Les médailles de Jacques et Raïssa Maritain et Véra Oumançoff de Charles Auffret © DR

Médaille Maritain du sculpteur Charles Auffret (1929-2001) : les vicissitudes de la prise en charge de la médaille

La rencontre entre Mme Antoinette Schlumberger-Grunelius- parente des Maritain- et le sculpteur eut lieu à Paris le 29 janvier 1983, dans l’atelier du 93 rue Compans, en début d’après-midi, vers 15 heures, afin que la lumière naturelle éclairât encore suffisamment les lieux pour la saison. Mme Grunelius, venant de Kolbsheim, s’était faite accompagner de Mr et Mme Jean Mouton, de Paris, amis de longue date de ses oncle et tante. Faute de pouvoir nous rendre jusqu’en Alsace début 1984, et afin qu’il reçoive l’artiste qui se proposait de lui montrer en plâtre l’état définitif de la médaille – avers et revers – avant de la livrer à l’Hôtel de la Monnaie, nous prîmes rendez-vous avec Mr Mouton. Mme Grunelius lui avait en effet demandé de suivre l’affaire du point de vue artistique.

Ce fut le 16 janvier 1984, rue des Saints-Pères, au domicile de cet hôte, une scène analogue à celle qui s’était déroulée trois ans plus tôt, à l’atelier avec Mme Cadou.

Mr Mouton, assis au bout d’un divan placé tout près de l’embrasure d’une fenêtre haute de son appartement, examina soigneusement revers et avers, le buste bien appuyé au dossier. Il considéra d’abord à loisir l’avers en l’orientant de diverses façons pour le placer sous son meilleur jour. Il trouva que le modèle traduisait bien « le regard humide de Jacques » – ce fut son expression – Avec Véra, le revers, il jugea le modelé également bon.

Après un long silence, une observation de nouveau attentive des plâtres qu’il reprit tour à tour en main, il finit par dire : « c’est bien eux, c’est tout à fait cela » (extrait d’une lettre à Mme Grunelius-en date du 24 janvier-qui lui donnait relation de cette visite).

Une médaille n’est pas dans l’ordre de la ressemblance, une photo, qui n’est qu’un instantané, mais, si elle est une œuvre véritable, si elle est réussie, c’est tout autre chose, c’est une vie. Jean Mouton, auteur de livres estimés sur des peintres, ancien attaché culturel d’ambassade, le savait fort bien. La vie avec le revers mieux qu’avec l’avers, il l’avait vue. Au départ, cette médaille devait être prise à la frappe par l’Hôtel des Monnaies et être diffusée dans le cadre de sa collection générale. Le directeur Pierre Dehaye, en avait donné l’assurance au sculpteur, quand survint une célèbre élection présidentielle. Peu de mois plus tard, un nouveau directeur fut nommé qui rapporta la décision de frappe ou, du moins, ne voulut pas donner suite à l’engagement de son prédécesseur. Ce fut une catastrophe pour le sculpteur et un désastre en lui-même car peu de temps après cette médaille, le sculpteur mourut et son travail dans la discipline en question fut un chef-d’œuvre.

La frappe n’étant plus à l’ordre du jour, il fut alors décidé à brûle-pourpoint de réaliser une fonte de prestige à tirage limité. Peut-être pour le rayonnement de cette œuvre fut-ce finalement une chance, car une médaille fondue a rang d’œuvre d’art moins une frappe. Si bien qu’elle fut placée non seulement en France, mais aussi en Italie et aux États-Unis. La frappe n’eut pu atteindre une diffusion de ce niveau. Elle aurait tout au plus été un objet de notoriété – ce que du reste est toute frappe – mais pas davantage. Pour la petite histoire, la fonte fut quand même confiée à l’Hôtel des Monnaies. L’idéal, évidemment, c’eût été à la fois la frappe pour la notoriété et la fonte pour le prestige.

Cette médaille du centenaire (Raïssa, née le 12 septembre 1883 à Rostov sur le Don, décédée en 1960 ; Jacques, né le 18 novembre 1882 à Paris, décédé en 1973 ; Véra née le 9 juillet 1886 à Marioupol, décédée en 1959) fut donc finalement fondue à 15 exemplaires numérotés de 1 à 15 et livrés par l’Hôtel des Monnaies en décembre 1984. Les premiers exemplaires furent placés aussitôt. Cette médaille de 150 mm de diamètre ne comporte qu’une seule fois le patronyme. Au revers profil de Véra sans son patronyme propre. Sœur de Raïssa, elle gérait la maisonnée Maritain. Véra mérite tout à fait qu’on lui applique la réflexion de Georges Bernanos : « les petites choses ont l’air de rien mais elles donnent la paix. C’est comme les fleurs des champs. On les croit sans parfum et toutes – ensemble – elles embaument. » C’est Véra qui embaume la médaille.

Voici ce que nous en disions dans le numéro 57 de la Société des Sciences et Lettres du Loir et Cher après le décès du sculpteur.

Sur les 15 médailles :

Il y en a exactement 4 en Italie. La médaille numéro 1 fut offerte au Pape Jean-Paul II par une vingtaine de donateurs. Mgr Felici la reçut en main propre, à la Nonciature, le lundi après-midi du 25 janvier 1985. Il indiqua à l’intermédiaire qui la lui avait apportée qu’elle serait sur la table du pape le vendredi suivant, c’est-à-dire le 29 au matin (soit deux ans jour pour jour après la première rencontre de concertation à l’atelier, rue Compans).

La deuxième fut offerte au sculpteur, une autre à l’évêque de Blois pour un anniversaire ecclésiastique.

Il y en a 2 aux États-Unis. L’une fut souscrite par le Dr Gallagher, grand spécialiste outre-Atlantique du philosophe, l’autre par Anthony O.Simon, filleul de Véra.

Les 9 autres sont en France.

Liste des médailles frappées à l’Hôtel de la Monnaie

– Théodore Géricault, peintre -1966

– Pierre-Paul Prud’hon, peintre -1967

– Charles Malfray, sculpteur -1967

– Jean Follain, poète – 1968

– Charles du Bos, écrivain et critique français – 1969

– Camille Claudel, sculpteur – 1969

– Paul Cornet, sculpteur – 1973

– médaille ITB (Institut Technique de Banque) – 1980

– Eugène-Antoine Durenne – 1980

– René-Guy Cadou, poète – 1981

Liste des médailles fondues

– Gaston Bachelard – 1961

– Repos -1975 – fonte monoface représentant une femme nue endormie.

– Georges Ducellier – 1975

– Pierre Laprade – 1976

– Médaille de prestige du Centre International de la Formation Bancaire – 1980

– Joseph Dupleix – 1981

– Raïssa et Jacques Maritain – 1984

– Joseph Samson – 1997

– Lucien Mainssieux – 1999

Yves Auffret

© LA NEF le 24 février 2022, exclusivité internet