Mgr Pascal N’Koué, évêque de Parakou, au Bénin, a consacré l’éditorial du bulletin diocésain – Vie diocésaine de Parakou – de février 2022 au motu proprio du pape François, Traditionis custodes (16 juillet 2021). Nous le remercions vivement de nous avoir autorisés à le reprendre intégralement ici.
Comme je l’évoquais dans la Vie Diocésaine du mois d’août 2021, le Pape François a publié un document intitulé Traditionis Custodes, le 16 juillet 2021. Il y aborde la question des formes liturgiques. En peu de mots, il limite les possibilités de la célébration de la messe selon le missel ancien dit « de saint Pie V ». Mais il ne l’abroge pas comme certains parmi nous le pensent et le clament tout haut.
Ce texte, qui se veut normatif et non dogmatique, a été écrit par le propre mouvement (initiative) du Pape, d’où le nom latin de « Motu Proprio ». Sa portée est donc, par nature, différente d’autres documents magistériels. Une exhortation post-synodale, par exemple, est revêtue d’une autorité plus grande. Une encyclique encore davantage. Cependant, cet écrit propose un cadre liturgique que les évêques doivent mettre en place. Cela étant, des dispenses peuvent être obtenues de Rome si les évêques estiment que le bien spirituel de leur diocèse respectif le demande (cf. CIC 1983, c. 87 § 1).
Le Motu Proprio qui nous occupe vient modifier la discipline proposée par saint Jean-Paul II et confortée par le pape émérite Benoît XVI. Plus qu’une opposition de principe, il faut vraisemblablement y voir deux appréhensions d’une seule situation, deux façons différentes de chercher le bien du Corps Mystique du Christ. Peut-être que le prochain pape restera sur la voie de François. Peut-être qu’il reviendra à ce que préconisaient les précédents pontifes. Peut-être même qu’il proposera une troisième voie. Bien malin qui peut le savoir avec une certitude absolue aujourd’hui !
Les réactions à ce Motu Proprio ont été nombreuses et variées, tantôt pour, tantôt contre ; parfois on a utilisé des textes normatifs de la liturgie sacrée comme un pilon pour écraser celui qui n’est pas d’accord, parfois même contre l’Autorité suprême de l’Église. Alors qu’en fait, il ne s’agit pas tant d’être pour ou contre un document, pas plus que d’être pour Paul, Apollos ou Pierre. Il s’agit d’être uni au Christ, pour étendre son règne parmi les nations.
Je crois qu’il est temps pour les catholiques du monde entier de faire preuve d’un amour vrai (non d’une vague sympathie ou simple affection) envers le Saint-Siège, et cela dans un respect filial et une soumission authentique envers le Saint-Père.
Pour aider à atteindre cet objectif de paix et d’union, je voudrais faire quelques considérations au sujet de ce Motu Proprio, tant sur son fond que sur les raisons qui ont poussé le Pape François à rédiger ce document. Ma contribution modeste n’apportera probablement pas d’éléments nouveaux à tout ce qui a déjà été dit et écrit sur le sujet. Mais elle pourra avoir son utilité pour le peuple de Dieu de Parakou un peu embrouillé.
Remarquons d’emblée que si cette problématique est essentiellement occidentale, du fait de l’histoire, elle ne l’est pas exclusivement, car l’Église est universelle. Il suffit de regarder les origines si variées des cardinaux qui se sont exprimés à ce sujet : un Asiatique, le cardinal Zen ; un Européen, le cardinal Müller ; un Africain, le cardinal Sarah ; un Américain, le cardinal Burke etc.
Ensuite, je comprends que le Pape s’inquiète des déviances et durcissements. C’est son rôle de Pasteur universel de veiller au grain. Je le soutiens de tout mon cœur dans son désir de communion. Lorsqu’il parle de certaines attitudes négatives qui l’ont amené à faire son choix, et qu’il expose ses craintes, il est manifestement sincère. Je ne peux aussi qu’être d’accord avec lui lorsqu’il évoque la nécessité de la reconnaissance par tous de la légitimité du Missel Romain de Paul VI. Mais parmi les prêtres utilisant habituellement l’ancien missel, les travers mis en cause sont, je pense, assez rares et minoritaires. En tout cas dans notre diocèse, nous ne rencontrons aucun problème sur cette réalité.
