Lectures Janvier 2022

REPARER L’EAU
OLIVIER REY
Stock, 2021, 156 pages, 17,50 €

Qu’est-ce qu’une société qui croit avoir tout dit de l’eau en la réduisant à sa formule chimique, au point que les dictionnaires en sont venus à proposer H2O comme fine pointe d’une définition ? Tel est le fil rouge du bel essai d’Olivier Rey, Réparer l’eau (1). La réparation est vitale et on ne comprendrait rien, si on la confiait aux seules stations d’épuration. De fait, le drame de la modernité est sans doute que l’eau n’est plus ce qui purifie mais, au contraire, ce qui demande à être purifié. « L’homme en tant qu’être hygiénique y gagne, l’homme en tant qu’animal symbolique est en déroute. »

À travers le prisme de l’eau, Olivier Rey médite sur cette déroute, qui est une sortie de route : « La science moderne, en défaisant le cosmos, délégitimait les réseaux analogiques dont il était tissé. » De là une séparation absolue entre l’eau du scientifique et l’eau du poète, entre lesquelles les anciens étaient encore capables de tisser des liens, au nom d’une commune capacité d’émerveillement.

Comme dans ces livres précédents, Olivier Rey met en évidence les ravages d’une science ivre d’elle-même, qui tue la contemplation, en isolant les objets qu’elle observe. Elle accouche d’un homme hagard, qui répète « H20 », mais est devenu insensible à la beauté d’un reflet dans l’eau. La réparation à laquelle Olivier Rey nous invite est donc avant tout une réconciliation, très éloignée des programmes européens, pour « régénérer les écosystèmes marins et aquatiques ». Pareilles formulations annoncent d’avance des missions scientifiques qui entretiendront la disparition de l’eau qu’elles prétendent empêcher.

Comme toujours chez Olivier Rey, Ivan Illich n’est pas très loin, mais il s’efface ici devant Léonard de Vinci et Francis Ponge, entre lesquels l’auteur établit de frappants rapprochements. Preuve que le savant et le poète, par-delà les siècles, peuvent donner raison à Saint-John-Perse : « Car l’interrogation est la même qu’ils tiennent sur un même abîme, et seuls leurs modes d’investigation diffèrent. »

Sans négliger les bienfaits du robinet à domicile, Olivier Rey nous réapprend ainsi à nous « aboucher au cosmos », selon la formule de Ponge. Malheureux l’homme qui oublie la source ou qui n’y trouve qu’un composé d’hydrogène et d’oxygène : il ignore que sa soif est plus grande que lui.

Henri Quantin

ISLAM ET ISLAMISME
Frères ennemis ou frères siamois
MARIE-THERESE URVOY
Artège, 2021, 166 pages, 14,90 €

Cet ouvrage a pour but d’apporter des éclairages à ceux qui s’interrogent sur le lien entre islam et islamisme. Faut-il distinguer les deux concepts ou faut-il les confondre ? Autrement dit, le mot « islam » s’applique-t-il à une religion et à un culte tandis qu’« islamisme » concernerait une idéologie porteuse d’un projet politique ? Experte en islamologie, Marie-Thérèse Urvoy montre en quoi les deux sont inséparables, tout simplement parce que dans le Coran le contenu et l’ordonnancement des textes relatifs à ces thèmes sont mêlés et que l’ensemble du Livre est considéré par les musulmans comme une dictée divine. Cette confusion entre le temporel et le spirituel se retrouve donc dans tous les aspects de la vie. C’est pourquoi « dénoncer l’islam politique est un pur déni du texte coranique et des traditions prophétiques ».

