Traditionalistes vs progressistes : des responsabilités égales ?

Régulièrement, à l’occasion des soubresauts de l’actualité religieuse, cette problématique revient, sur fond de culpabilisations respectives.

Dans la présente crise de l’Église, qui n’en finit pas de durer, il est fréquent que soit fait le procès moral des traditionalistes, ennemis du progrès, têtes dures, rebelles et anarchistes. Dans le meilleur des cas, s’il est concédé que les progressistes ne sont pas tristes non plus, et qu’ils n’ont pas peu de part en cette crise, il est souvent avancé qu’au fond, c’est un beau match, où les uns valent bien les autres, dans une responsabilité partagée d’un désordre communément entretenu. Ce seraient Adam et Ève se renvoyant mutuellement la responsabilité de leur péché commun.

Cette vision, en réalité, procède d’une méconnaissance de l’histoire car, non, les responsabilités ne sont pas égales. Elles ne l’ont jamais été. La balance, en effet, n’est jamais égale entre ce qui cherche à détruire, pour la promotion d’une vision de l’Église inspirée par l’esprit du monde, et ce qui cherche à la défendre pour qu’elle demeure ce qu’elle a toujours été. Les progressistes ont apporté la ruine ; les traditionalistes ont résisté pour l’éviter. De quelque couleur qu’on veuille les peindre, et quels qu’aient été leurs erreurs et leurs défauts, cela ne change rien. Ainsi est l’histoire de cette balance, déséquilibrée, devant Dieu et devant les hommes.

Il en est ainsi du rapport de leurs comportements respectifs comme il en est du rapport de la tradition et du progressisme eux-mêmes, auxquels s’attachent respectivement les uns et les autres.

À cet égard, il est difficile de ne pas faire siens ces mots du vénéré P. Arintero (1860-1928), auquel on ne peut assurément pas reprocher d’avoir ignoré ce que « progrès » ou « évolution » voulaient dire. Il s’exprimait ainsi en 1909, en pleine période moderniste : « De nos jours, il est très important de mettre tout en œuvre pour favoriser l’étude de la tradition, afin d’être en mesure de bien distinguer les traditions légitimes – que nous devons apprécier comme des trésors du ciel – de celles qui sont illégitimes et nous causent tant de dommages » [1].

Plus de cinquante ans après la réforme liturgique, ce ne serait pas une mauvaise idée de s’adonner à cette tâche, afin de faire le bilan des progrès utiles, mais aussi des médiocrités qu’il serait sage, voire urgent d’abandonner.

Le P. Arintero ajoutait : « L’esprit traditionaliste, dans ses justes limites et son véritable sens [NB : ce qui indique la mesure qu’il faut aussi avoir en ce domaine], n’est pas simplement bon et saint, il est nécessaire. Sans lui, le progrès serait impossible. Celui-ci consiste à conserver et non pas à perdre ni à mettre en péril, mais à accroître dans la mesure du possible le bien déjà acquis, éprouvé et consolidé. Or on ne peut conserver ce dernier sans lui vouer un grand amour. Comme celui-ci n’est pas infaillible, il vaut mieux qu’il pèche par un certain excès que par défaut, parce que ce défaut expose à risquer ce qui, étant irremplaçable, a beaucoup de valeur, alors qu’un petit ou un apparent excès d’amour de la tradition, en même temps qu’il maintient fermement tout ce qui a été acquis de bon, permet que le cours du progrès lui-même avance avec ordre et sécurité ; il l’empêche de dérailler et de prendre une orientation néfaste. »

Voilà des paroles fort sages, qui venaient établir, en pleine tourmente, une juste mesure entre traditionalisme et progressisme. 

L’exactitude de cette mesure n’a pas été démentie depuis lors, dont il résulte qu’un traditionalisme bien ordonné sera toujours préférable à n’importe quel progressisme, lequel est par nature aventureux et destructeur.

Patrick Poydenot


[1] Desenvolvimiento y vitalidad de la Iglesia, vol. III.

© LA NEF le 24 février 2022, exclusivité internet