Laure Adler en 2012 © Thesupermat-Commons.wikimedia.org

Les Dupont et Dupont de la presse-purée

Les lecteurs auront peut-être vu le vif accrochage entre Laure Adler et Franz Olivier Giesbert sur un plateau de télévision. La journaliste, blonde peroxydée, lèvres en forme de knack et peau tirée, reprochait à FOG d’avoir écrit dans son dernier livre, Histoire intime de la Vème République, qu’en allant à la gare Saint-Charles par la Cannebière, il n’entendait plus parler français. Mon Dieu ! Quel drame ! Horresco referens ! Les cris d’orfraie de la journaliste ont glacé Giesbert. FOG, acculé, s’est défendu d’en être point et d’être, au contraire, cosmopolite.  « Vous êtes blanc et fier de l’être. Il n’y a pas assez de blanc autour de vous », a conclu Madame Adler, parvenue à l’idée que les propos de son confrère étaient racistes, laissé bien coi.

Ne croyez pas qu’il m’est loisible de commenter les saynètes des écrans cathodiques, seulement, l’accrochage entre ces deux journalistes tête-à-clash fait penser à une histoire drolatique à la morale calamiteuse et aux conclusions risibles, révélatrice de ce qui ne va pas en France chez l’un comme chez l’autre : la déconnexion des élites et les conséquences du réel enfin visible.

Familier de Christophe Guilluy, je ne peux que repenser à ces analyses dans Fractures françaises où il constate la séparation irrémédiable et consommée des métropoles où vivent les enfants chéris de la mondialisation et ceux qui vivent dans les périphéries. Les premiers méprisent politiquement et culturellement les seconds et vomissent leurs options électorales et leurs opinions politiques. Ce sont les gens In et bottom up et de l’autre les sans-dents, les pue-la-sueur, les down. Les premiers sont hors-sol, de partout et de nulle part quand les seconds enracinés et croyants représentent la France moisie, pétainiste, réac’, éternellement antisémite. On connait la chanson. Dans cette histoire, proche du nanar, ces deux valets du journalisme de gauche et de centre droit sont des détaillants qui se fournissent au même grossiste, revers de la même pièce. Nous l’allons montrer.

Commençons par Franz Olivier Giesbert, marseillais de cœur, qui se sent bien dans cette ville cosmopolite et qui l’affirme haut et fort. Etre cosmopolite comme Paul Morand, descendant au Ritz comme au Danieli à Venise, arpenteur de la belle Europe, grand faiseur à Savil Raw comme à Times square, je veux bien. Etre un grand européen comme Ernst Jünger, maniant le français comme l’allemand, conscient d’un concert des nations, je veux bien mais le cosmopolitisme doit être l’apanage d’une élite sûre d’être héritière de sa propre civilisation à l’instar de Valéry, Nietzsche, Zweig, Fumaroli.

Les cosmopolites actuels, donc modernes, point habités par l’ancien monde, ont le tort d’appliquer comme idée universelle leur propre vie de bourgeois à la terre entière, de considérer qu’il n’y a pas de nation, de souscrire au métissage et à la diversité pour les gens d’en bas, de ne pas vivre avec la diversité qu’ils chérissent, de se sentir encore protégé par le lieu d’habitation et d’avoir renoncé à la civilisation au profit d’un vivre ensemble fondé sur le droit-de-l’hommisme, le relativisme et le consumérisme.

Giesbert ne comprend pas que le problème réside dans le passage de la qualité à la quantité. Le nombre fait la force. On passe d’une conversation de lettrés qui parlent français à Vienne à une station de RER en banlieue à Clichy la Garenne. Ce qui est vue comme la diplomatie de l’esprit devient à présent, par son application en loi générale, un brassage des cultures bêtement qualifié de richesse. Le vivre ensemble ne marche pas car les gens, issus de pays différents, venus en trop grand nombre, pauvres, concentrés à des endroits donnés ne cherchent plus à s’assimiler à la France, au français, à l’œuvre française. On a tout fait pour qu’ils ne le fissent pas.

Il faut lire le Bûcher des vanités de Tom Wolfe pour voir que la situation américaine n’est plus si loin de ce que FOG vit à Marseille. Les Diasporas cohabitent, parlent leur dialecte, leur langue, et finissent par se détester les unes les autres. Giesbert est le Sherman MacCoy qui découvre le réel : le multiculturalisme est le cosmopolitisme d’en bas, de masse et pour les pauvres qui n’engendre rien d’heureux. La libanisation de notre pays est le symptôme d’un archipel qui lorsque ces îles iront se rejoindre, fera, hélas, des étincelles.

