John Knox © Wikimedia

John Knox : Un réformateur écossais

Homme des entreprises audacieuses et des revers, doté d’une rigueur de dialecticien au service de la certitude, John Knox (v. 1513-1572) a été ce disciple fervent de Calvin qui a ouvert la voie, chez lui, à l’établissement du presbytérianisme.

Pays des bourbiers et des landes pluvieuses, l’Écosse, au milieu du XVIe siècle, évoquait encore une terre désolée, lointaine et assez farouche, terre parcourue de bandes errantes, terre où les antagonismes de clans entretenaient une agitation perpétuelle – quoique dans les villes de l’est et du sud se rencontraient, outre des écoles florissantes, une bourgeoisie industrieuse et un commerce actif qui commençaient à y bâtir en pierre. Résidence royale, siège de la justice et du gouvernement, Édimbourg d’ailleurs, peuplée de trente mille habitants, disposait d’une grand-rue qu’on admirait pour sa largeur et son pavage… Mais, à la campagne, le délabrement des lieux de culte était général.

À l’origine
Or un tel déclin reflète celui de l’institution. Ainsi que l’avoue le synode provincial de novembre 1549, les deux causes et racines principales du malaise ou du mal-être sont la corruption des mœurs chez les ecclésiastiques de presque tous degrés et leur ignorance crasse des arts libéraux. Après quoi le synode de janvier 1551-1552, constatant derechef que le gros du clergé a trop peu d’instruction pour enseigner la foi, recommande aux desservants de ne pas monter en chaire sans s’être entraînés à la lecture. Car, chose grave, et bien davantage que les grimaces de la satire, et d’une portée qui touche aux fondamentaux, s’enfle maintenant et hausse le ton une harcelante critique. Face à une Église dont les collégiales, abbayes, monastères accaparent les revenus de paroisses misérables ; dont les prélats et autres dignitaires amoncellent prébendes et scandales au détriment des tâches éducatives et pastorales ; dont les gestes perdent leur aura en perdant leur sens. Dès lors, si le sacré désertait ses anciens supports (l’autel qui le préserve, l’hostie qui l’incarne, le prêtre qui la donne, la hiérarchie qui valide l’onction) et pouvait se découvrir sans médiation, qu’adviendrait-il du catholicisme ?
Étudiant à l’université de Saint Andrews jusqu’au grade de maître exclusivement, ordinand en 1536 et engagé dans l’administration et le tutorat, Knox apparaît en 1540 en sa qualité de prêtre (« schir » John Knox) dans des affaires de transaction entre fermiers. Déjà il s’est constitué un arsenal d’autorités et de références patristiques et profanes, a compulsé histoires et chroniques, surtout se plonge dans la Bible qui va orienter toute sa pensée. Laquelle, vers 1547, aura tracé les grandes lignes d’une théologie invariable, jointe à une agressivité oratoire, à une rigidité doctrinale forgées pour défier les épreuves (comme ses dix-neuf mois à ramer, prisonnier des Français, sur les galères d’Henri II).

L’Angleterre
Libéré en février 1549, l’Angleterre hospitalière lui convient mieux que l’Écosse où le comte d’Arran, régent au lendemain de la mort de Jacques V, s’apprête à laisser sa place à Marie de Guise, veuve du souverain – Angleterre de l’enfant Edouard VI et de Cranmer, archevêque de Canterbury, qui l’emploie au service de la Réforme, l’élève au rang de chapelain royal, lui permet de prêcher à Windsor et à Hampton Court. Ce fut pour lui une période d’exaltation et de prestige, étouffée avec le décès (redouté) d’Edouard et l’accession au trône de sa demi-sœur Marie Tudor en juillet 1553 (comparée un peu plus tard à Athalie et à Jézabel par un homme résolu à souffrir plus que la pauvreté ou l’exil, bref, à demeurer simple soldat et porte-étendard d’une religion céleste).
De Dieppe, son premier refuge, John Knox allait se transporter à Genève, la quitter, y revenir en mars 1555 quand triompha le parti de Calvin, puis soudain, « à la fin des moissons », surgir à Édimbourg. On se pressa autour de lui. On l’accueillit dans les provinces. Et il put, en des maisons privées, célébrer la cène. Même, dix jours durant, prêcher à l’intérieur du palais épis­copal de Dunkeld. Pourtant, à l’été 1556, Genève, cette « parfaite école du Christ », l’avait retrouvé tandis qu’en Écosse, aussitôt envolé, l’Église catholique le brûlait en effigie. Néanmoins, à la fin de 1557, sollicité une fois de plus, et guettant à Dieppe la chance d’un bateau, loupage complet et retour sur les bords du Léman. Que rachetèrent à pic deux textes de 1558 : un Appel à la noblesse et aux états et une Lettre à la Communauté d’Écosse, respectivement adressés aux lairds (pour qu’ils convoquent les évêques et le clergé devant eux et le peuple et que Dieu juge par sa Parole) et à ses « chers frères bien-aimés » pour leur demander de prendre en main la réformation.