L’auteur s’attarde sur le bien et le mal définis par Dieu (l’islam ignore le concept de loi naturelle) et sur la charia (loi islamique) dont certains principes sont tellement nets qu’ils freinent toute évolution. La violence est légitimée puisqu’elle doit être mise au service du triomphe de l’islam, garanti par Dieu, comme l’enseigne aussi le Coran qui n’admet pas la neutralité. Il ne s’agit donc pas de dérives. Les derniers chapitres apportent des éléments de réflexion très utiles sur le projet de l’islam en Occident, facilité par l’affaiblissement de ce dernier. À ceux qui rêvent d’un « islam de France », donc laïcisé, M.-Th. Urvoy explique en quoi il s’agit d’une illusion, mettant aussi en garde contre des mythes ou des fantasmes (le soufisme, Averroès, « l’islam des Lumières ») censés constituer des antidotes à l’islamisme ou favoriser un dialogue respectueux.

Annie Laurent

LUIGI ET MARIA BELTRAME QUATTROCHI
ANTOINE DE ROEK
Artège, 2021, 312 pages, 19,90 €

Le premier couple béatifié en tant que tel par saint Jean-Paul II en 2001, avant même les Martin sont Luigi et Maria Beltramme-Quattrochi : « Ils ont vécu une vie ordinaire de manière extraordinaire » disait le Saint-Père le jour de leur béatification, ce livre le prouve amplement. Lui est un brillant avocat, elle plus femme au foyer, très concernée par l’éducation de leurs enfants, aura à cœur de faire profiter de ses réflexions ses compatriotes et écrira de brefs articles à ce sujet dans une revue féminine puis encouragée par ce succès, se mettra à écrire « vraiment ». Une vie de famille normale en somme, chacun à sa place, chacun travaillant dans sa propre sphère en utilisant ses propres charismes avec le souci de donner à Dieu la première place. L’intéressant est de voir comment ce couple menant somme toute une vie un peu indépendante l’un de l’autre, s’est sanctifié ensemble grâce à une vie de prière commune tout en respectant la spiritualité de l’autre. Cette double biographie nous est relatée en puisant largement dans la correspondance de Maria et dans les pièces du procès en béatification.

Les plus belles pages de cet ouvrage sont sans doute les deux annexes, la première est un bel éclairage de ce qu’est une vocation religieuse et de son accueil dans la famille et la société. La seconde est une traduction in extenso du chef-d’œuvre de Maria, le témoignage de sa vie avec Luigi.

Un beau et bon livre et nous devons être reconnaissants à son auteur de nous faire vivre dans l’intimité de cette sainte famille peu connue en France.

Marie-Dominique Germain

SACRÉS COUPLES
Vivre la sainteté dans le mariage
PASCAL IDE
Éditions Emmanuel, 2021, 244 pages, 17 €

Pour illustrer les très beaux chapitres de ce guide voulant mener ses lecteurs à la sainteté dans le mariage, l’auteur s’appuie sur de nombreux témoignages de couples exemplaires : les Follereau, Ozanam, Martin, Lesueur, Fabiola et Baudoin de Belgique… À l’amour conjugal qui se décline de mille manières, dans mille situations heureuses ou douloureuses, chacun apporte à sa manière un éclairage transcendant.

Anne-Françoise Thès

LETTRES DE LA VALLÉE
JULIEN FREUND
La Nouvelle Librairie, 2021, 295 pages, 19,50 €

Entre le maquis de la Résistance et les péripéties du monde académique, entre l’Alsace et la Lorraine, entre la philosophie et la sociologie, la vie de Julien Freund est aussi riche que son œuvre. Près de trente ans après sa mort, les éditions de La Nouvelle Librairie publient des textes inédits qui font office de « Mémoires » de fin de carrière, sous une forme épistolaire. À 55 ans, du fin fond de la vallée où il s’est installé dans les Vosges, le chercheur offre une rétrospective sur sa carrière, et un regard acerbe sur la direction que prend le monde universitaire : crispations idéologiques, influence croissante du progressisme soixante-huitard… mais l’auteur de ces missives développe aussi de nombreux points de sa pensée, et ouvre la voie à de nombreux chantiers philosophiques. Il évoque ainsi différents sujets sur lesquels il espère trouver le temps d’écrire, sur l’anarchisme, la dictature, l’histoire, la politique et de nombreux autres thèmes qui se retrouvent dans l’ensemble de son œuvre. De manière plus intime qu’à travers ses essais, Freund se dévoile ici comme un scientifique scrupuleux, soucieux, et d’une curiosité infinie qui donne envie de découvrir le reste de sa pensée.

