Pour livrer une authentique « bataille culturelle », face au progressisme rampant, on ne peut pas se fonder sur des prémices que l’on partage avec lui.
Avec l’insistance répétitive d’un disque rayé, la droite en appelle à la nécessité de mener contre le progressisme rampant une « bataille culturelle », expression par laquelle elle entend dépeindre une sorte de choc entre deux trains représentant deux visions du monde radicalement opposées se disputant l’hégémonie culturelle. Cependant, pour livrer une bataille de ce genre, il faut combattre avec des principes opposés qui proposent une alternative radicale, non pas au sens d’extrémiste, mais au sens où elle conduit à la racine des problèmes en cause. À défaut, la bataille est inévitablement vouée à l’échec.
Dans ces grotesques « batailles culturelles », la droite recourt toujours au concept de liberté propre au libéralisme, aux munitions des droits individuels propres au libéralisme, à la vision anthropologique propre au libéralisme, etc. Le progressisme rampant n’a alors qu’à utiliser ces principes à son avantage, à les adopter comme étant les siens, à les adapter à ses intérêts et à les développer jusqu’à leur donner des conséquences extrêmes que la droite, dans sa timidité, n’avait jamais soupçonnées. Alors, une fois ces principes ainsi développés, la droite crie contre ce qu’elle appelle absurdement le « marxisme culturel », qui n’est rien d’autre, pourtant, qu’un libéralisme conséquent.
Le libéralisme, en effet, avec son principe émancipateur, crée le bouillon de culture de toutes les ingénieries sociales qui conviennent au progressisme pour construire un « ethos » hégémonique… auquel, quoiqu’un retard, finissent en définitive par adhérer les champions de la droite, bien qu’ils en adoptent toujours une version atténuée ou embarrassée. Certains de ces champions, d’ailleurs, ne s’y joignent pas totalement. Ils mènent quelques escarmouches sur certains problèmes qui exacerbent le plus terriblement les antagonismes sociaux.
De même que, pour favoriser son assaut contre le pouvoir, la gauche utilise les immigrés, les féministes ou les écologistes comme autant de « sujets révolutionnaires », de même les champions de cette seconde version de la « bataille culturelle » utilisent le mouvement pro-vie ou les classes moyennes paupérisées. Cependant, cette façon de livrer une « bataille culturelle », en utilisant ces groupes sociaux comme des béliers, ne fait qu’exaspérer et réarmer leurs détracteurs, en engendrant ainsi une dissociété empoisonnée par une multitude de haines. De surcroît, cette dissociété polarisée effraie les tièdes, qui finissent par succomber aux chants de sirène du progressisme, parce que celui-ci se présente toujours du côté de la modération.
Ces deux modalités de « bataille culturelle » sont totalement vaines, même si leurs pénibles luttes intestines paraissent avoir un caractère cosmique. Pour mener une authentique « bataille culturelle » contre le progressisme rampant, on ne peut pas partir de prémisses que l’on partage avec lui ; parce que, de la sorte, on ne fait que fomenter une ridicule confusion idéologique qui constitue, en définitive, le ferment qui favorise le plus sûrement l’hégémonie du progressisme.
La seule « bataille culturelle » possible ne peut être menée qu’avec des prémisses philosophiques, politiques et anthropologiques contraires aux idéologies en jeu ; et de telles prémisses ne sont fournies que par la pensée traditionnelle.
Juan Manuel de Prada
Source : ABC du 27 novembre 2021, traduit de l’espagnol par Patrick Poydenot
© LA NEF pour la traduction française, le 29 novembre 2021, exclusivité internet