Manifestation franquiste à Salamanque en 1937 © Biblioteca Virtual de Defensa-wikimedia

Pío Moa, l’Histoire comme antidote à la propagande

GUERRE D’ESPAGNE 1936-1939

Ancien militant du Parti communiste espagnol reconstitué (PCEr), membre fondateur du GRAPO, mouvement maoïste, résistant et terroriste, durant les dernières années de la dictature franquiste, retiré de toute activité politique, s’affichant comme démocrate et libéral depuis plus de quarante ans, Pío Moa est devenu un des auteurs les plus célèbres de son pays. Ignoré en France, il est au centre de toutes les polémiques et constitue le phénomène culturel de la péninsule où ses livres sont des best-sellersSon effort, honnête et désintéressé, de réinterprétation de l’histoire de la IIe République espagnole, des origines, des développements et des conséquences de la guerre d’Espagne, notamment à partir des archives de la Fondation socialiste Pablo Iglesias, est de notoriété publique le plus réussi des vingt dernières années.

Remarquable ouvrage de synthèse, Les mythes de la guerre d’Espagne 1936-1939, vendu en Espagne et dans les pays hispanophones à plus de 300 000 exemplaires, vient d’être publié dans une version actualisée et complétée aux Éditions L’Artilleur (mars 2022). Nous avons interrogé l’auteur, Pío Moa, à l’occasion de la parution française de ce livre-événement. (1)

Arnaud Imatz : La guerra civil española (GCE) ou la guerre d’Espagne, comme on dit en France, est l’un des lieux privilégiés du mensonge. On a répété ad nauseam qu’elle a été la conséquence de l’action néfaste de Franco ou pour le dire plus « savamment » le résultat de l’agression de l’Armée, de l’Église catholique et de la Banque contre le Peuple, la Démocratie et la République. Dans vos travaux et recherches, vous démontrez que c’est au contraire le mouvement révolutionnaire et l’effondrement de l’État et de la démocratie qui ont entraîné le soulèvement de juillet 1936. Comment êtes-vous parvenu à cette conclusion alors que vous étiez dans votre jeunesse un activiste antifranquiste, militant de l’extrême-gauche marxiste ?

Pío Moa : Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Franco a été le dernier à se rebeller contre la république. Avant cela, les socialistes, les anarchistes, les républicains de gauche (à commencer par le président du conseil des ministres Manuel Azaña), les séparatistes catalans et basques, et le militaire de droite Sanjurjo l’avaient fait. Le président de la république Alcalá-Zamora, un homme politique de la droite modérée a également saboté la politique des droites du fait de son complexe d’infériorité. Rien n’est plus faux que la rengaine « le peuple contre l’Église, etc. ». Le peuple a voté massivement à droite en novembre 1933. Et c’est alors que la gauche a décidé de se lancer dans l’insurrection armée. Quand j’étais jeune, j’étais marxiste. Je considérais les erreurs et les crimes qui s’étalaient aux yeux de tous comme des conséquences passagères d’une grande épreuve historique, qui ne pouvait pas être parfaite, et qui serait surmontée. En étudiant les contradictions du marxisme, notamment à partir de la théorie de la baisse du taux de profit, j’ai conclu qu’à partir d’erreurs fondamentales dans la conception théorique on ne pouvait déboucher que sur des erreurs et des pratiques criminelles, et que celles-ci n’étaient pas fortuites ou le produit de l’inexpérience.

A.I. : Pourquoi donnez-vous tant d’importance à la tentative de révolution socialiste de 1934 dans les origines et les antécédents directs de la GCE ?

P.M. : La révolution socialiste et séparatiste catalane d’octobre 1934 se présentait ouvertement et explicitement comme une guerre civile visant à détruire la république « bourgeoise », à imposer une république communiste et, si nécessaire, la sécession de la Catalogne. Ceci est absolument documenté, c’est pourquoi il y a eu un énorme effort pour le dissimuler de la part d’une historiographie propagandiste généralisée, mais sans la moindre rigueur ou valeur sérieuse.