Robin Nitot

LETTRES À PIERRE BENOIT
PAUL MORAND
Albin Michel, 2021, 264 pages, 19,90 €

L’un et l’autre, presque du même âge, débutèrent en littérature dans l’immédiat après-guerre : Pierre Benoit, l’aîné, dès l’armistice du 11 novembre 1918 avec la parution de Koenigsmark, son premier roman, suivi aussitôt d’un second, L’Atlantide, et en 1920 d’un troisième, Pour don Carlos ; Paul Morand, le cadet, avec les recueils de nouvelles que sont Tendres stocks de 1921, Ouvert la nuit de 1922, Fermé la nuit de 1923. Et l’un, élu à l’Académie française en 1931, mais toujours un peu bohème sous la grêle des droits d’auteur et, grâce aux cabines paquebots des Messageries maritimes, ayant à son actif plusieurs tours du monde. Tandis que l’autre, diplomate, en congé du Quai d’Orsay à partir de 1926 et rentré en 1938 dans la Carrière, également grand voyageur, quoique protestant contre la légende qui le représentait « extravagant, agité et brutal… écumeur de globe, détrousseur de continents ».

Si on ignore le moment de leur rencontre, un billet daté du 24 février 1930 inaugura la correspondance dont le présent volume ne donne que la contribution de Paul Morand – assez espacée jusqu’en 1943, longtemps suspendue, puis reprise le 14 mars 1956 et poursuivie à un rythme soutenu jusqu’à cette lettre du 16 novembre 1961, dernière avant la disparition en mars 1962 de l’ami très cher. Il y est beaucoup question des Quarante et de la « fièvre verte » qui travaillait Morand, victime plusieurs années durant d’un injuste purgatoire pour ses fonctions, sous Vichy, de ministre plénipotentiaire à Bucarest, d’ambassadeur à Berne, et, fort de son talent littéraire, désireux d’une revanche publique. Pierre Benoit, bien sûr, le soutint à fond (appuyé notamment par Daniel-Rops) mais une cabale, le 23 mai 1958, fit rater l’élection d’une voix… et en 1959 (conséquence à retardement directe ou indirecte ?) détermina l’ami, d’ailleurs accablé par la maladie de son épouse, à ne plus remettre les pieds au palais de l’Institut.

Des réputations de bon aloi, pourtant, y étaient encore accueillies, Henri Massis en 1960, Jean Guitton en 1961 – Massis, « très élégant dans des broderies neuves, avec une taille de sous-lieutenant et des yeux comme des trous de brasero, prêts à la bataille », auquel Paul Morand, le jour de sa réception, s’en fut serrer la main. À lui, en tout cas, il ne restait plus qu’à s’armer de patience. Et à attendre, encore lointaine, l’entrée lustrale sous la Coupole survenue enfin le 23 mars 1969.

Michel Toda

SORTIR DU CAPITALISME DU DÉSASTRE
PHILIPPE MURER
Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2021, 246 pages, 22€

Le quinquennat d’Emmanuel Macron a révélé une fracture sociale qui ne demandait qu’à se manifester, et dont les racines remontent à loin. Pour l’économiste Philippe Murer, elles remontent précisément aux années 1970, lorsque les gouvernements français successifs, ainsi que le monde occidental plus largement, se sont décidés à adopter un nouveau modèle économique qu’il appelle « ultralibéralisme », ou « néo-libéralisme ».

Cet essai, très accessible même aux non-initiés, fait aussi office de cours d’économie pour néophyte, en définissant les notions-clefs et en rafraichissant nos vieux cours d’économie. Il s’agit plus précisément d’un cours d’histoire mondiale du libéralisme jusqu’à nos jours, ainsi qu’un tour d’horizon de ses conséquences en France et ailleurs : destructions d’emplois, saccage de l’environnement, destruction de nos modes de vie par la désertification des campagnes…

Mais le livre ne s’arrête pas au constat, et engage quelques pistes de réflexion en vue de trouver des alternatives : renouer avec l’industrie, le développement des services publics, et une décision radicale : sortir de l’Union européenne. Tout un programme !

