Lecture Novembre 2021

LA FIN DE LA CHRÉTIENTÉ
CHANTAL DELSOL
Cerf, 2021, 174 pages, 16 €

Le nouvel essai de Chantal Delsol nous interpelle, tant elle met le doigt sur des réalités douloureuses, avec l’acuité et le talent qu’on lui connaît. Elle décrit des faits dont on voit mal qu’on puisse les contester tant ils apparaissent avérés. En affirmant « la fin de la Chrétienté », Chantal Delsol ne vise pas le christianisme mais « la civilisation inspirée, ordonnée, guidée par l’Église » (p. 9). « La Chrétienté comme culture singulière, écrit-elle, a été entraînée dans sa chute par la défaillance du socle qui en maintenait l’existence : la foi en une vérité transcendante, en l’occurrence, celle en un Dieu unique venu dans le monde » (p. 29). Et elle montre avec pertinence que cette chute s’inscrit dans le temps long, au moins depuis les Lumières et la Révolution : la modernité, donnant le primat à l’individu et à ses désirs, a depuis, au nom de la liberté, remporté tous les combats d’« émancipation », particulièrement dans le domaine des mœurs, la résistance des chrétiens semblant systématiquement vouée à l’échec.

L’originalité du propos est d’analyser cette évolution comme une « inversion » à la fois « normative » et « ontologique ». Inversion qui est en fait le contraire de celle opérée au IVe siècle par le christianisme renversant le paganisme antique, le premier se trouvant maintenant évincé par le second : l’effacement du christianisme ne signifie pas un plongeon dans le néant ou l’athéisme, mais le retour à une forme de paganisme et de panthéisme, dont l’écologie est un aspect : « Le paganisme, cosmique, répond aux préoccupations de l’écologie. Le moment postmoderne est préoccupé de l’espace plus que du temps, parce qu’il a abandonné les grandes espérances temporelles » (p. 100). Si les normes morales changent, c’est parce que la philosophie qui soutenait l’ancienne morale a elle-même changé et que nos contemporains ne croient plus à ce que l’Église enseigne et notamment à l’anthropologie chrétienne. Ainsi ne voient-ils aucun mal dans les évolutions en cours.

Pour notre auteur, la fin de l’ère chrétienne, « époques fondées sur la conquête » (p. 159), n’est pas une « catastrophe », il faut seulement que les chrétiens apprennent à vivre comme une minorité en étant de simples témoins.

Malgré sa petite taille, l’ouvrage est particulièrement riche et il n’est pas possible ici de commenter tout ce qui le mériterait. Juste une brève remarque. La victoire de la modernité est totale mais fragile si l’on pense que la loi naturelle, aujourd’hui ignorée et bafouée, est néanmoins inscrite au cœur de tout homme créé à l’image de Dieu. Ainsi, même en étant très minoritaire et à contre-courant, un chrétien ne peut avaliser certains aspects de cette modernité : sa résistance, même sans espoir de succès à court terme, est le plus grand service qu’il puisse rendre à cette société déboussolée.

Christophe Geffroy

À VRAI DIRE
JEAN-LUC MARION
Cerf, 2021, 220 pages, 20 €

De nos jours, a-t-on remarqué, trois moments dans toute la philosophie : 1° le moment sceptique car, comme discours de la Totalité, il n’y a ni preuves, ni savoir, ni démonstration ; 2° le moment pluraliste car, la philosophie étant nécessairement éclatée, le petit peuple des philosophes se répartit en des enclos où, parce que chacun de ceux-ci possède ses méthodes et s’occupe de ses problèmes, suffisent son langage et ses auteurs de référence ; 3° le moment thématique, lequel, pour le philosophe, est le moment de l’option, donc du propos autour d’un thème (la Nature, ou la matière, ou l’Esprit, ou l’Être, ou la Vie, etc.). Au demeurant, quant à la définition même de la philosophie, il n’y a pas accord entre philosophes. Et pas davantage sur les mots « être », « réalité ». Sans parler, nouvelles coupures, des uns pour qui on peut achever la philosophie et des autres pour qui elle n’est pas susceptible d’achèvement. Des uns qui philosophent sur le fond de la certitude et rapprochent la philosophie de la science, des autres qui philosophent sur le fond de l’incertitude. Des uns encore selon lesquels la philosophie mène à l’action alors qu’aux yeux de leurs contradicteurs, elle implique la sagesse du non-agir.

