Jean-Marc Sauvé © Conseil d'État-Wikimedia

La réponse de la CIASE à l’ACF

La CIASE a publié le 7 février dernier une réponse de plus de cinquante pages à la note critique que l’Académie Catholique de France (ACF) avait adressée en novembre 2021 au rapport Sauvé. Analyse de la réponse de la CIASE.

Si les travaux de la CIASE constituent une indéniable somme documentaire de référence (à noter en particulier l’excellent travail de l’EPHE) sur ce fléau et si la gravité de ce qui s’est passé n’a été remise en cause par personne, quelques (rares) voix se sont élevées pour appeler à une lecture nuancée de ces travaux qui étaient accueillis par beaucoup comme le cinquième Évangile. Mais c’est la réaction de l’Académie Catholique de France (ACF) qui a été largement médiatisée et a forcé la CIASE à préparer une réponse argumentée qui est analysée ici sur les aspects essentiels.
Le premier grief de l’ACF était d’avoir jeté en pâture à la population un chiffre qu’elle estimait hautement contestable de 330 000 victimes. « Des chiffres surévalués ? C’est totalement faux, a répondu Jean-Marc Sauvé, président de la CIASE à France Inter le 14 février, ces chiffres ont été contestés parce qu’ils dérangeaient et pas parce qu’ils étaient faux. » Or, pour répondre à cette objection, la CIASE a missionné une revue indépendante qui a finalement affirmé qu’il n’était pas possible de conclure sur les chiffres : « On ne peut pas assurer qu’il n’existe pas un biais significatif affectant ces estimations. C’est la phase d’access panel qui empêche d’apporter une conclusion totalement rassurante. Cependant, a contrario, on ne peut pas affirmer non plus que les estimations produites sont éloignées des vraies valeurs ».
Je rejoins volontiers cette position : il n’est pas possible dans l’état actuel des connaissances d’infirmer ou de confirmer les chiffres annoncés. La CIASE n’a pas fourni les éléments suffisants – même au groupe statistique : « En conclusion, la critique éventuelle qui peut être retenue en termes de biais de sélection porte à peu près exclusivement sur la formation de l’access panel, au sujet duquel nous redisons que, malheureusement, on ne détient à peu près aucune information » – non pas à cause de la taille de l’échantillon comme certains ont pu le dire, mais en raison des biais liés aux panélistes choisis et aux biais de réponse éventuels.
Le second grief de l’ACF concernait l’attribution du qualificatif « systémique ». Dans cette réponse, sans le dire ouvertement, la CIASE réduit significativement la portée du phénomène systémique telle qu’elle était exprimée dans le rapport du 5 octobre 2021, en la décrivant comme une « passivité prolongée » (cf. § 2 a) face au phénomène et abandonne l’idée de « composantes structurelles » du § 1091 du rapport Sauvé. Ceci va donc dans le bon sens et appelle à des recommandations plus adaptées, comme au § 2c : « L’établissement de cartographies des risques et les systèmes d’assurance qualité ou d’amélioration continue de la qualité sont des systèmes internes aux institutions qui décident elles-mêmes de se saisir de leurs dysfonctionnements pour les faire cesser. » Ainsi, la CIASE appelle à généraliser et pérenniser des mesures de bonne gouvernance pour lutter contre le fléau, et non point à remettre en cause certains éléments fondamentaux de l’institution (la doctrine du péché, l’institution du sacerdoce…) comme on a pu le lire dans certaines analyses et recommandations du rapport Sauvé.
Il y a malheureusement un point sur lequel la CIASE n’a pas évolué, c’est lorsqu’elle ignore ce qui s’est passé depuis vingt ans. Nulle part il n’est écrit que la « passivité prolongée » a cessé depuis la fin des années 1990 (à noter en particulier l’action novatrice du cardinal Ratzinger en la matière), ce qui est pourtant l’évidence même.
En conclusion, la réponse de la CIASE à l’Académie Catholique de France, malgré le discours de façade vindicatif de son responsable et de ses laudateurs, ouvre plutôt le chemin à une relecture apaisée des travaux, que ce soit en ce qui concerne les chiffres qui méritent encore un important travail de revue critique statistique et historique, et surtout en abandonnant les ambitions démesurées de réformes structurelles de l’Église qui étaient contenues dans le rapport du 5 octobre.

Ludovic Benoît*

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© LA NEF n°345 Mars 2022