Robin Nitot

YANN-VARI PERROT
Une âme pour la Bretagne
YOUENN CAOUISSIN
Via Romana, 2019, 342 pages, 14 €

En 2017, Youenn Caouissin publiait une somme sur l’abbé Perrot, dont nous avons largement rendu compte en son temps (La Nef n° 299 janvier 2018). Ce livre ayant eu le succès qu’il méritait, l’éditeur a demandé à l’auteur de concevoir sur le même sujet un ouvrage plus concis, qui serait publié en format poche. Ce qui fut promptement fait, mais diverses circonstances ont retardé la publication.

Les qualités du premier se retrouvent, sans surprise, dans celui-ci. L’optique est la même : c’est l’abbé Perrot qui raconte sa vie et explique son œuvre. La présentation est simplifiée mais reste copieuse, même si le précédent demeure indispensable pour connaître en profondeur, par les divers documents qui y étaient joints, la personnalité, les idées et les talents du fondateur du Bleun Brug, du héraut de Feiz ha Breiz, assassiné par les communistes en 1943 alors qu’il venait de célébrer la messe.

Youenn Caouissin a réalisé ce que son père avait projeté. Avant d’être écrivain, cinéaste, éditeur, Herry Caouissin était le secrétaire et le bras droit de l’abbé Perrot. C’est sa documentation qui a permis au fils d’achever l’œuvre entreprise il y a longtemps par le père, et il est émouvant de voir sur la couverture côte à côte le prêtre et son jeune secrétaire : ce livre est aussi une œuvre de piété filiale.

Mgr Centène, évêque de Vannes, écrit à la fin de sa préface : « A une époque où les questions d’enracinement prennent une part importante de l’actualité, où les langues régionales sont mises de côté, les propos de l’abbé Yann-Vari Perrot sélectionnés dans cet ouvrage peuvent avoir une réelle résonance pour les Bretons mais aussi pour bien d’autres, comme un antidote à ce qui est appelé aujourd’hui la cancel culture, antidote à découvrir d’urgence pour ne pas mourir en déshérités. »

Yves Daoudal

N’Y A-T-IL QU’UN DIEU POUR NOUS SAUVER ?
JAVIER PORTELLA
La Nouvelle Librairie, 2021, 258 pages, 16,50 €

Un monde, le nôtre, où s’efface toute empreinte de « sacré », où Dieu s’est désormais réfugié dans la seule conscience des croyants, qui espèrent encore, ceux-ci, leur subsistance dans l’Au-delà. Et, chez l’auteur, une interrogation sur le Dieu Fondement (comme Cause première) et sur le Dieu Providence. Liée à un examen critique des principes doctrinaux du christianisme assez difficile, en ce mince espace, à bien et loyalement résumer. À partir de quoi, en tout cas, on ratifie la sévérité de ses commentaires devant l’obédience bobo et le Système établi : idéologie du genre, abus et délires féministes, promotion de la laideur, égalitarisme à outrance, rejet de l’identité collective, appel aux populations allogènes (or « ce ne sont pas les candidats qui manquent : des centaines de millions trépignent d’impatience de l’autre côté de la Méditerranée ») – Système porté par le pouvoir politique et disposant d’un « gigantesque outillage médiatico-culturel qui a tout colonisé », en premier lieu nos peuples d’Europe, lesquels, au nom de l’entéléchie d’un homme universel sans racine ni destin, d’un individu-atome, sont devenus ces « masses engourdies et privées de ressort » qu’on voit tous les quatre ou cinq ans, avec l’implacable régularité d’une loi d’airain, choisir à chaque tour de manège électoral d’affligeants zéros.

Écrivain hispanique familier de la littérature française, essayiste, romancier, Javier Portella, à en juger par le présent ouvrage, possède aussi une plume de combattant.

