L’Archiduc Imre de Habsbourg-Lorraine, arrière-petit-fils de Charles et Zita de Habsbourg, travaille à Genève où il dirige deux sociétés dédiées l’une au conseil patrimonial et l’autre à l’investissement éthique. Il est aussi fortement engagé dans deux associations, la Fraternité Européenne et les Accueils Louis et Zélie. En cette période d’incertitude économique et sociale, nous l’avons rencontré.
La Nef – Nous vivons une époque compliquée, ne trouvez-vous pas ?
Archiduc Imre de Habsbourg-Lorraine – Certainement. Et il n’est pas de journée sans qu’une information vienne accentuer cette impression de malaise et d’insécurité qui peut être la nôtre en ce moment ; tout va si vite. Et en tant de domaines. Mais heureusement, en tant que chrétiens, nous sommes portés par l’espérance malgré les difficultés rencontrées au quotidien, afin d’essayer sans cesse de garder une paix intérieure.
Comment cela se décline-t-il dans la réalité ? Que faut-il faire pour vivre dans la paix profonde ?
Il me semble que nous pouvons chercher à toujours mieux vivre en cohérence, c’est-à-dire à essayer de mettre en ordre nos affaires et nos choix, les situer par rapport à leur finalité. Aujourd’hui, dans une société hyperconnectée et d’hyperconsommation, tout doit être rapide, en commençant par les réponses aux courriels qui n’en finissent pas… Il y a une nécessité de prioriser nos tâches, et de les mettre en perspectives, restant, tant bien que mal, orienté vers le véritable but de notre vie : atteindre l’union ultime à Dieu dans la vie éternelle. Cela commence aujourd’hui et c’est vrai également dans la vie professionnelle.
Comment cela s’articule-t-il pour votre vie professionnelle justement et pour les services que vous proposez ?
Que ce soit dans le domaine de la supervision de patrimoines ou de l’investissement éthique, une boussole est essentielle. Pour nous chrétiens, surtout dans le monde des affaires, la doctrine sociale de l’Église est précieuse. Pour dire les choses différemment, en ce qui concerne les choix d’investissement, une saine gestion impose un double regard : on ne peut pas décorréler éthique et rentabilité.
Ne trouvez-vous pas que le terme « éthique » est utilisé de manière très large : qu’en pensez-vous ?
Vous avez raison. Ce mot est hélas un peu usé ; mais je crois que nous pouvons encore continuer à l’utiliser en précisant bien ce que l’on veut dire. S’agissant des investissements dans la finance dite « éthique », n’oublions pas que nous sommes à l’heure de l’écologie et de la bioéthique ; aussi est-il utile de préciser que le marketing se fraie un chemin jusque-là. Donc, pour se différencier, certains pensent opportun de se positionner sur ce segment… C’est en tout cas le choix que font nombre de banquiers ou de gestionnaires.
Pour ma part, je m’interroge régulièrement : qu’y a-t-il de vraiment éthique derrière les annonces en apparence vertueuses ? Il est en tout cas indispensable de se poser la question et d’interroger les professionnels qui revendiquent cet ancrage. Ne soyons pas dupes, car malheureusement, les labels ESG (Environnement Social Gouvernance) ou ISR (Investissement Socialement Responsable) sont souvent étrangers aux essentiels de la doctrine sociale de l’Église… Je regrette de le dire ainsi, mais il faut bien le reconnaître. Il suffit de poser des questions sur les sujets sensibles…
Comme pour l’alimentation bio ?
Je ne suis pas un spécialiste du bio, mais j’ai cru comprendre qu’il y avait bio… et bio. Pour en revenir aux fondamentaux de la finance éthique, il me semble essentiel de considérer l’homme dans toutes ses dimensions et de placer au centre ce qui concerne la dignité de toute vie humaine, de son commencement à son terme naturel. Sans oublier les plus fragiles. Le respect de l’environnement a toute sa place dans cette approche.