Évoquer ce monde-là, tout professoral à de rares exceptions près, n’est pas inutile puisque Jean-Luc Marion y a fait carrière. Ancien élève de Jean Beaufret au lycée Condorcet passé à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1967, où la philosophie devient sa quotidienne discipline, il suit quelques cours de Louis Althusser, « assez platement marxistes sous un vernis de scientificité », entend à l’occasion « l’éblouissant » Michel Serres, « le raffiné » Gilles Deleuze, le plus douteux Jacques Lacan. Peu d’années et le voilà assistant de Ferdinand Alquié à la Sorbonne, auteur sur Descartes, en 1975 d’une Ontologie grise, en 1981 d’une Théologie blanche, ce qui lui vaut sans délai une chaire à l’université de Poitiers. Jusqu’à ce qu’en 2004, après une longue expérience enseignante outre-Atlantique, il hérite de la chaire de Paul Ricœur à Chicago.

Mais si bien des noms célèbres (d’Aristote à Heidegger) défilent ici, trop mêlés, selon nous, d’arides développements, le présent volume au surplus, ou la conversation (conduite par Paul-François Paoli), aligne les jalons d’un itinéraire qu’imprègne une inaltérable fidélité à l’Église. Jean-Luc Marion, en effet, proche d’abord de Mgr Charles, recteur du Sacré-Cœur de Montmartre, actif participant au lancement en 1975 de l’édition francophone de Communio, revue internationale inspirée par Hans Urs von Balthasar, collaborateur zélé du cardinal Lustiger, n’a jamais faibli dans sa foi. Sur divers points le désapprouver ? Pourquoi non ? Avoir envers une production plutôt opaque une mince attirance ? Chose permise. S’en prendre au catholique sincère ? Impossible.

Michel Toda

LE SECRET DE CONFESSION
THOMAS POUSSIER
Salvator, 2021, 192 pages, 19 €

Les scandales moraux qui agitent l’Église ou les cas récurrents des grands criminels sont autant d’occasions pour remettre en cause le secret de confession. Depuis 2020, une loi australienne oblige les prêtres à le rompre en cas de pédophilie. En France, le Sénat a interrogé la Conférence des évêques de France à ce sujet mais continue de respecter la règle du droit canon puisque le pénitent s’adresse au Christ en se confessant. Pourtant, cette loi du silence perturbe, scandalise ou révolte. S’en tirer par une confession ? C’est trop facile ! La bibliographie à la portée de tous sur le sujet est maigre. Thomas Poussier, prêtre diocésain et supérieur du séminaire d’Aix-en-Provence, remédie au problème en publiant un essai clair et complet qui aide à comprendre les fondements spirituels et juridiques et surtout l’absoluité du secret de confession… et qui tombe à pic après le rapport Sauvé. Saint Thomas d’Aquin l’affirme dans sa Somme Théologique : « aucune autorité humaine ne [peut] nous permettre ou nous forcer de révéler le secret de confession. » Celui-ci n’empêche pas ni justice ni reconnaissance de la gravité des actes : le prêtre doit inciter le pécheur à se dénoncer aux autorités civiles, mais la miséricorde de Dieu suppose un secret absolu et « sa protection permet la protection de la dignité humaine d’un pécheur. (…) Le secret de confession est le refuge des pécheurs. (…) C’est un signe réel de l’amour infini de Dieu pour les hommes ».

Marie de Dieuleveult

HISTOIRE DE L’ÉGYPTE
Des origines à nos jours
BERNARD LUGAN
Éditions du Rocher, 2021, 214 pages, 22,50 €

Située dans la partie septentrionale et orientale du continent africain, une zone hautement stratégique, notamment à cause du Nil et de la mer Rouge, l’Égypte ne ressemble à aucun des pays qui forment son environnement. Sur le plan ethnique, elle n’appartient pas à la négritude puisque son peuple possède un physique blanc de type méditerranéen, ainsi qu’en témoignent les portraits des momies. En outre, sa longue histoire, commencée il y a huit mille ans, est profondément marquée par la culture des Pharaons, ainsi que par bien d’autres héritages, résultats de nombreuses dominations et influences politiques et religieuses (assyrienne, grecque, perse, romaine, berbère, kurde, turque, mongole, européenne).