La réaction de Giesbert me fait penser à la phrase culte de Bossuet « Dieu se rit des hommes qui déplorent les conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. » Ce défenseur du libéralisme, du laisser-faire ; ce partisan de l’Européisme maastrichtien, tantôt mitterrandien, tantôt chiraquien, tantôt sarkoziste, est pris dans les contradictions de sa propre idéologie. Non, la France n’est pas Macdonald, les gens n’y viennent pas comme ils sont. Non, il ne suffit pas de travailler et de respecter les lois pour faire une nation. C’est déjà là le vice du libéralisme qui préfère l’appartenance au capital travail à l’appartenance culturelle. Le grand remplacement est un fait mais il lui faut un génitif, comme on dit en latin, pour être le grand remplacement de la France d’en bas par l’immigration de travail devenue celle de peuplement. Dans la logique du libéralisme, un avocat n’a pas à être remplacé par un avocat kosovar ou congolais, mais un plâtrier, un livreur de sushi, un agent de sécurité, oui. Peut-être, le sieur Giesbert se rend-il compte sur ses vieux jours de ce qui se passe, comme le triste sire Onfray, soutien du Z, comme notre cher Jean-Marie Rouart ancien franc-maçon devenu catholique dans un livre réussi, Ce pays des hommes sans Dieu.

C’est justement parce que Franz-Olivier Giesbert commence à comprendre que Laure Adler, juge et partie, s’est sentie obligée de pointer ses propos curieux, tendancieux, dangereux. Elle est l’illustration en pied de ce qu’est devenue la gauche soixante-huitarde. Je ne peux pas ne pas penser au livre acide du même Tom Wolfe, le Gauchisme de Park Avenue dans lequel il décrit Leonard Bernstein, pull en cachemire sur les épaules, dressant le poing en l’air quand il croise un militant black Panther. Cette gauche bourgeoise a pris le pouvoir par un coup d’état culturel comme en 1789 quand elle a raflé les postes subventionnés à la culture, à la radio, dans les journaux, à l’université, à l’éducation nationale, au parlement européen. Madame Adler, cinquante ans de journalisme politique et intellectuel sur France culture, a été le tapis rouge parlant de tout l’intellectualisme des dernières décennies, nous vendant le féminisme autiste, l’antiracisme hystérique, l’européisme béat, la culture des marges et la déconstruction avec ces cinglés de Derrida, Althusser et consort.

Pour Madame Adler, s’offusquer de ne plus entendre parler français en France est raciste. Mais quoi ? Tout pays doit perdurer et cela passe d’abord par un peuple, une terre, une langue. La bien-pensance d’une bourgeoisie à ce point-là dépassée, outrée devant le réel en dit long sur l’état de déconnexion. Madame Adler reproche à Giesbert d’être blanc et de vouloir s’entourer de blanc mais s’entoure-t-elle vraiment de gens de la diversité ? Dans son milieu, n’est-elle pas entourée de gens de sa classe ? Comme à Mediapart où il n’y a pas un Français d’origine étrangère mais qu’une assemblée de granivores, les seuls noirs ou arabes que voit Laure Adler sont sa femme de ménage, son livreur uber, le type qui vérifie son sac hermès à l’entrée du BHV ou son passe sanitaire. Le cynisme des idées a un visage. La tolérance, le sans-frontiérisme, l’antiracisme fou ont accompagné la propre volonté du libéralisme de voir le petit-fils de Mohamed Charkaoui, plâtrier arrivé en 1975, devenir livreur de colis. Dérive du capitalisme de connivence.

Puisque la révolution mange ses enfants et que l’abondance de souverains nuit, Madame Adler a compris qu’il fallait, à son âge, se réinventer. On aurait presque cru que Mitterrand était revenu, mais la voilà qui souscrit au wokisme pour rester dans le coup et perdurer à la tévé où tout se comprend à l’aune de la couleur de peau, des oppressions et des minorités.

De gauche, elle adhère à l’antiracisme le plus ridicule mais elle souscrit au long discours du candidat néolibéral Macron à Marseille en 2017 qui voyait dans la ville phocéenne des Ghanéens, des Marocains, des Algériens, des Congolais, des Italiens, des Portugais, des Turcs, des Brésiliens et tutti quanti, mais pas un seul Français d’origine étrangère. Comble de l’ironie, cette gauche marxiste, cinquante ans après, comme un roman foiré de Dumas, est passée du col mao ou rotary club. C’est Goupil qui vomit les Gilets jaunes, con Bandit agent des Américains en Union européenne, Glucksmann l’ancien qui soutenait la guerre en Irak.

Que les valets médiatiques du pouvoir se déchirent, cela va de soi, qu’ils le fassent en public peut être gênant mais révélateur d’une certitude : il arrive que les niais se glorifient de ce qui devrait leur faire honte, c’est même le comble de la niaiserie.

Nicolas Kinosky

© LA NEF le 29 novembre, 2021, exclusivité internet