La science peut-elle vraiment prouver l’existence de Dieu ?

Formellement parlant, la science explique le « comment » et se trouve démunie devant le « pourquoi », objet de la philosophie. C’est qu’il ne s’agit pas du même ordre, il convient de les distinguer, trop souvent dans le passé, la science ayant été utilisée à tort comme une arme contre la religion.

Quand la plupart des scientifiques professionnels – fussent-ils croyants – entendent proclamer que « la science prouve l’existence de Dieu », ils lèvent les yeux au ciel, voire tapent du poing sur la table. On peut les comprendre, car si l’on prend le mot « science » en son sens strict, qui est aussi devenu le plus courant, il est faux que la science puisse faire une telle chose. Ce n’est pas une question de fait, mais une question de droit.
Ce que l’on appelle « science » en effet depuis Galilée, n’a pas pour objet les premiers principes et les premières causes, à la façon de la métaphysique définie par Aristote (qui, certes, s’appelait « science » au Moyen-Âge), mais la réalité matérielle considérée sous son seul aspect quantifiable et mesurable. En d’autres termes, la science s’occupe du fonctionnement du monde physique, dont elle cherche à percer les lois, grâce à la méthode expérimentale et à l’outil mathématique. Elle ne s’occupe nullement de statuer sur son origine ultime – s’il en a une.
Il est donc constitutivement impossible, par définition même de son objet et de ses méthodes, que la science prise en ce sens, c’est-à-dire la science physique mathématisée rencontre Dieu sous ses microscopes, dans ses tubes à essais ou sur le cadran de ses interféromètres. Même à titre d’entité invisible (la physique des particules n’en manque pas !), Dieu n’est pas une hypothèse scientifique : aucun système d’équations, dans un traité d’astrophysique, n’aura pour solution possible « Dieu ». Le Catéchisme de l’Église catholique affirme d’ailleurs (§ 31) que les preuves de l’existence de Dieu – car il en existe – « ne relèvent pas des preuves que cherchent les sciences naturelles ».
Mais alors ? M.-Y. Bolloré et O. Bonnassies (B&B ci-après) se sont-ils égarés ? La science n’a-t-elle absolument rien à nous dire sur la question qui nous intéresse ? Non, pas du tout ! Ce serait mal comprendre. Il se trouve simplement qu’il existe un quiproquo sur le rôle de la science dans cette affaire. S’il est exclu que la science, en tant que telle, puisse s’intéresser à l’existence de Dieu, ni encore moins la prouver, on peut soutenir en revanche, avec B&B, que certaines données issues de la science (le Big-Bang, le réglage fin des constantes cosmologiques, l’information spécifique de l’ADN) peuvent être utilisées légitimement par la réflexion philosophique, pour construire des arguments tendant à démontrer l’existence de Dieu. C’est ce que font, sans le dire très explicitement, les auteurs du livre. D’où le potentiel malentendu.
Prenons une comparaison : dans un procès, un avocat peut utiliser toutes sortes de données techniques – des horaires de train, un test ADN, des données météo – dans sa plaidoirie, aboutissant à prouver l’innocence de son client. On n’en conclura pas que l’innocence du prévenu est une conclusion de la météorologie, de la génétique, ou de la technique ferroviaire. C’est une conclusion du raisonnement de l’avocat, utilisant des données techniques. Il serait absurde d’aller trouver un météorologiste et de lui dire : « Alors comme ça, votre science démontre l’innocence d’Untel ? » Il dirait qu’il n’en sait rien et que ce n’est pas son travail. En quoi il aurait tout à fait raison. En revanche, il aurait tort d’affirmer de manière catégorique qu’un résultat météorologique ne peut en aucune façon être utilisé, comme un élément, dans un raisonnement d’avocat.
Venons-en maintenant aux arguments en question. Dans l’espace de cet article, je n’en traiterai qu’un seul, celui qui utilise le Big-Bang. Nous verrons comment les données scientifiques s’y insèrent.
1/ S’il n’y a pas de Dieu, alors l’Univers est éternel [axiome philosophique].
2/ Or, d’après l’astrophysique, il est très probable que l’Univers ne soit pas éternel [donnée de la science].
3/ Donc il est très probable qu’il y ait un Dieu.
Ce raisonnement est logiquement valide, ce qui veut dire que si vous acceptez les deux premières propositions, la conclusion s’ensuit. Il convient donc de les examiner.
La proposition n°1, que B&B tiennent pour évidente, est proprement philosophique ; aucune science en effet n’a jamais formulé ni ne formulera jamais une affirmation de ce genre. Ce qui fait de leur argumentation une argumentation philosophique implicite. On peut l’expliciter de la manière suivante : si l’on définit l’Univers comme la totalité de la réalité spatio-temporelle, et si l’on affirme qu’il n’existe rien d’autre que l’Univers (ce qui est la définition même de l’athéisme), on est contraint d’affirmer que l’Univers n’a pas de commencement radical. Autrement dit qu’il est éternel. Pourquoi ? Eh bien parce que si l’Univers avait un commencement, il faudrait lui trouver une cause, en vertu du principe métaphysique selon lequel « du néant, rien ne sort » (ex nihilo nihil) ; or, cette cause, ne pourrait être ni matérielle, ni spatiale, ni temporelle – elle ferait sinon partie de ce qu’elle serait censée causer – ce qui est absurde. Bref, si l’Univers avait un début radical, on serait conduit à poser l’existence d’une première cause immatérielle, atemporelle et non spatiale, infiniment puissante… Ce qui ressemble beaucoup, reconnaissons-le, à la définition philosophique de Dieu. Si donc l’on accepte le principe selon lequel tout ce qui commence d’exister a une cause, on peut donc accepter la proposition n°1.

