en avril 2022. Enfin, l’aspect théologique n’a pas non plus été omis, puisqu’il a été annoncé un travail sur tous les points doctrinaux mentionnés par le rapport de la CIASE (morale sexuelle, anthropologie, sacerdoce ministériel, instrumentalisation de la Parole de Dieu, distinction entre pouvoir d’ordre et pouvoir de gouvernement …).

Un sentiment de malaise
Comment se fait-il, alors, que cette assemblée de Lourdes laisse subsister un sentiment de malaise, sentiment que les mesures adoptées ne suffisent pas à dissiper et peuvent même contribuer à nourrir ? À l’analyse, ce malaise peut trouver son origine dans un double constat, à savoir que les évêques ont annoncé ce qui ne devait pas nécessairement l’être, et qu’ils n’ont pas annoncé ce qui devait absolument l’être.
En premier lieu, c’est bien entendu l’annonce de la reconnaissance, par les évêques, de la « responsabilité institutionnelle de l’Église » qui interroge, non pas tant en raison du choix de l’adjectif « institutionnel » que du substantif « Église ». En effet, et alors que, depuis l’encyclique Mystici Corporis Christi de Pie XII et surtout la constitution conciliaire Lumen gentium, chacun sait que l’Église ne se résume pas à la hiérarchie mais inclut l’ensemble du Peuple de Dieu – laïcs compris –, les évêques ont fait porter la responsabilité de leurs propres fautes (l’impunité accordée aux clercs agresseurs, en violation du droit canonique) sur l’ensemble des catholiques, avec pour conséquence l’opprobre dont font l’objet les prêtres innocents et la honte diffuse que doivent assumer bien malgré eux les laïcs. Du reste, cette « responsabilité collective » – ou plutôt cette « déresponsabilité » – a une conséquence directe : non pas la démission de ceux des évêques qui auraient été personnellement impliqués dans l’étouffement des affaires, mais la vente, pour régler les indemnités dues aux victimes, des biens immobiliers et mobiliers des diocèses acquis grâce aux dons et legs versés par des générations de fidèles laïcs.
En second lieu, les évêques n’ont pas annoncé la mesure qui était attendue explicitement par les associations de victimes et implicitement par l’immense majorité des fidèles, à savoir que, conformément au principe de tolérance zéro, les prêtres ayant commis une agression grave sur un mineur ne sauraient, en principe, conserver l’état clérical. À cet égard, il a été décidé qu’un des neuf groupes de travail institués à Lourdes aurait pour tâche, dans la continuité des travaux de la Commission nationale d’expertise sur la pédophilie instituée en 2016 par la CEF, de fixer les conditions dans lesquelles les clercs ayant purgé une condamnation pénale étatique pourront reprendre leur ministère. Or, si cette ligne de conduite peut être admise en cas de fait unique et mineur, elle ne saurait être comprise dans l’hypothèse de faits graves et/ou répétés. Comment peut-on, en effet, imaginer un instant que les fidèles laïcs – et pas seulement les victimes – puissent accepter, en connaissance de cause, d’assister à quelque célébration que ce soit présidée par un prêtre ayant commis des agressions graves contre un mineur, quand bien même celui-ci aurait fait l’objet d’une telle condamnation pénale (2) ?

Jean Bernard

(1) L’intéressée a également été vice-présidente des Scouts et Guides de France et a exercé les fonctions de conseiller auprès de Laurence Rossignol, ministre des familles sous la présidence de F. Hollande.
(2) Rappelons que, dans l’affaire Barbarin, la cour d’appel de Lyon avait, dans son arrêt du 30 janvier 2020, elle-même souligné que « ce qui motivait [X] et [Y] au moment des démarches qu’ils avaient entreprises auprès du cardinal Barbarin, ce n’était pas qu’il porte plainte contre Bernard Preynat, mais que cette autorité ecclésiastique retire immédiatement le prêtre de l’exercice de son ministère ».

© LA NEF n°342 Décembre 2021