La messe selon le Missel de saint Pie V est encore fréquentée par beaucoup de familles en Europe. Ces personnes n’ont certainement pas lu les actes du Concile Vatican II (pas plus que les actes du Concile de Trente ou Vatican I). Je ne crois pas que ces fidèles fassent vraiment du dernier concile une obsession ou un motif de combat. Simplement, ils aiment cette messe, tout comme moi qui l’apprécie pour sa verticalité, sa transcendance, ses silences, ses nombreuses génuflexions… C’est ce qu’affirme le Cardinal Burke : « Ces fidèles ne rejettent en aucun cas l’Église et ses institutions au nom de ce qu’ils appelleraient la « vraie Église ». Je ne les crois pas non plus en dehors de la communion avec l’Église ou en division au sein de l’Église. Au contraire, ils aiment le Pontife romain, leurs évêques et leurs prêtres, et, quand d’autres ont fait le choix du schisme, ils ont voulu rester toujours en pleine communion avec l’Église, fidèles au Pontife romain, souvent au prix de grande souffrance. Ils ne s’attribuent en aucun cas une idéologie schismatique ou sédévacantiste. »
Ou alors, si l’on considère que ces « tradis » ne reconnaissent pas l’unique Église de Dieu, il faudrait accuser d’idolâtrie tous ceux qui, parmi eux, acceptent la concélébration dans la forme ordinaire ou font la génuflexion dans chaque église où ils voient la veilleuse du Saint-Sacrement. Il faudra aussi expliquer pour quelle raison ils voudraient rester attachés à un Pontife qu’ils ne reconnaîtraient pas ? Et pourquoi ils prieraient pour lui à la Messe (« pro papa nostro Francisco, et antistite nostro N », « pour notre pape François et notre évêque N ») ?
Bien sûr, parmi eux, il y a malheureusement des prêtres qui ont pu se durcir, se replier sur eux-mêmes, allant jusqu’à refuser de concélébrer aux messes chrismales. Ce sont des extrémistes et des fanatiques. Ils sont malades d’esprit et de cœur. Mais rien de nouveau à cela. Chaque famille a ses canards boiteux, ses rebelles et même ses « djїhadistes », tout comme chaque peuple a ses « Gaulois réfractaires ». C’est vraiment dommage pour l’Église, lumière du monde. C’est même un drame douloureux dans l’Église de Jésus-Christ. Mais, attention ! Pour un fruit gâté, on ne jette pas toute la corbeille. À cette petite minorité hors-la-loi, sans foi ni loi, a-t-on essayé d’adresser une exhortation musclée et pimentée, doublée de sanctions canoniques ? Et pour le long terme, a-t-on étudié la possibilité d’une forme de serment écrit pour les futurs prêtres, lors de l’ordination diaconale ou sacerdotale, pour qu’ils s’intègrent ou s’excluent définitivement d’eux-mêmes de l’Église ?
En conséquence, n’aurait-il pas été plus profitable de redresser énergiquement les fautifs sans pour autant blesser toute la famille des « tradis » et nous autres, sympathisants de la forme extraordinaire ? Ce n’est pas parce qu’une branche est abîmée qu’il faut scier l’arbre entier… Surtout pour un arbre qui a porté tant de bons fruits et d’innombrables saints ! Rappelons que c’est la messe de Padre Pio, de Thérèse de l’Enfant-Jésus, Dom Bosco, Joséphine Bakhita…
Évidemment, je ne peux pas balayer du revers de la main le souci d’unité ecclésiale que le Pape François juge être en péril. C’est l’occasion de rappeler que l’unité n’est pas l’uniformité. II y a de nombreuses demeures dans la maison du Père, et c’est une grande richesse ! Une seule Foi, un seul Seigneur, une seule Église OUI ! Mais dans cette Église, il y a de nombreuses formes, permettant à chaque sensibilité et culture de trouver sa place ; et ainsi de participer à la construction de l’unité du Corps mystique du Christ. L’unité dans la confession de Foi et la célébration des mystères n’exigent nullement une uniformité dans la forme liturgique extérieure. C’est d’ailleurs ce que disait le pape François à Istanbul en 2014 : « l’Esprit Saint suscite les différents charismes dans l’Église ; apparemment, cela semble créer du désordre, mais en réalité, sous sa conduite, cela constitue une immense richesse, parce que l’Esprit Saint est l’Esprit d’unité, qui ne signifie pas uniformité ». Dans l’Église catholique, depuis longtemps, il y a eu une diversité de rites, avec de nombreuses subdivisions : une seule « lex credendi », de nombreuses formes de la « lex orandi ». Pour illustrer ma conviction, je vous propose un bref rappel des différentes formes liturgiques catholiques en vigueur de nos jours :
- Dans les rites catholiques orientaux, nous trouvons les rites Alexandrins (copte et éthiopien), et les rites Antiochiens (Maronite, Arménien, Chaldéen, et Byzantin décliné lui-même en Melkite, Bulgare, Macédonien et Géorgien) ;
- Dans les rites catholiques latins, nous trouvons les rites Romain, Ambrosien, Mozarabe, Dominicain, Cartusien, Cistercien, de Braga, Lyonnais et même Zaïrois (africain) établi en 1988 par Jean-Paul II dans un souci d’inculturation.