Michel Toda

BRASSENS À REBROUSSE-POIL
THEOPHANE LEROUX
Première Partie, 2021, 154 pages, 16 €

Alors qu’on en a souvent fait un sympathique anarchiste, un « tonton de gauche » inoffensif, ce petit livre nous rappelle que le guitariste moustachu était bien plus que cela. Dans ce portrait en forme d’hommage, on apprend à considérer sous un jour nouveau cet anticlérical paradoxal, qui fut chrétien par bien des aspects. Lui qui ne pouvait pas s’empêcher, presque à chaque chanson, de mentionner la Vierge, le Christ ou le Saint-Sacrement, éprouvait une certaine tendresse pour les dévots dont il se moquait si fréquemment… d’où sa déclaration d’amour, un peu taquine, à la messe en latin dans Tempête dans un bénitier, et à certains ecclésiastiques dans La Messe au Pendu ou Le Mécréant Repenti.

Héritier des chansons de geste et des Fables de La Fontaine, continuateur de Rabelais comme de Villon, Brassens ne manquait jamais ni une gauloiserie, ni une occasion de remettre en question la pensée confortable et le consensualisme bourgeois. Sans essayer de faire de Georges Brassens une égérie conservatrice, ce qui serait osé, l’auteur nous brosse un portrait du chanteur tel qu’on l’a rarement dépeint, nous faisant redécouvrir un poète dont les textes s’écrivaient tout en subtilité, loin des sensibleries de beaucoup de chansons d’amour contemporaines.

Robin Nitot

CHŒUR DE CHAIR
Le cœur de l’Église est une femme
VÉRONIQUE LÉVY
Artège, 2021, 342 pages, 19,90 €

« Tout est grâce » : cette certitude habite le cœur de Véronique Lévy depuis qu’elle a trouvé dans la foi chrétienne le remède à la blessure d’un viol subi durant son enfance. Le Christ et l’Église sont le lieu de sa renaissance et ce lieu passe par une femme, la Vierge Marie dans son acquiescement au plan de salut conçu par le Créateur pour briser « l’orbite du péché » et en « dévier la trajectoire fatale ». Depuis sa conversion, l’auteur a compris qu’elle devait à son tour enfanter, porter la foi au monde à notre époque où le dessein d’amour de Dieu se trouve abîmé, défiguré et violé par la dénaturation de la vocation humaine, ainsi qu’elle le souligne dans l’introduction de cet ouvrage. « La civilisation moderne désire l’immortalité car elle ne croit plus à l’éternité. Le néant y a fait son nid. La science rêve le corps incorrup­tible : la chair est à dompter ou à éliminer […]. L’humanisme était l’idolâtrie de l’homme contre Dieu, le transhumanisme est la haine de l’homme sans Dieu. » Et la femme est la première victime de ce processus diabolique qui semble atteindre un point de non-retour.

Pour sortir de cet engrenage mortel, Véronique Lévy propose alors une riche et profonde méditation contemplative sur le mystère de la femme et sa place dans l’histoire du salut, méditation qui est évidemment dénuée de toute approche féministe, ce qui en accroît la valeur. En s’appuyant sur sa grande connaissance biblique, dans un style mêlant érudition, poésie et beauté, elle déroule les traits marquants des matriarches et des héroïnes de la Première Alliance, toutes orientées vers l’accomplissement des prophéties à travers les messagères de la Bonne Nouvelle, telles qu’elles émergent dans les récits évangéliques et auxquelles l’auteur porte une attention d’une grande finesse. Dans cette galerie, la Vierge Marie, mère de Dieu, occupe la première place. Elle est « le point de non-retour où toute vie fragmentée rejoint sa source ». Tout est résumé dans cette simple phrase : « Ève succomba, Marie triomphe ». Le contenu apaisant de cet ouvrage porteur d’espérance devrait contribuer à réconcilier la femme avec elle-même et par là rétablir l’équilibre brisé entre elle et l’homme.