L’identité égyptienne ne saurait donc se limiter à l’arabité, élément dont elle s’est emparée à partir du VIIe siècle avec l’islamisation de son peuple, jusque-là appelé « copte », épithète qui est depuis lors réservée à sa composante chrétienne. Sur le plan géopolitique, le rôle de l’Égypte dans l’espace arabe est cependant indéniable. Suite à l’expédition de Bonaparte (1798-1801), elle s’orienta vers l’État-nation et posa les premiers jalons de la modernité inspirée de l’Occident, ce qui suscitera, en 1928, la création des Frères musulmans, matrice de l’islamisme contemporain dont les ramifications s’étendent au monde entier. C’est l’Égypte qui, en 1945, créa la Ligue des États arabes dont le siège est au Caire ; elle aussi qui, en 1958, sous le régime de Nasser, convainquit la Syrie de fusionner avec elle pour former la République arabe unie, expérience qui ne dura cependant que trois ans ; elle encore qui, en 1979, sous la présidence de Sadate, osa signer la paix avec Israël, démarche qui sera suivie par d’autres États arabes. Le récit chronologique s’achève par la révolution de 2011. Enfin, l’auteur présente les grands défis auxquels est confronté le régime actuel du maréchal Sissi (explosion démographique, contrôle des eaux du Nil disputé par d’autres pays africains).

Spécialiste reconnu du continent africain, Bernard Lugan offre dans cet ouvrage, construit selon un plan méthodique et une approche synthétique, illustré de 23 cartes et assorti de diverses annexes, le panorama complet d’une histoire tout à la fois riche et bouleversée.

Annie Laurent

DU TEMPS DES LUMIÈRES A NAPOLÉON
XAVIER MARTIN
DMM, 2021, 190 pages, 21 €

Le philosophe Wittgenstein a écrit qu’une pensée suffit parfois pour remplir toute une vie. On pourrait dire que toute l’œuvre du professeur Xavier Martin est le développement d’une idée : contrairement au discours « officiel », l’anthropologie des Lumières (Voltaire, Diderot, Rousseau…) n’est pas un humanisme optimiste. L’historien du droit la résume ainsi : « Réduction de l’homme à l’organique, absence de frontière entre l’humanité et l’animalité, réduction de tous les phénomènes d’intériorité à une chimie des sensations, réduction de l’homme et de l’animal à des mécaniques, qui ont pour carburant l’intérêt égoïste… »

Dans ce nouveau livre, recueil de douze entretiens donnés à différentes publications, Xavier Martin explique comment cette vision matérialiste d’un « homme rétréci », d’un « sous-homme », fut en arrière-plan de la Révolution, de la boucherie vendéenne puis du Code civil napoléonien. Le mode de la conversation permet d’en explorer librement les diverses dimensions. C’est ainsi comme une introduction facile d’accès à toute une vie de recherches qui, à la différence de certaines productions historiques compilant des ouvrages de seconde main, remontent aux sources mêmes de l’idéologie révolutionnaire, à savoir les écrits des penseurs et juristes.

Denis Sureau

LA DIVINE BIBLIOTHÈQUE
JUAN MANUEL DE PRADA
Magnificat, 2021, 192 pages, 14,90 €

Célèbre écrivain espagnol, dont neuf romans ont été traduits en français, Juan Manuel de Prada propose de découvrir vingt-six œuvres représentatives de la littérature d’inspiration catholique, de Cervantès à Fabrice Hadjadj. Agréables à lire, ces textes sont parus initialement dans l’édition espagnole du missel mensuel Magnificat. Evidemment, un tel choix dépend de la sensibilité de l’auteur ; on pourrait imaginer des dizaines d’autres sélections tout aussi légitimes. Mais l’intérêt de ce livre est de nous inciter à découvrir, à côté d’écrivains connus des lecteurs de La Nef (Chesterton, Bernanos, Thibon, Volkoff…) d’autres – classiques et contemporains – qui le sont moins : Ernest Hello, Charles Williams, Betty Smith, voire Flannery O’Connor. Autant d’auteurs qui racontent le drame de l’homme tiraillé entre le péché et la grâce, en quête de la rédemption.