Tous ceux qui assistent à ces rites sont catholiques de la tête aux pieds ! Faut-il se scandaliser de cette variété comme d’une atteinte à la communion, ou s’en réjouir comme d’une manifestation extérieure de la richesse de la « grâce multiforme de Dieu » (1 P 4, 10) ? Même les anges sont répartis en neuf chœurs ! Même la sainte Trinité, c’est un seul Dieu, bien sûr, mais trois personnes divines différentes. Ainsi, plutôt que de favoriser un conflit liturgique qui affaiblit le peuple de Dieu, il faudrait surtout mettre en pratique la béatitude de la douceur. Et promouvoir la piété et le respect du sacré, sans oublier de remettre en honneur la majesté de Dieu et l’amour fraternel.
Quant à moi, j’aime les deux rites : celui de saint Pie V et celui de saint Paul VI. Laissons-les subsister ensemble. Car dans les deux, les prêtres célèbrent vraiment « in persona Christi ». Le pain et le vin qu’ils consacrent se transforment réellement en Corps et en Sang du Christ. De part et d’autre, on trouve de saints fidèles et saints prêtres qui vivent les sacrements avec foi, piété et dignité.
Conservons donc avec amour les deux formes liturgiques dans notre diocèse. Utilisons-les ensemble pour bâtir l’Église sur la pierre angulaire (qui a été rejetée…), le Christ Jésus. Ne nous comportons pas comme des gamins assis sur la place publique négligeant la richesse intrinsèque des dons divins ! J’ajoute que les dons de Dieu ne se périment pas. Quelle que soit l’époque ou le lieu, ils conservent leurs saveurs originelles. Pour ce qui concerne l’ancienne liturgie, nous en avons une preuve. Avec elle, de nombreuses personnes (de tout âge et culture) y trouvent leur épanouissement spirituel… depuis des siècles. Au grand séminaire Providentia Dei de Gaah-Baka comme chez les Contemplatives de Jésus Eucharistie de Boko tout se passe merveilleusement bien.
Il y a toutefois une chose à « uniformiser », ou pour mieux dire à harmoniser : ce sont nos cœurs, afin d’être vraiment « unis dans un même Esprit ». Que nos langues soient d’accord avec nos cœurs ! Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour, et non sur les rites liturgiques… Que le Seigneur ne nous dise pas ce jour-là : « je célébrais la messe de Paul VI (ou de saint Pie V) et tu m’as rejeté. » Soyons donc charitables envers les frères qui ne font pas exactement comme nous, qui ne célèbrent pas dans notre rite. Si des abus se glissent chez des personnes, il faut les souligner dans l’esprit de correction fraternelle et non de polémique agressive, fruit de l’orgueil humain. C’est encore dans l’Eucharistie, sacrement de l’unité, que nous pourrons puiser cette force. J’insiste, peu importe la forme liturgique, pourvu qu’elle soit apte à élever les cœurs vers le Père, Source de l’amour. Bénissons le Bon Pasteur et prions pour l’unité de son Troupeau pour lequel il est mort sur la croix et ressuscité.
Mgr Pascal N’Koué
Évêque de Parakou (Bénin)
© LA NEF le 4 février 2022, exclusivité internet