Un mandat d’amener peut être décerné contre un ancien président de la République pour le contraindre à témoigner sur des faits par ailleurs couverts par son irresponsabilité pénale. La Constitution ne l’interdisait pas. La pratique le permet désormais. C’est un précédent notoire. Explications.
- Les tribulations judiciaires de Nicolas Sarkozy sont sans fin. En 2021, il a été condamné à deux reprises (1). Il n’est pas question ici de se perdre en palabres oiseuses sur la culpabilité ou l’innocence de l’ex-président. Seule importe la vérité du dossier : le reste n’est que conjectures, intuitions et sentiments.
En revanche, et hors de tout esprit polémique, sa convocation en novembre dernier comme témoin devant le tribunal correctionnel de Paris dans le cadre du procès dit des « sondages de l’Élysée » (2) ainsi que le mandat d’amener décerné à son encontre, afin d’assurer sa présence par le concours de la force publique si besoin, interrogent. Nicolas Sarkozy a invoqué son immunité pour dire cette convocation inconstitutionnelle.
Il n’en est rien.
Prévue par l’article 67 de la Constitution, l’immunité présidentielle protège la souveraineté nationale, laquelle trouve à s’incarner dans la personne du président. Elle garantit la séparation des pouvoirs ainsi que l’efficacité de l’action politique en la préservant de tout harcèlement judiciaire.
Loin d’être absolue, l’immunité présidentielle, qui n’est pas synonyme d’impunité, est donc d’abord fondée. - Elle signifie, premièrement, l’inviolabilité du chef de l’État. Il ne peut être requis de témoigner, ni faire l’objet d’aucune action, ni d’aucune enquête pénale, ni être poursuivi durant son mandat. Cette inviolabilité vaut (seulement) pour la durée de son mandat et cesse un mois après la fin de ses fonctions.
- Elle signifie, deuxièmement, l’irresponsabilité pénale du président. Il n’est pas responsable des actes accomplis en sa qualité de président, sauf acte gravissime justifiant sa destitution par le Parlement ou la compétence de la Cour pénale internationale. Dès lors, le président :
– ne pourra jamais être poursuivi, jugé ni a fortiori condamné pour des faits relatifs à l’exercice de ses fonctions présidentielles. Cette irresponsabilité est illimitée dans le temps, mais
– pourra être poursuivi, jugé et condamné pour des faits extérieurs à l’exercice de ses fonctions, que ces faits leur soient antérieurs, postérieurs ou concomitants. - Quelque inédit, audacieux et infamant que puisse être le mandat d’amener, il n’est donc pas inconstitutionnel. Il n’est plus en exercice, il ne bénéficie plus de l’inviolabilité du chef de l’État.
- La mise en œuvre de cette audition est en revanche plus délicate. Le risque qu’elle mène, implicitement mais nécessairement, à sa mise en cause de fait et par là même viole la substance de son irresponsabilité pénale, n’est pas négligeable. Il y aurait alors une fraude à la Constitution. Ce qui rend bien subtil la conduite de cette audition et réducteur le spectre des questions pouvant lui être posées. Telle est pourtant la dangereuse ligne de crête sur laquelle le tribunal s’est hasardé.
- La réelle utilité de cette convocation interroge alors. Le président aura beau jeu de se réfugier dans son silence afin de protéger le principe d’indépendance de son action mais aussi le secret professionnel. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Nicolas Sarkozy, qui s’est spontanément présenté mais s’est refusé à toute explication sur les faits pour lesquels le tribunal était saisi.
- Cette convocation aura donc été un coup d’épée dans l’eau, suffisamment tranchant néanmoins pour entailler le costume présidentiel et lui faire perdre de son lustre.
Cette affaire est en définitive symptomatique d’une nouvelle ère judiciaire. Celle qui voit croître la responsabilité pénale des politiques à mesure que leur responsabilité politique diminue, celle où les citoyens n’ont pas assez de les sanctionner par le jeu des élections, celle où des juges se donnent à cœur joie de les tenir en joue au bout du canon de l’exemplarité, reprenant leur revanche sur leur indépendance longtemps méprisée, quitte à devenir un véritable « pouvoir » aux côtés de l’exécutif et du législatif alors que la Constitution ne parle, à dessein, que d’« autorité judiciaire ».
Guilhem Le Gars*
(1) Condamnations dont il a interjeté appel : il reste donc présumé innocent à ce stade.
(2) Pour rappel, plusieurs personnes étaient renvoyées pour la conclusion de marchés sans appels d’offres entre l’Élysée et diverses sociétés portant sur des prestations de conseil et des commandes de sondages.
*Avocat au Barreau de Paris.
© LA NEF n°343 Janvier 2022