Denis Sureau

SAINTE MARGUERITE-MARIE ET MOI
CLÉMENTINE BEAUVAIS
Quasar, 2021, 244 pages, 16 €

Décidément ce livre est inclassable ! Si, comme lui explique son éditrice très catholique, il « existe un caillou dans la chaussure des cathos », à savoir le rapport entre amour et souffrance, il existe aussi un pavé dans l’existence de Clémentine Beauvais, auteur jeunesse à succès, agnostique et non baptisée, en la personne de son ancêtre, sainte Marguerite-Marie Alacoque, excusez du peu ! Et dans ces circonstances, un tel lignage est peut-être difficile à assumer.

Ainsi, partie sur une proposition, presque une boutade, d’écrire une biographie qui forcément sera quelque peu décalée, de pirouettes en pirouettes, surtout lorsqu’il s’agit de marcher en terra incognita avec comme objectif une sainte de cet acabit cataloguée de mystique « exaltée », l’auteur se lance à corps perdu dans cette aventure. Et le résultat force l’admiration.

Balayant tous les clichés, l’imagerie sulpicienne, les commentateurs mielleux et dépassés, aidée en cela par des guides chevronnés, tel le Père Guedas, recteur des sanctuaires de Paray-le-Monial, Clémentine Beauvais n’est pas au bout de ses surprises : à la découverte d’une aïeule encore parfois bien incomprise s’ajoute celle encore plus incroyable du brasier d’amour véritablement incarné du Cœur de Jésus, de la puissance d’un message qui ne doit pas être édulcorée, de la force de l’obéissance. Une découverte qu’elle nous fait partager, loin d’une hagiographie traditionnelle, avec bienveillance et un humour décapant.

Anne-Françoise Thès

LE ROMAN DES DAMNÉS
ÉRIC BRANCA
Perrin, 2021, 426 pages, 24 €

Sous-titré Ces nazis au service des vainqueurs après 1945, ce livre dresse le portrait de onze salopards et demi : douze portraits de caciques du pouvoir hitlérien, la plupart directement impliqués dans les crimes et exactions du IIIe Reich et qui réussirent la double prouesse d’échapper à la justice internationale d’après-guerre et de poursuivre des carrières à la tête de prestigieux organismes (OTAN, Chancelier Fédéral, Chef des services secrets ouest-allemands…). On est confondu par le machiavélisme de ces personnages peu reluisants, l’impunité qu’ils se sont arrogés, la naïveté (vraiment ?) confondante des vainqueurs et leur absence apparente de remords.

Le dernier portrait, le demi-salopard, est celui d’une femme étonnamment courageuse mais aveuglée par son fanatisme nazi : Hanna Reitsch, pilote d’essai de la Luftwaffe. Elle réussira l’exploit de se poser près du Reichstag dans Berlin dévasté pour, en vain, convaincre Hitler de s’enfuir.

Ce livre, passionnant, se lit comme un roman noir d’espionnage tant il recèle de passages et révélations incroyables sur cette période tumultueuse de l’après-guerre.

Anne-Françoise Thès

LIBAN : LES DÉFIS DE LA LIBERTÉ
FOUAD ABOUNADER

Avec Nathalie Duplan et Valérie Raulin, L’Observatoire, 2021, 220 pages, 19 €

« Un travail de mémoire est nécessaire », écrit Fouad Abounader pour justifier le livre qu’il publie avec l’aide de deux journalistes françaises spécialistes du Liban. Engagé dans la résistance armée dès l’âge de 15 ans, en 1975, alors que son pays sombrait dans une guerre multiforme qui devait durer jusqu’en 1990, ce chrétien maronite ne regrette pas ses choix passés. Il aime d’ailleurs à se référer à son oncle, Béchir Gemayel, l’illustre chef de cette résistance. Revenant sur les ingérences extérieures qui ont précipité le Liban dans le chaos (Palestiniens, Syriens, Israéliens, Iraniens), Abounader s’attarde aussi sur la cruelle désinformation dont les chrétiens ont été victimes, y compris de la part de la France, celle-ci s’étant laissée piéger par la propagande « islamo-progressiste ». Autre injustice : leur supposée collaboration avec Israël alors que l’État hébreu menait un jeu trouble au Liban tout en prétendant protéger les chrétiens. Tout cela est expliqué avec beaucoup de précision.

