La CIASE a répondu le 7 février dernier à la note de l’Académie Catholique de France sur son rapport du 5 octobre 2021. Brève analyse de cette réponse.
Pour qui douterait encore de l’existence, au sein de l’Église de France, d’un conflit de haute intensité opposant différentes sensibilités religieuses, il lui suffirait, pour lever ses doutes, de prendre connaissance des toutes dernières répliques provoquées par le tsunami qu’a été la publication, le 5 octobre 2021, du rapport de la CIASE sur les abus sexuels. On sait que, à la suite de cette publication, huit membres de l’Académie catholique de France ont, dans une note diffusée en novembre 2021, critiqué plusieurs aspects de ce rapport, en particulier l’estimation du nombre de victimes par l’IFOP, la question de l’origine des abus ou encore les propositions en matière de réparation. Or, le 7 février 2022, la CIASE vient de répliquer à cette critique de l’Académie et il est peu de dire que la réplique étonne par le caractère inhabituellement violent du ton employé, par l’argument d’autorité fréquemment brandi et par la volonté de déconsidérer les auteurs de la note.
Mais passons sur la forme et venons-en au fond, en particulier à deux questions clés évoquées par la CIASE, la première portant sur l’estimation par l’IFOP du nombre de victimes, la seconde sur le nombre anormalement élevé des abus dans l’Église par rapport aux autres milieux de socialisation.
S’agissant de l’estimation de l’IFOP (330 000 victimes entre 1950 et 2020, dont 216 000 par des clercs ou religieux), les éléments fournis par la CIASE, qui a fait appel à un professeur au Collège de France (François Héran) et à un collège de cinq experts statisticiens, aident à comprendre comment cet institut de sondage a opéré. C’est à partir d’un panel de 760 000 personnes payées modestement mais régulièrement par des instituts de sondage pour répondre à des enquêtes (l’« access panel ») que 28 000 d’entre elles ont été sélectionnées pour participer à l’enquête sur les abus sexuels dans l’Église et 171 ont déclaré avoir été victimes de ces abus (dont 118 par des clercs ou religieux). L’IFOP a alors extrapolé ces chiffres par une simple règle de trois et en tenant compte de la population française de plus de 18 ans au 1er janvier 2021 (environ 51,4 millions). Certes, le collège des cinq experts a admis qu’il ne disposait d’aucune information sur la manière dont le panel access avait été constitué, de sorte qu’il ne pouvait pas exclure un risque de « biais d’estimation ». Toutefois, il a précisé que les méthodes suivies pour conduire l’enquête, redresser et exploiter les résultats « avaient été globalement conformes aux meilleures normes professionnelles et scientifiques en vigueur ». Quant à François Héran, celui-ci a confirmé que la « CIASE ne pouvait choisir équipe plus expérimentée que celle de l’Inserm-Ifop pour mener au mieux l’enquête générale de victimation ». Ainsi, s’il est exclu de parler de certitude en la matière, il semble en l’état difficile de contester toute plausibilité à l’estimation de l’IFOP.
En ce qui concerne le nombre anormalement élevé des abus sexuels dans l’Église par rapport aux autres milieux de socialisation (école, clubs sportifs,… ), la CIASE a dénoncé – exercice obligé – le cléricalisme et le dévoiement de la conception catholique du sacerdoce. Mais, afin de démontrer que le chiffre de 216 000 victimes de clercs était compatible avec celui de 3 000 clercs mis en cause (soit 63 victimes par auteur), elle a, dans le même temps, attiré l’attention sur la surreprésentation, au sein du clergé, des pédocriminels attirés par les adolescents de sexe masculin et sur l’extrême dangerosité de ces individus. Les propos de la CIASE méritent d’être cités intégralement : « La Commission a constaté que la revue de la littérature scientifique internationale effectuée par la Haute Autorité de santé donnait du crédit à un nombre très élevé de victimes mineures, lorsque l’agresseur est un homme et la victime un jeune garçon : le nombre de 150 (cent cinquante !) victimes par auteur est ainsi étayé sur des échantillons très importants, alors que le nombre de victimes pour un agresseur de l’autre sexe ou un agresseur incestueux est beaucoup plus faible. La CIASE a été d’autant plus encline à prendre en considération ces références que les caractéristiques des violences sexuelles dans l’Église (agressions commises par des hommes sur des enfants de sexe masculin à hauteur de 78,5 % contre 25,8 % lorsque l’agresseur n’est pas membre du clergé) présentaient une très grande similitude avec les profils des agresseurs répertoriés dans ces études. »
Ainsi, et indépendamment des autres sujets de désaccords, la réplique de la CIASE vient confirmer, peut-être malgré elle, ce que beaucoup pressentaient, à savoir que l’ampleur des abus sexuels dans l’Église avait une cause moins théologique que personnelle (le profil particulier d’un certain nombre de ses clercs et religieux). Il appartiendra à l’Église, dans l’avenir, d’en tirer toutes les conséquences.
Jean Bernard
© LA NEF le 24 février 2022, exclusivité internet