Président de l’association Ouest-Est, auteur de Le Martyre du Kosovo (France Empire, 2020) et de Bienvenue au Kosovo (Éditions du Rocher, 2019), Nikola Mirkovic nous présente son dernier livre (1).
La Nef – Votre livre décrit la naissance de l’empire américain : comment cet empire s’est-il élaboré et quels en sont l’idéal et la spécificité ?
Nikola Mirkovic – Les États-Unis ont été bâtis, dès l’origine, comme un empire. Le premier président américain, George Washington, parle lui-même « d’empire naissant ». Les USA se battent depuis plus de 200 ans pour imposer l’American way of life, contrôler l’accès aux ressources naturelles du monde et s’assurer les marchés mondiaux pour écouler leurs produits finis. La démocratie américaine a été rapidement confisquée par une oligarchie mue par ses propres intérêts. Le président Franklin D. Roosevelt lâche même cet aveu cinglant : « La vérité est que […] un élément financier dans les grands centres possède le gouvernement depuis l’époque d’Andrew Jackson. » L’idéal chrétien des premiers colons a vite été remplacé par les objectifs mercantiles d’une élite financière beaucoup plus intéressée par la transformation du monde en un grand marché que par la défense des intérêts du peuple américain. Le conservateur américain Patrick Buchanan dit : « Maintenant, des millions de personnes voient les États-Unis comme un empire arrogant qui fait étalage de son pouvoir, soutient des dictatures corrompues et propage sa culture impie parmi leurs jeunes. Comment peut-on appeler une politique qui récolte une telle moisson de haine un succès. »
Les États-Unis prétendent agir au nom du Bien, pour la démocratie et les droits de l’homme : quelle est leur part de sincérité ?
On juge un arbre à son fruit. Quels droits de l’homme les USA ont-ils apportés en Irak, en Bosnie-Herzégovine ou en Afghanistan ? Quand les USA poignardent la France dans le dos en nous ôtant un contrat de sous-marins de 56 milliards d’euros, peut-on dire qu’ils agissent au nom du Bien ? Quand les USA espionnent la terre entière avec des outils extrêmement sophistiqués de surveillance de masse, peut-on honnêtement prétendre qu’ils agissent au nom du droit international ? Quand Washington inflige une amende de 9 milliards de dollars à la BNP alors que la BNP n’a enfreint aucune loi internationale, comment faut-il appeler cela à part du racket ? Combien de temps encore allons-nous fermer les yeux et accepter le harcèlement, les manipulations et les mensonges américains ?
Quels sont aujourd’hui les points forts et les points faibles de cet empire américain, peut-il se réformer et comment voyez-vous son avenir ?
Les USA peuvent se reposer sur deux piliers majeurs. Le premier est le dollar qu’ils peuvent imprimer quasiment à volonté et qui est devenu la monnaie de réserve mondiale. C’est le fameux « privilège exorbitant » dont parlait Valéry Giscard d’Estaing. L’autre pilier est évidemment l’armée US qui absorbe un budget annuel de plus de 700 milliards de dollars. Le professeur David Graeber de la London School of Economics dit : « Il y a une raison pour laquelle le magicien dispose d’une étrange capacité à créer de la monnaie à partir de rien. Derrière lui se tient un homme avec un fusil. » Paradoxalement cette hubris est en train de perdre les USA. Le président russe V. Poutine a bien analysé la démesure américaine et dit : « les États-Unis suivent, d’un pas assuré, le même chemin qu’a suivi l’Union soviétique. » Donald Trump a essayé de réformer les USA mais sans succès. L’État profond a eu raison de lui. L’avenir des États-Unis est inquiétant car ils continuent de se comporter comme s’ils devaient régenter seuls les affaires du monde.
Tant que Washington n’aura pas accepté l’avènement d’un monde multipolaire, alors il y a un réel danger pour la paix et la sécurité dans le monde.
Quelle politique préconisez-vous pour la France et l’Europe à l’égard des États-Unis ?
Zbigniew Brzezinski, ex-conseiller spécial à la sécurité de J. Carter, disait que l’Europe de l’Ouest est un protectorat américain. La France doit sortir de l’orbite atlantiste et retrouver sa souveraineté politique, économique et technologique. Par pusillanimité les chefs d’État français ne franchissent pas le Rubicon alors que c’est la seule issue si nous voulons redevenir un peuple libre et souverain. C’était le combat principal du général de Gaulle. Une autre coopération entre nations européennes est également possible sans que nous soyons systématiquement inféodés aux décisions politiques des USA. Pour ce faire chaque nation doit d’abord s’émanciper de la tutelle de Washington et retrouver sa souveraineté. Un premier pas, par exemple, serait la sortie de la France de l’OTAN.
Propos recueillis par Christophe Geffroy
(1) Nikola Mirkovic, L’Amérique Empire, Temporis, 2021, 232 pages, 20 €.
© LA NEF n°344 Février 2022