La réformation
Cette dernière s’organisait, s’étendait, se durcissait. Se heurtait aussi à la régente. Accompagnée, sous les yeux de Knox, réapparu dans Édimbourg le 2 mai 1559, de « monuments d’idolâtrie supprimés et habitudes superstitieuses abolies ». Conseiller, interprète, secrétaire de la coalition protestante ou « Congrégation », il a mission de traverser le pays, d’exhorter, de communiquer les mots d’ordre. Mais la régente déposée puis restaurée, la Congrégation tenue en échec et sa tête mise à prix, rôde le découragement – qu’anéantit son roboratif sermon de Stirling. Au reste, avec l’intervention d’Élisabeth, nouvelle reine d’Angleterre, la mort de la régente et le départ du corps expéditionnaire français qui la soutenait, changement de décor ! Une assemblée requiert, dans un style knoxien, l’abandon d’« erreurs pestilentielles » comme la transsubstantiation, l’adoration de l’hostie, le salut par les œuvres, les indulgences, le purgatoire, les pèlerinages, la prière aux saints. En août 1560 sont votées (sans résistance des évêques) une Confession de foi et plusieurs lois qui interdisent la messe et abrogent la juridiction du pape. La Kirk ou Église d’Écosse, moins Église d’État qu’Église de citoyens, avant d’achever sa structure organique et d’être munie des moyens matériels de sa subsistance, obtient ainsi sa reconnaissance officielle.

Marie Stuart
Ladite structure organique, plus précisément les statuts de l’Église naissante attendit la promulgation du Livre de Discipline (1561) et ses éclaircissements sur les deux sacrements, dépouillés de tout apparat : l’eau pour le baptême, le pain et le vin pour la cène. Knox, quant à lui, s’il a refusé une fonction de surintendant, garde un rôle éminent, ministre de Saint Giles dans la capitale. Mais voilà Marie Stuart, fille de Jacques V, veuve à dix-huit ans de François II, et catholique obstinée, qui est arrivée en son royaume écossais. L’exercice de la religion réformée ? Elle ne veut pas le troubler. Les cérémonies du culte auquel elle appartient ? Elle accepte leur caractère resserré… et se permet à sa chapelle d’Holyrood l’assistance à la messe. Grande irritation de Knox, mandé au château le 4 septembre 1561, qui clôt l’entretien par une longue diatribe contre l’Église romaine, « prostituée, mère de toutes les fornications spirituelles ». De John Knox ulcéré de voir la noblesse moins occupée au redressement moral qu’aux divertissements et revenu devant la reine le 15 décembre 1562, puis à deux reprises en 1563, drapé du manteau des prophètes hébreux et répondant, menace à la bouche, au projet monstrueux qu’elle a formé de choisir « un époux d’entre les infidèles ».
Chef intraitable de l’opposition, il n’avait jamais aspiré au pouvoir malgré son ascendant naturel, ni rêvé d’une théocratie dont il serait l’oracle. En 1564 la Kirk vivait très chichement, les anciens meneurs de la Congrégation, taxés de tiédeur, ne s’en préoccupaient guère, et, au surplus, la maladie, l’âge, l’usure du travail l’assombrissaient. Également, en 1565, la crainte que l’ingrate Écosse, plus prodigue, grinçait-il, d’athées que de papistes consommés, retourne à sa vomissure. Par suite, spectateur d’événements qui lui échappent, le Retrait, non la retraite (il prêchera le sermon quand la couronne fut posée un instant, le 29 juillet 1567, sur la tête du petit prince Jacques en faveur duquel sa mère – dont il réclame le jugement comme adultère et criminelle – était contrainte d’abdiquer), l’emporte peu à peu. Dans ce pays en proie aux règlements de comptes et aux troubles sanglants qui l’obligeraient en 1571 à descendre de sa chaire de Saint Giles et à sortir d’Édimbourg. Où il rentre en août 1572, trois mois avant d’expirer.
Somme toute, vivant et agissant au sein d’une société accoutumée à la violence mais tenant à la légalité, Knox a distingué la rébellion issue d’intérêts « charnels » ou « mondains » et la désobéissance nécessaire si la volonté du monarque contrevient à la loi de Dieu. En conséquence, l’Écosse, selon un mot de Marie Stuart, ne pouvait les contenir tous deux.

Michel Toda

Pour aller plus loin, voir John Knox (v.1513-1572), réformateur écossais, de Pierre Janton, Cerf, 2013, 378 pages, 30,80 €.

© LA NEF n°340 Octobre 2021, mis en ligne le 1er mars 2022