L’auteur porte par ailleurs un regard lucide sur le piège des divisions et des affrontements fratricides dans lequel sont tombés ses coreligionnaires. En évoquant ces épisodes douloureux, il s’abstient de juger qui que ce soit, ce dont il faut lui savoir gré. Plutôt que de régler des comptes, l’ancien combattant œuvre, par le biais de l’association qu’il a créée, à consolider la présence des chrétiens pour permettre au Liban de retrouver sa vocation de « pays message ». Pour lui, l’avenir suppose l’élaboration d’un nouveau pacte national, la neutralité de l’État, la décentralisation et l’adoption d’un statut personnel unifié, tout cela dans une perspective laïque. Il s’agit en fait de créer une nation, ce que n’est pas encore le Liban multiconfessionnel qui reste dépendant des influences étrangères.

Annie Laurent

LA VIE DE NOS ADOS
JEANNE LARGHERO
Mame, 2020, 224 pages, 16,90 €

Après avoir écrit Comment réussir ta vie ? pour enseigner l’art d’être heureux à la jeunesse, Jeanne Larghero, professeur de philosophie et mère de cinq enfants, s’adresse cette fois aux parents d’adolescents. Ce guide décline les thèmes qui les concernent et peuvent devenir sources de conflits incessants ou d’inquiétude : écrans, sorties, puberté, sexualité, scolarité, amitié, vie de foi… Avec humour et sens du concret, Jeanne Larghero livre des clés pour accompagner les grands enfants pendant ces années de transition vers l’âge adulte. Votre enfant finira-t-il par accepter de se laver ? Doit-on punir un enfant de 15 ans ? À quel âge peut-on donner un portable ? Comment gérer ses sorties ? Que faut-il exiger ? Ce livre est un guide rassurant et précieux où l’on apprendra que l’éducation des plus grands enfants peut devenir un cercle vertueux et tirer aussi les parents, confrontés à leurs faiblesses et leurs incohérences, vers le haut.

Marie de Dieuleveult

SERVICE ROYAL
LUC DE GOUSTINE
Les unpertinents, 2021, 208 pages, 17 €

Une histoire devenue légendaire : le baptême de Clovis par l’évêque Remi, commencement de l’aventure (du mystère au ministère) qui donna forme en France, avec l’onction et la liturgie du sacre, au service royal. Laquelle histoire, cependant, a nourri des fantaisies ou des inventions. Car le cliché doit être abandonné du chef entraînant dans l’Église son peuple tout entier, en une sorte de miraculeuse unanimité originelle. Tandis qu’il faut voir le caractère singulier, aventureux, minoritaire d’un tel acte. Au vrai, le baptême des habitants de la Gaule avait débuté vers la fin du IIe siècle et ce fut à partir des fameux édits de Milan en 313 que l’évangélisation prit de l’ampleur. Quant aux Francs, encore au moins trois siècles s’écoulèrent avant que tous acceptent, à l’exemple jadis de leur roi Clovis, de renoncer au paganisme.

N’empêche que le discours officiel tenu par la dynastie franque (fondatrice au baptême de 496 de la démarcation laïque entre temporel et spirituel), puis par la France et ses rois, discours constamment chrétien, obstinément catholique romain malgré les orages, était dès lors en train de naître et d’instaurer un séculaire dialogue avec l’Église. Or, cette France, jamais plus qu’en notre temps, continuer de l’appeler catholique serait, dit l’auteur, « une flatterie complaisante ou une dérision ». En perdition donc ? Il ne le pense pas et persiste à lui croire un avenir (même chrétien) à l’abri du nationalisme (distinct d’une légitime mystique nationale) comme du mondialisme… mais sans guère s’expliquer ni quitter les brumes. Dommage !