Annie Laurent

CATHOLIQUES : DES CITOYENS À PART ENTIÈRE ?
BERNARD BOURDIN
Cerf, 2021, 72 pages, 8 €

Comment être catholique et avoir toute sa place en tant que citoyen ? La chose n’est pas si évidente, tant l’écart est devenu grand entre les « valeurs » de la démocratie libérale et l’enseignement magistériel de l’Église. Le Père Bernard Bourdin, dominicain, essaye de proposer une solution, en préconisant d’abord un renoncement à segmenter les questions qui fâchent, la famille (filiation), le social-humanitaire (les migrants) et l’universalisme (l’Europe), afin de « surmonter le délitement de la démocratie par la redécouverte d’une société à la fois une et pluriel » où le chrétien a toute sa place en tant que citoyen ; ce qui amène l’auteur à demander aux chrétiens de n’être plus des « chrétiens-citoyens », mais des « citoyens chrétiens »…

Le propos ne manque pas d’intérêt mais nous semble inachevé ou encore trop abstrait, car on ne voit pas très bien ce que doit ou peut faire ce « citoyen-chrétien » que l’auteur appelle de ses vœux.

Patrick Kervinec

LE DUC DU MAINE
PIERRE-LOUIS LENSEL
Perrin, 2021, 490 pages, 25 €

Son père : le Roi-Soleil. Sa mère : la marquise de Montespan. Né en 1670, élevé d’abord dans une sorte de secret avec les autres enfants adultérins du même couple, le très jeune Louis-Auguste, dès son arrivée à la Cour, fut comblé de faveurs et d’honneurs. Marié à vingt-deux ans, lui aux jambes fragiles, à la démarche claudicante, elle, Louise-Bénédicte de Bourbon-Condé, une quasi-naine – mais l’époux a du savoir et une assez bonne plume ; l’épouse a l’esprit vif et ne manque pas de caractère. Or, ce personnage nanti d’une haute position, et dont Mme de Maintenon, qui tout petit s’en occupa fort bien, dira qu’il était la tendresse de son cœur, le voici mis en 1714 (avec son frère cadet le comte de Toulouse) au rang des princes du sang, successeurs possibles au trône… puis ramené, en 1717, au rang intermédiaire des légitimés, en 1718 à un échelon encore inférieur : celui de l’ancienneté de sa pairie. Et, suprême affront, enfermé une année durant à la citadelle de Doullens pour son implication supposée dans le complot d’opérette autour de Cellamare, ambassadeur d’Espagne.

On le libéra néanmoins aux derniers jours de 1719. Mieux, on le releva partiellement, en 1723, de sa dégradation sociale. Enfin on rendit à la maison du Maine, en 1727, un lustre trop longtemps terni. Époque où, grâce au bondissant ressort de sa femme, Sceaux, théâtre d’une cour brillante, avait déjà repris vie tandis que Louis-Auguste, plus soucieux au fond de reconnaissance que de la possession du pouvoir, était rentré dans l’exercice de ses charges.

C’est ce prince, mort en 1736, c’est une société, auxquels s’attache l’excellente, la minutieuse, l’érudite biographie proposée au lecteur ami des bons livres – fils timide et vertueux du Grand Roi, animé d’une foi religieuse profonde, mais inapte, devant Philippe d’Orléans, à donner le ton à la Régence.

Michel Toda

ILS VIVENT ENCHAÎNÉS
GRÉGOIRE AHONGBONON
Artège, 2021, 184 pages, 15,90 €

Grégoire, Béninois d’origine est à la tête d’une petite entreprise de taxis à Bouaké, en Côte d’Ivoire. À la suite d’un drame survenu au sein de son entreprise, il se retrouve au bord du suicide lorsqu’une voix l’arrête : « La vie que tu as reçue n’est pas à toi. » Dès lors, animé d’une foi à déplacer les montagnes, il vivra au service des plus pauvres parmi les plus pauvres que sont les malades en Afrique, et plus pauvres encore, les fous que leurs familles considèrent ensorcelés et les repoussent tels les lépreux d’autrefois. Sans le moindre centime, avec quelques amis et une épouse admirable, mais blindé de confiance en Dieu, il va fonder des maisons sous le patronage de saint Camille de Léllis pour prendre en charge ces miséreux dans lesquels il ne cesse de voir Notre Seigneur. Il devient légendaire dans ce petit coin d’Afrique secoué par la guerre civile, à telle enseigne qu’il passera toujours et presque sans encombre les barrages dressés par les belligérants. On hésite à savoir ce qui est le plus admirable chez cet homme, son abandon total à la providence ou sa charité aussi intelligente que sans limites. Décidément, les saints Jean de Dieu, Damien, Vincent de Paul, Mère Teresa ont eu des héritiers : le témoignage de Grégoire en est une preuve.

