Les dangers du passe vaccinal

«Santé, que de folies on commet en ton nom ». Ce pastiche des mots de Madame Roland (« Liberté, que de crimes on commet en ton nom ») illustre bien la dérive du passe vaccinal. Alors que la liberté est le premier mot de notre devise nationale, le passe foule aux pieds les libertés publiques, déjà mises à mal par trois confinements et un long couvre-feu. Devoir exhiber un document médical (normalement couvert par le secret médical) et une pièce d’identité à un patron de bar, à un gardien de musée ou à un vigile privé (transformés en auxiliaire de police) pour prouver qu’on est bien vacciné contre une maladie dont le taux de mortalité est inférieur à 0,5 % relève de la furie liberticide. Les non-vaccinés vont donc se voir privés de leurs libertés et droits fondamentaux. Mais les vaccinés ne jouiront pas non plus d’une vie complètement normale : devoir présenter pièce d’identité et attestation plusieurs fois par jour pour des activités tout à fait ordinaires (manger au restaurant, prendre un café en terrasse – alors qu’il n’y a pas de contamination en extérieur –, voyager en train, se soigner à l’hôpital…), ce n’est nullement « la vie normale ».

Notons que le passe vaccinal français est à la confluence de plusieurs logiques (si on ose dire). D’une part, il s’inscrit pleinement dans la tradition étatiste, administrative et bureaucratique française qui remonte à l’Ancien Régime et qui est si friande de formulaires, de contrôles et de contraintes. Déjà en mars 2020, nous avons dû confiner car nous n’avions pas de masques, pas de tests, pas assez de lits d’hôpitaux ni de respirateurs, mais nous ne manquions pas d’attestations de sortie ni de formulaires. Souvenons-nous que sous la Révolution, pour éviter les ennuis, mieux valait se faire délivrer un certificat de civisme par les fonctionnaires sans-culottes qui peuplaient les bureaux de la municipalité parisienne. Ce document attestait la bonne conduite politique du porteur. Aujourd’hui, le passe vaccinal est le certificat de civisme de notre temps. Il est une formidable machine à produire tampons, attestations, QR-codes, amendes et règlements bureaucratiques divers et variés… Le décret du 19 juillet 2021 mentionne ainsi que le passe vaccinal est obligatoire dans « les chapiteaux, tentes et structures, relevant du type L (les établissements mentionnés au 10° de l’article 34 et au 6 de l’article 35), relevant du type R (les établissements sportifs couverts du type X) ». Revoilà l’Absurdistan français dans toute sa splendeur.

D’autre part, le passe vaccinal imite la logique de la « note sociale » que pratique le totalitarisme chinois. En Chine, si vous critiquez le pouvoir, votre note sociale baissera et vous ne pourrez pas voyager à l’étranger ou acheter un appartement. C’est le même principe qui est repris et appliqué à un autre domaine avec le passe vaccinal. Et les nouvelles technologies facilitent ce système de traçage. Dans cette pandémie, beaucoup de choses viennent de Chine (le virus lui-même, le confinement, l’introduction du mécanisme de la « note sociale »…) et cela devrait nous inquiéter au plus haut point pour notre modèle de société et notre conception de la liberté. Le passe vaccinal constitue un dangereux précédent et une porte ouverte à toutes les dérives.

On nous répondra que l’urgence sanitaire prime et que le pragmatisme s’impose. Or, même sur le plan sanitaire, le passe n’est pas une bonne idée. Avec le passe vaccinal, le gouvernement persiste dans son erreur initiale, qui avait déjà déterminé le choix du confinement : prendre des mesures non ciblées alors que le virus, lui, est extrêmement discriminant. De plus, le vaccin – qui protège très efficacement contre les formes graves (ce qui est une excellente chose) – ne protège nullement contre la contamination et n’a aucun impact sur la circulation et la diffusion du virus. Un vacciné peut être contaminé et il peut aussi contaminer. Fin 2020, sans vaccin, nous étions à 50 000 contaminations par jour et nous trouvions cela déjà élevé. Le 18 janvier 2022, alors que nous avons vacciné 90 % de la population éligible, nous battions pourtant un record absolu avec plus de 460 000 cas. Tout le monde connaît dans son entourage de nombreuses personnes vaccinées avec deux ou trois doses mais qui ont pourtant été positives. Jean Castex et Olivier Véran eux-mêmes, quoique vaccinés, ont été testés positifs. On en arrive donc à cette conclusion complètement folle : une personne vaccinée et positive au Covid peut prendre le TGV ou aller au cinéma ou dans un restaurant et ainsi contaminer plein d’autres personnes. Au contraire, une personne non-vaccinée mais négative au Covid (et qui ne peut donc pas transmettre le virus puisqu’elle ne l’a pas) se verra l’accès à ces mêmes lieux refusé. Une telle ineptie devrait tous, vaccinés ou non, nous amener à protester contre le passe vaccinal.

Jean-Loup Bonnamy

Jean-Loup Bonnamy, normalien, agrégé de philosophie, est spécialiste de géopolitique et de philosophie politique. Il a publié en octobre 2020, avec Renaud Girard, Quand la psychose fait dérailler le monde, Collection Tracts, Gallimard, 48 pages, 3,90 €.

© LA NEF n°344 Février 2022