Michel Toda

LE DERNIER CARRÉ
Combattants de l’honneur et soldats perdus de l’Antiquité à nos jours
JEAN-CHRISTOPHE BUISSON & JEAN SÉVILLIA
Perrin/Le Figaro Magazine, 2021, 384 pages, 21 €

L’idée originale de ce livre est de présenter, sur plus de 2000 ans d’histoire, des cas plus ou moins illustres où un « dernier carré » de combattants a lutté jusqu’à la dernière extrémité, même quand ils savaient que leur camp était battu. Ainsi, des auteurs renommés retracent ces batailles qui ont marqué les mémoires, citons parmi les 25 textes : les Thermopyles en 480 av. J.-C. (Sébastien Lapaque), Montségur en 1244 (Paulin Césari), Trébizonde en 1463 (Joseph Macé-Scaron), Canada 1763-1766 (Mathieu Bock-Côté), la chouannerie des Cent-Jours en 1815 et le Mexique en 1867 (Jean Sévillia), Oklahoma 1865 (Vincent Bernard), Rome, les zouaves pontificaux en 1870 (Christophe Dickès), la Commune en 1871 (Jean-Christophe Buisson), Irlande 1923 (Pierre Joannon), Alger 1962 (Jean-Pax Méfret), etc.

Certaines de ces batailles sont peu connues et l’on apprend beaucoup à la lecture de ces chapitres d’une quinzaine de pages. Mais surtout, ce panorama est l’occasion d’une réflexion sur ce qui a motivé le sacrifice de ces hommes du « dernier carré » : patriotisme, sens de l’honneur et du devoir, foi, courage, panache… on saisit ainsi des constantes tout au long de l’histoire et l’on se dit que la bravoure est bien de tous les siècles, ce qui est finalement un message encourageant.

Patrick Kervinec

– CAMUS Pour disposer au christianisme
– HOMERE Pour Astéropée
JEAN SAROCCHI
Éditions Ovadia, 2021, 118 pages, 14 € et 180 pages, 20 €

Le premier ouvrage a l’immense mérite de montrer les « préoccupations chrétiennes » de Camus, sans chercher toutefois à le « christianiser », qui se remarquent à nombre d’indices, croissant, convergeant à partir de La Chute, dont ce petit travail dresse un bilan apodictique.

Tout récemment Sylvain Tesson avoue en un brillant essai sa nostalgie du monde homérique tellement plus aimable, à l’en croire, que notre triste monde souillé par le judéo-christianisme. C’est de cette billevesée que Jean Sarocchi fait, sur le mode de la bouffonnerie, justice dans le second ouvrage. Il n’a pas de peine à suggérer, avec Anatole France, qu’on s’ennuyait bigrement au temps d’Hector et d’Achille, mais surtout il montre que si l’Iliade et l’Odyssée sont incontestablement des chefs-d’œuvre, les héros y méritent un peu le traitement que leur inflige l’opérette ou le caricaturiste…

Patrick Kervinec

LA NATION FACE A L’EMPIRE
Pour une France libre au cœur de la vraie Europe
EMMANUEL LYNCH
Autoéditions, 2021, 600 pages, 29 €

Emmanuel Lynch explique que la France a cessé d’exister en tant qu’État lorsqu’elle abandonna la prérogative de faire les lois et démontre que la « construction européenne » a donné naissance à l’État fédéral supranational de l’Union européenne et plus précisément à un Empire, c’est-à-dire une entité politique située au-dessus des peuples et des nations. Reposant sur une philosophie politique socialiste libérale ancrée dans le matérialisme et l’athéisme, cet Empire est pour l’auteur une organisation allemande. Cet ouvrage fouillé qui allie histoire et philosophie cherche à aider les Français qui veulent retrouver la maîtrise de leur destin.