A.I. : Existait-il un danger fasciste dans l’Espagne des années trente ?

P.M. : Il n’y avait pas de danger fasciste. Le dirigeant du PSOE, Francisco Largo Caballero et son mentor intellectuel Luis Araquistáin, l’ont dit eux-mêmes. Ils l’ont dit en dehors de l’Espagne. À l’intérieur, ils ont au contraire insisté sur son danger pour mobiliser les gens. Cela faisait partie de leur préparation pour la guerre civile.

A.I. : Comment la légalité républicaine et la coexistence démocratique se sont-elles définitivement effondrées en 1936 ?

P.M. : Les gauches auraient pu se modérer après avoir tiré les leçons de leur échec lors de l’insurrection de 1934. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Elles ont abordé les élections de février 1936 en annonçant ouvertement qu’elles ne reconnaîtraient pas une victoire de la droite. Ces élections ne pouvaient donc pas être normales. Et elles ont d’ailleurs été falsifiées, comme l’ont montré des études récentes très concrètes. Cette falsification a été un véritable coup d’État qui a ouvert une période de rupture complète de la légalité républicaine.

A.I. : Quelles sont selon vous les principales personnalités politiques responsables de la guerre civile ? 

P.M. : Paradoxalement, le principal responsable est le président de la république, Niceto Alcalá-Zamora, un homme de droite. En 1933, les partis de gauche et les séparatistes ont été battus dans les urnes, et en 1934, ils ont à nouveau été battus lors de leur rébellion par les armes. Le PSOE et les séparatistes auraient dû alors être mis hors la loi en attendant qu’ils aient appris la leçon. Alcalá-Zamora c’est ingénier, d’une part, à bloquer toute action efficace et, d’autre part, à abattre ceux qui avaient gagné les élections et vaincu l’insurrection. Pourquoi l’a-t-il fait ? Essentiellement à cause du complexe typique du politicien de droite qui veut passer pour un « progressiste » et s’attirer ainsi les faveurs de la gauche. Après lui, les principaux responsables sont le leader socialiste Francisco Largo Caballero et le séparatiste catalan Lluís Companys.

A.I. : Les grandes formations politiques du Front populaire acceptaient-elles la démocratie libérale et le réformisme ou cherchaient-elles plutôt à instaurer une forme de « démocratie populaire », un système collectiviste voire une « dictature du prolétariat » ? Et y avait-il vraiment des démocrates dans l’Espagne de 1935-1936 ?

P.M. : Le parti radical d’Alejandro Lerroux était démocratique, bien que corrompu. La CEDA (Confédération espagnole des droites autonomes) ne l’était pas, mais elle acceptait la légalité républicaine. Les partis de gauche voyaient la république comme un moyen d’imposer la dictature « prolétarienne », c’est-à-dire la leur ; et les séparatistes la voyaient comme un moyen de réaliser la sécession. C’est pourquoi, lorsqu’ils ont perdu les élections en 1933, ils se sont tournés vers la rébellion ouverte.

A.I. : En France, les Brigades internationales sont toujours plus ou moins décrites comme un mouvement de volontaires qui sont allés défendre la démocratie en Espagne. Jacques Chirac le disait en 2002, lors d’un hommage appuyé au colonel Rol-Tanguy, ex-brigadiste et militant communiste. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’étaient les Brigades internationales ? Pourquoi leur image souvent idyllique en Occident est à l’inverse généralement sinistre et répulsive dans les pays de l’Est ?

P.M. : Les Brigades internationales étaient une armée parallèle mobilisée par le Komintern. Elles sont évidemment très bien vues par ceux qui ont un esprit communiste ou similaire. Bien sûr, les peuples d’Europe de l’Est savent très bien où conduit le prétendu romantisme communiste ; ils ne sont pas dupes, comme nos « progressistes ».

