En 1952, le père Cahal Daly, professeur de philosophie à Belfast, et futur cardinal-archevêque d’Armagh, est venu à Paris pour étudier à l’Institut catholique. C’était, en France, une période de traumatisme d’après-guerre et de débats sur l’existentialisme. Le cardinal Daly a beaucoup apprécié son année à Paris, mais a remarqué bien plus tard que l’Irlande des années 1950 était protégée, par l’isolement géographique, des défis pastoraux dont il avait été témoin en France.
Cet isolement a certainement pris fin au cours des décennies qui ont suivi et notre récent et rapide recul de la pratique religieuse a suscité de nombreux commentaires.
La baisse de la participation dominicale à la messe s’est produite principalement depuis les années 1990 et donc plus récemment qu’ailleurs en Europe occidentale, passant de 85 % en 1990 à 36 % en 2016, selon diverses enquêtes. D’autres confessions, comme l’islam et le bouddhisme, ont désormais aussi leur poids dans la vie irlandaise, principalement en raison de l’immigration importante depuis les années 1990.
Les causes du déclin
Le déclin de la foi catholique en Irlande a les mêmes causes qu’ailleurs – les philosophies sécularistes, la révolution sexuelle, l’urbanisation et la croissance des médias de masse modernes. En raison de son isolement relatif dans les années 1950, l’Irlande était mal préparée aux défis à venir. Les échecs de l’Église comprenaient une catéchèse médiocre, une négligence de la liturgie et une réponse très inadéquate aux abus commis sur des enfants par des clercs, tandis que les jeunes générations, après les années 1960, réagissaient contre ce qu’elles considéraient comme une domination catholique dans l’Irlande indépendante.
Les graves scandales d’abus dans les paroisses et dans les institutions pour enfants gérées par des ordres religieux ont fait l’objet d’une attention internationale considérable et ont eu un impact majeur sur l’opinion publique depuis les années 1990, bien que l’Église ait entrepris depuis lors une réforme importante des politiques de protection des enfants.
La perspective laïque des médias irlandais mérite également d’être commentée. La chaîne de télévision irlandaise RTÉ fête cette année ses 60 ans d’existence. Ceux qui étaient opposés à l’influence catholique en Irlande ont vu dans sa création en 1962 l’occasion de diminuer cette influence – et la télévision a joué son rôle dans l’effacement du catholicisme. Bien que RTÉ produise de nombreux programmes excellents, elle a adopté une position fortement « progressiste » sur des questions majeures comme l’avortement.
Nos médias ont pris une direction « laïque » dès le référendum pro-vie de 1983 et, étant donné que peu a été fait depuis pour développer des médias alternatifs, ils continuent à dominer le débat et à offrir des perspectives très négatives sur notre passé catholique. Il est essentiel d’enquêter sur les scandales liés à l’Église et de les reconnaître, mais les médias ont également tendance à ignorer 1600 ans de vie et d’héritage chrétiens en Irlande et la contribution historique de l’Église à la nation.
Quel avenir ?
L’Église, à certains égards, a été poussée en marge de la société irlandaise et les étudiants catholiques, par exemple, peuvent trouver l’environnement universitaire actuel peu accueillant pour leur foi. D’un autre côté, les chiffres de la pratique religieuse sont encore relativement élevés par rapport aux normes d’Europe occidentale et il existe des preuves anecdotiques que l’épidémie de Covid-19 a suscité une réflexion plus profonde sur le sens de la vie.
Les violentes divisions en Irlande du Nord pendant les « troubles » des années 1960 à 1990 n’ont pas contribué à améliorer l’image du christianisme irlandais dans le monde, mais l’Église catholique a continué à rechercher de bonnes relations œcuméniques avec les protestants et s’est courageusement opposée à la « lutte armée » de l’IRA, évitant ainsi un éventuel glissement vers une véritable guerre civile. En octobre dernier, Mgr Eamon Martin, archevêque d’Armagh et primat de toute l’Irlande, et d’autres dirigeants chrétiens se sont réunis dans sa ville pour le centenaire de la division politique de l’île et pour envisager l’avenir dans un esprit d’espoir et de réconciliation.
Les catholiques irlandais d’aujourd’hui peuvent être encouragés par la résilience de nos ancêtres. Vers 1700, par exemple, la cause de l’« Irlande catholique » était totalement vaincue sur le plan politique et militaire, mais l’Église a tranquillement poursuivi sa mission dans des circonstances très défavorables au cours du siècle suivant.
Tout en reconnaissant les scandales et les insuffisances du passé, l’Église d’Irlande regarde vers le futur avec espoir en prévoyant un synode national dans les années à venir. Notre riche héritage chrétien et le témoignage d’innombrables martyrs et missionnaires devraient être une puissante source d’inspiration alors que nous regardons vers l’avenir.
Tim O’Sullivan
Tim O’Sullivan a fait des études d’histoire et de français à Dublin et à Nancy et contribue régulièrement à la presse catholique irlandaise.
© LA NEF n°344 Février 2022