Ce récit, composé de courts chapitres narrant « l’aventure » de Grégoire suivi de très brèves notules donnant la parole à l’un ou l’autre de ces malheureux, nous est un plongeon au cœur de l’Afrique profonde et de son insondable misère ; une belle leçon d’espérance et d’amour.

Marie-Dominique Germain

LE JARDIN ET LA CROIX
Dieu et la souffrance des hommes
PÈRE ROBERT AUGÉ
Éditions Sainte-Madeleine, 2021, 134 pages, 8 €

Le Père Robert, moine du Barroux, est l’auteur d’une thèse magistrale Dieu veut-il la souffrance des hommes ? (Artège/Lethielleux, 2020). Ce petit opus, très clair, est une synthèse très accessible pour le grand public de ce travail volumineux (964 pages). La rupture du péché, la souffrance comme mal, Dieu et le mal, le sens de la souffrance pour un chrétien… tels sont les principaux thèmes de ce livre hautement recommandable.

Patrick Kervinec

PEUT-ON ÊTRE CHRÉTIEN ET FRANC-MAÇON ?
Mgr DOMINIQUE REY
Salvator, 2021, 124 pages, 12 €

Réédition revue et augmentée de l’ouvrage paru en 2007, ce livre fait la synthèse claire et concise des arguments démontrant l’incompatibilité entre appartenir à la franc-maçonnerie et être chrétien. La tentation est grande d’envisager un pseudo-syncrétisme entre cette société professant des idées qui se veulent humanistes et universelles et le christianisme, et Mgr Rey fait subtilement l’analyse des points d’achoppement.

Anne-Françoise Thès

Romans à signaler

RACHEL RAY
ANTHONY TROLLOPE
Autrement, 2021, 534 pages, 22,90 €

Anthony Trollope (1815-1882) est l’un des romanciers britanniques les plus prolifiques de l’ère victorienne. Rachel Ray (1863) n’est pas son œuvre la plus connue, elle n’en est pas moins fort plaisante. Rachel vit modestement dans le Devonshire avec sa mère et sa sœur, Mrs Prime, veuve puritaine et bigote. Rachel, fait la connaissance de Luke Rowan, jeune héritier de la brasserie Bungall & Tappitt, dirigée par Mr. Tappitt qui n’entend pas céder sa place ni partager la direction de la brasserie avec ce jeune homme qui regorge d’idées pour moderniser l’entreprise et produire de la bonne bière. Le conflit entre les deux hommes est inévitable, et aggravé par le fait que Rowan tombe amoureux de Rachel, qui est d’un rang inférieur, quand Mrs Tappitt espérait voir l’une de ses trois filles épouser le jeune héritier. Celle-ci fera tout pour éloigner Rachel de Rowan…

Cette belle histoire d’amour rappelle quelque peu les romans de Jane Austen, bien que Trollope n’ait pas son envergure. Il a néanmoins un talent certain. Sa description de la petite province anglaise prisonnière des convenances et des préjugés, ses portraits de personnages bien frappés, risibles ou attachants, son humour très british, tout cela fait de ce livre un excellent moment de culture et de détente.

Signalons la réédition concomitante d’un autre roman de Trollope par le même éditeur, Miss Mackenzie (1865, 528 pages, 22,90 €) : plus caustique, l’histoire est plus satirique, elle est celle d’une vieille fille de 35 ans qui reçoit soudainement un bel héritage, ce qui lui attire aussitôt nombre de prétendants…

Christophe Geffroy

© LA NEF n°343 Janvier 2022