Dans notre entreprise, Aliter Invest, nous assurons la gestion extra-financière (paramètres éthiques) d’un fonds d’investissement dans lequel nous n’intégrons pas les entreprises qui ne respectent pas cet essentiel de la protection de la vie. Viennent ensuite d’autres domaines sur lesquels nous sommes vigilants : tout ce qui concerne la pornographie, les secteurs d’addictions, les armes non conventionnelles. Nous nous méfions aussi des géants que sont Google, Apple, Facebook, Amazon… qui ne se caractérisent pas par le respect le plus absolu de la confidentialité et donc des libertés individuelles.
Cela étant dit, parallèlement à ces points de vigilance, nous mettons fortement l’accent sur les entreprises qui fournissent des efforts, tant dans le domaine du respect des salariés, que celui d’une saine écologie, sans oublier l’ADN et le management d’une entreprise. Nous sommes là dans le domaine de la responsabilité.
Qu’en est-il de la rentabilité des placements vraiment éthiques ?
Je vais vous répondre en deux temps.
Tout d’abord, il est selon moi insensé de vouloir parler d’investissement éthique sans avoir en permanence présente à l’esprit l’obligation de la rentabilité. Comment attirer des investisseurs qui veulent faire fructifier leurs biens en n’ayant seulement que de belles convictions ? Il faut bien entendu apporter des résultats concrets. La parabole des talents est riche d’enseignements dans ce domaine.
Deuxièmement, l’éthique est un atout sérieux en temps de crise. Concernant les résultats que je puis observer, je pense spécialement au Fonds Global Investors Ethica Balanced dont nous assurons la gestion extra-financière, il n’y a pas à rougir des performances. Depuis janvier 2021, le fonds connaît une croissance de 11 % à fin novembre pour un profil balancé 50 % actions 50 % obligations. Les chiffres valent mieux que les discours en la matière. Donc, heureusement, oui l’éthique, la vraie, fait bon ménage avec la rentabilité. Pour nous joindre si nécessaire, c’est possible (1).
J’ai cru comprendre que vous avez aussi d’autres engagements…
Oui, plusieurs qui me tiennent à cœur ! Je modère actuellement un réseau de chrétiens engagés, provenant de divers pays européens. Nous sommes unis par l’amitié et par nos engagements dans des domaines variés : combat pour la vie, la famille, la culture, les pauvres, etc. Les membres se retrouvent régulièrement pour des rencontres au niveau national et européen. Nous avons le désir de redécouvrir l’âme de l’Europe, et pour ce faire il nous faut comprendre d’où nous venons, qui nous sommes, dans la grande et riche diversité des peuples européens. C’est en puisant dans les racines spirituelles et culturelles de l’Europe que nous comprendrons mieux quelle est sa véritable vocation. L’Europe garde une mission particulière dans ce monde, j’en suis convaincu. Mais cela dépend de nous pour qu’elle se révèle.
Je suis également le vice-président de l’Institut pour la Famille en Europe (LIFE) dont la mission consiste en l’implantation d’« Accueils Louis et Zélie », lieux d’écoute et d’évangélisation des blessures familiales (2), et de sessions « Marie qui guérit les couples » (3). Voilà pour les « à-côtés », mais qui comptent beaucoup pour moi.
Un mot pour conclure…
Si la confusion et des tendances idéologiques sont bien présentes, il faut que l’appel du pape émérite Benoît XVI de se comprendre comme des minorités créatives retentisse fortement en nous. Celles-ci sont capables de changer le cours de l’histoire grâce à leur trésor – la foi. Soyons donc aussi ambitieux que créatifs pour continuer de servir, de manière bien imparfaite, mais plein d’entrain. Les chrétiens et toute personne de bonne volonté gagnent à s’encourager mutuellement à choisir la cohérence et orienter leurs actions vers la véritable Lumière. Tant de saints et grands témoins, et également mes arrière-grands-parents, le Bienheureux Charles d’Autriche et la Servante de Dieu Zita, nous appellent avant tout à une vie de prière, seule capable d’efficacement éclairer nos actions et engagements. C’est un programme de toute une vie…
Propos recueillis par Guillaume d’Alançon
(1) Sur le site www.aliter-invest.com ou à l’adresse mail : info@aliter-invest.com
(2) www.accueillouisetzelie.fr
(3) www.mariequigueritlescouples.com
© LA NEF n°343 Janvier 2022