Vincent Cespedes © Manon Hamon-Commons.wikimedia.org

Cespedes, « philosophe », ou le règne arrogant des cuistres

Notre époque peut être qualifiée de mille manières. L’une est en particulier la cuistrerie.

Souvent l’on a le sentiment, notamment en regardant des émissions de télévision, que la pertinence de chacun à traiter d’un sujet est inversement proportionnelle à la connaissance qu’il en a.

Au milieu de cette ignorance décomplexée trônent les « spécialistes ». Il en est en tous domaines, de toutes plumes et de tous poils : la sécurité, la santé, l’économie, l’histoire, la vie animale. Et puis, au-dessus de tous, les « philosophes ».

Nous regorgeons de « philosophes » de plateaux et de tribunes, qui viennent ici et là délivrer leurs analyses, afin que nous accueillions par eux, supposément, autant de paroles doctes et prophétiques. Ils sont pourtant tellement nombreux, ces « philosophes », que leurs discours font simplement nombre, en qualité comme en sonorité, avec d’autres « experts » qui nous parlent de chiffre, de température, de réchauffement climatique, de rhumatismes, de délinquance, de traite des vaches ou d’inflation. Parfois, d’ailleurs, ils pontifient sur les mêmes sujets que d’autres « experts », car la cuistrerie donne toutes les audaces. Tel viendra nous parler de vaccin, tel autre du pouvoir d’achat ou de la violence contre les femmes. Au point qu’en définitive les discours de tous ces « sages », quel que soit leur « pôle » de compétence respectif, se trouvent dilués dans une même soupe médiatique, bouillonnante un jour, oubliée le lendemain. C’est ce que l’on appelle sans doute l’interdisciplinarité.

Parmi ces « philosophes », figure un certain Vincent Cespedes, lequel, sur son site internet, se vante d’apporter à ses consommateurs, qu’il appelle ses « copilotes », « une expérience d’intelligence connective unique au monde ». Quitte à être cuistre, autant l’être au maximum, avec toutes les ressources qu’apporte le discours publicitaire, puisqu’en définitive ce qui compte, pour tous les spécialistes de ce genre, c’est tout de même de se vendre.

Voilà donc que notre Cespedes écrit une tribune dans le journal « Le Monde », intitulée : « Maintenant que nous connaissons l’étendue des crimes sexuels commis par des religieux, dissolvons l’Église catholique ! »

Il signe, naturellement, « Vincent Cespedes, philosophe ». Si un policier se présente à vous comme tel, il y a fort à parier qu’il va vous parler d’une affaire de police. Un médecin mettra en avant sa qualité de médecin pour vous parler de médecine. Notre Cespedes, qui se présente comme « philosophe », devrait donc nous parler de philosophie. Il n’est cependant pas utile de poursuivre la lecture de son article au-delà de son titre racoleur pour comprendre, d’emblée, qu’il n’en est rien.

Pourquoi alors se dire « philosophe » ? Même peu lettré, chacun sait quand même que le philosophe est celui qui « aime la sagesse ». Ici, pourtant, il n’est question ni d’amour ni de sagesse. « Philosophe » est une simple titulature, comme celle de notaire ou de journaliste. Il s’agit de donner à penser à celui qui pourrait être attiré par la lecture de l’article, comme au consommateur attiré par une affiche vantant les mérites d’un déodorant, que son producteur offre un produit de qualité.

Reste que le « philosophe » vient ici nous parler de ce qui n’a pas de rapport avec la philosophie. C’est comme si Heineken nous vantait les vertus cosmétiques d’un anti-transpirant. Et nous touchons du doigt, ici, la pointe de la cuistrerie en acte : la qualité invoquée de « philosophe » n’a pas pour objet de traiter d’une vérité philosophique mais d’impressionner le lecteur possible pour lui faire accroire, d’emblée, que l’article qu’il s’apprête à lire repose sur la réflexion d’une personne faisant autorité. La réalité est que cette carte de visite est brandie non pas pour éclairer l’intelligence, mais pour la désarmer. Elle est, au fond, de la même nature que la fausse carte de police que des voyous viennent brandir sous le nez de naïfs retraités pour entrer chez eux et les dépouiller.

Cette « philosophie, en définitive, est à l’intelligence ce que l’escroquerie est à la franchise. Dans l’un et l’autre cas, il ne s’agit que d’un masque de manipulateur. Si un doute devait subsister, il suffirait de lire l’article en question pour le dissiper immédiatement. Au milieu de lieux communs qu’il faut se résigner à traverser pour aller au bout de son papier, le « philosophe » ne se propose rien de moins que de « dissoudre l’Église ». Si le bonhomme avait un tant soit peu de cette sagesse qui sied à sa « profession », il saurait que la longue histoire de l’Église, qui n’est pas près de s’arrêter en dépit de cette crise, est bordée des tombes oubliées d’une infinité de ses semblables qui ont doctoralement annoncé l’irrésistible fin de cette Église méconnue. Cespedes n’est qu’un nom de plus qui y sera gravé avant d’en disparaître, emporté par le vent des vanités humaines.

La leçon de l’histoire, puisqu’il faut bien qu’il y en ait une, nous vient, depuis l’aube du christianisme, des avertissements du prince des Apôtres. Un avertissement bien actuel : « Il y aura parmi vous des maîtres de mensonge, qui introduiront des hérésies menant à la perdition et renieront le Maître souverain qui les a rachetés. Ils préparent pour bientôt leur perdition. (…) dans leur cupidité, ils vous exploiteront par des discours factices ; leur condamnation est en cours depuis longtemps, et leur perdition n’est pas en sommeil » (2 Pierre, 1-3).

Patrick Poydenot

https://www.lemonde.fr/…/maintenant-que-nous…

© LA NEF le 29 novembre 2021, exclusivité internet