La science entre en scène
On passe alors à la proposition n°2, et c’est là que B&B font entrer la science en scène. Ils estiment, en effet, avec une certaine plausibilité, que l’astrophysique relativiste – autrement dit la théorie du Big-Bang – nous donne de bonnes raisons de penser que l’Univers n’est pas sempiternel, mais qu’il a eu un début radical. En soulignant « radical », on veut insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un début à l’intérieur de l’espace-temps, comme le début de votre existence ou de celle du Soleil, mais le début de l’espace-temps lui-même. Autrement dit, le commencement en deçà duquel il n’y a, pour la science, plus rien à connaître, puisqu’il n’y a pas d’avant. Si, de fait, la science prouve bien une chose pareille, alors la proposition n°2 est vraie, le raisonnement fonctionne et la conclusion s’ensuit. On remarque au passage que la conclusion d’un tel raisonnement n’invoque pas Dieu comme un « bouche-trou » pour combler une lacune de la connaissance scientifique, mais au contraire comme quelque chose que la philosophie estime probable, à la lumière même de connaissances scientifiques. Je précise au passage qu’il existe, par ailleurs, des arguments purement philosophiques à l’appui de la proposition n°2 (que B&B évoquent d’ailleurs dans un chapitre spécifiquement philosophique).

Deux sortes d’objections
Évidemment, deux sortes d’objections sont possibles : certains – peu nombreux – mettront en cause la proposition n°1, en essayant de nier le principe « ex nihilo nihil » ou en prétendant qu’une chose peut « se créer elle-même ». Pistes pour le moins hardies, voire désespérées… D’autres, et cette fois-ci la discussion est beaucoup plus épineuse, discuteront la proposition n°2 : ils affirmeront que le Big Bang n’apparaît comme un début radical que dans les équations de la relativité générale, dont on sait qu’elles ne décrivent pas adéquatement le réel en deçà du « Mur de Planck » (10-43 s). Ils ajouteront que la théorie qui, un jour peut-être, unifiera la gravité et physique des particules (théorie des cordes ou théorie de la gravité quantique à boucles) pourrait fort bien montrer que le Big Bang n’a été qu’une transition de phase avec un état précédent de la matière. Donc pas un commencement radical. Cela étant, la théorie de la relativité n’est pas le seul élément scientifique à l’appui de la prémisse n°2 : la thermodynamique va dans le même sens, et rend extrêmement peu probable une chaîne causale infinie dans le passé. Si, en effet, l’Univers n’avait pas eu de commencement radical, il devrait déjà se trouver dans un état de mort thermique – ce qui n’est pas le cas. Ergo…Certains scientifiques, toutefois, invoqueront une « autre physique », de l’autre côté du Big-Bang, pour essayer de contourner la contrainte thermodynamique…
Pour conclure, je crois qu’il faut reconnaître une chose : une chaîne ne valant que ce que vaut son maillon le plus faible, les raisonnements philosophiques qui comportent une prémisse assise sur les sciences, surtout dans des domaines encore en construction, souffrent d’une fragilité due au caractère incomplet et révisable des théories. Mais à mon avis, et même si je préfère les arguments purement philosophiques, les éléments scientifiques exploités par B&B sont solides et confèrent un bon niveau de probabilité à leurs conclusions. Mais, encore une fois, sauf à heurter la communauté scientifique inutilement, il faut admettre sans barguigner qu’il s’agit de conclusions philosophiques. On comprend alors toute la force de l’ouvrage.

Frédéric Guillaud*

*Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie, a publié Dieu existe. Arguments philosophiques (Cerf, 2013) et Catholix reloaded. Essai sur la vérité du christianisme (Cerf, 2015).

© LA NEF n°344 Février 2022