Patrick Kervinec

Romans à signaler

L’ESPION FRANÇAIS
CÉDRIC BANNEL
Robert Laffont/Les Tourelles, 2021, 520 pages, 19,90 €

Cédric Bannel s’est fait connaître avec L’homme de Kaboul (2011), mi-polar mi-thriller géopolitique, qui met en scène le qomaandaan Oussama Kandar, chef de la police criminelle de Kaboul, que l’on retrouve dans trois autres opus, Baad (2016), Kaboul express (2017) et maintenant L’espion français qui vient de paraître. La réussite de ces romans tient à l’excellente connaissance de l’Afghanistan de l’auteur, soigneusement décrit dans la complexité de ses ethnies et de ses clans – on apprend énormément sur ce pays –, à la qualité de scénarios parfaitement maîtrisés, ainsi qu’aux aspects humains qui ne sont pas négligés, tout particulièrement le personnage attachant de Kandar.

Des quatre livres, L’espion français est celui qui verse le plus dans le thriller et le roman d’espionnage, puisque l’histoire converge vers la rencontre entre Kandar et un agent de la DGSE, Edgar, chargé d’éliminer une redoutable djihadiste française qui a établi sa base en Afghanistan. Le tableau de ce pays – nous sommes avant la victoire des talibans en août 2021 – est assez effrayant entre une administration sous emprise occidentale totalement corrompue et des talibans arriérés d’une invraisemblable cruauté. Tout cela fait un roman dépaysant, vif et passionnant de bout en bout.

Christophe Geffroy

GAGNER N’EST PAS JOUER
HARLAN COBEN
Belfond, 2021, 400 pages, 22,50 €

Le génie d’Harlan Coben réside dans des scénarios esbroufants conduits à un train d’enfer ne laissant pas au lecteur un moment de répit : on est pris par l’histoire pour la mener à son terme le plus vite possible. Tout ça va très vite et le revers de la médaille est le peu d’épaisseur de ses personnages qui sont toujours dans l’air du temps, il ne s’agirait pas de prendre le moindre risque au regard de la vigilante police de la pensée. Ce nouvel opus – l’auteur, avec une régularité de métronome sort un nouveau roman chaque automne –, s’inscrit dans ces normes et cela donne une histoire captivante, avec néanmoins un héros peu sympathique de jeune (40 ans) milliardaire inconsistant, hédoniste, égocentrique peu encombré par la morale, et tout cela se déroule dans un monde froid, sans pardon ni rédemption. Ce n’est cependant pas rédhibitoire puisque tout est dans l’intrigue : celle de Win – le héros –, confronté à l’assassinat d’un ancien hippy retrouvé avec un Vermeer volé à sa famille vingt ans plus tôt. Efficace et prenant.

Patrick Kervinec

LES FEUX DE NOTRE-DAME
FRANÇOIS BERT
Edelweiss éditions, 2021, 114 pages, 15 €

Les feux de Notre-Dame racontent l’histoire de deux policiers chargés de fournir les premiers éléments de l’enquête relatifs à l’incendie. Édouard et Julia sont les deux personnages principaux. L’évènement les rapproche. D’autres acteurs du drame convergent autour de Notre-Dame et se laissent progressivement illuminer par le spectacle, notamment par une statue de la Vierge Marie sauvée par les pompiers. Julia se laisse pénétrer par son regard, comme la plupart de ceux qui l’entourent : « Impuissante, vulnérable, figée dans le silence de ce poids sur elle, elle sent monter irrésistiblement, l’émotion qu’elle a si longtemps étouffée. » Dans ce roman, si Notre-Dame brûle, elle convertit aussi les cœurs. À travers ce drame national, c’est une pluie de grâces qui sauvent l’ensemble des âmes de ce récit.

François Bert signe une nouvelle fois un roman où jaillit l’espoir au cœur même de ce qui paraît être désespérant. Comme dans Cote 418 (Edelweiss éd., 2019) qui raconte l’histoire d’un soldat au cœur de la Première Guerre mondiale, les descriptions qu’il mêle au récit témoignent d’une permanence transcendante au cœur même des contingences. Dans les plus grands périls de la nation, Dieu continue de pourvoir.

Pierre Mayrant

© LA NEF n°341 Novembre 2021, mis en ligne le 29 novembre 2021