A.I. : Pourquoi le Front populaire a-t-il été vaincu ?

P.M. : La seule force sérieuse au sein du Front populaire (qui était essentiellement une alliance de soviétistes et de séparatistes), était les communistes. Ils avaient une vraie stratégie et le soutien direct de Staline. Ils ont rapidement compris qu’il fallait une armée régulière et disciplinée et non une milice plus ou moins « folklorique ». La vérité est que le reste du Front populaire était composé de groupes disparates et bigarrés, très portés, en particulier dans le cas des socialistes, sur les vols et les chekas d’arrière-garde (Pour ceux qui l’ignorent, les chekas, du nom de la Tcheka soviétique, étaient les centres de torture – plus de 400 – organisés par les différents partis de gauche dans toutes les grandes villes). Les communistes ont dû faire face à la stupidité de leurs alliés, et les crimes qu’ils ont commis ont soulevé parmi eux de grands ressentiments. En fait, ces alliés, Manuel Azaña par exemple (qui a été nommé président de la république en mai 1936), ont saboté l’action des communistes autant qu’ils l’ont pu.

A.I. : L’historien marxiste Manuel Tuñon de Lara a longtemps été l’icône admirée et respectée des hispanistes français alors que dans le même temps l’un des plus grands spécialistes internationaux, l’historien américain Stanley Payne était victime d’une invraisemblable omerta de plus de quarante ans dans l’Hexagone (Omerta rompue seulement en 2010 avec la publication de « La guerre d’Espagne. L’histoire face à la confusion mémorielle », aux Éditions du Cerf). Pourquoi la perception de la guerre d’Espagne est-elle encore si majoritairement favorable au Front populaire dans les milieux universitaires et journalistiques français ?

P.M. : Tuñón de Lara est clairement un historien stalinien. La sympathie pour les communistes en France est explicable : d’abord, la Résistance avait été en bonne partie communiste et leur imposante propagande a permis de faire croire qu’ils avaient été quasiment les seuls à résister. D’autre part, c’est l’URSS qui a réellement vaincu le nazisme, à un coût immense. Enfin, les Français ont eu la chance de ne pas connaître les délices du communisme. C’est pourquoi beaucoup peuvent encore se permettre le luxe d’admirer le communisme stalinien, dont Tuñón est un modèle.

A.I. : Le plus grand massacre de la guerre civile a été perpétré pour des raisons essentiellement religieuses. 20 % du clergé, près de 7000 religieux et religieuses ont été assassinés. Entre 1987 et 2020, les différents papes ont béatifié pas moins de 1916 martyrs de la foi et en ont même canonisé 11. Mais pour autant, pendant la GCE des auteurs qui se réclamaient de l’humanisme chrétien, tels Bernanos, Mauriac, Maritain ou Mounier, ont critiqué sévèrement les exactions commises dans le camp national et apporté plus ou moins directement leur soutien au camp du Front populaire. Comment l’expliquez-vous ?

P.M. : Au sein de l’Église, il y a eu un courant de sympathie envers le communisme, qui a culminé lors du Concile Vatican II, avec certains « dialogues entre chrétiens et marxistes » qui ont été très dommageables à l’Église. Je pense qu’il y avait aussi un sentiment nationaliste français, pendant la guerre d’Espagne. Franco a été aidé par l’Allemagne et l’Italie, et beaucoup ont cru que l’Espagne allait devenir un de leurs satellites, ce qui ne s’est pas produit. En revanche, le Front populaire a bel et bien été un satellite de Staline.

A.I. : En Espagne, l’arrivée d’une nouvelle génération d’historiens et de journalistes au tournant du XXIe siècle s’est accompagnée d’un terrible regain de haine et de sectarisme. Vous avez été vous-même insulté, raillé, couvert d’opprobre, cloué au pilori, mais aussi, et dans le même temps, applaudi et loué par beaucoup de lecteurs et une pléiade d’universitaires. Pourquoi cette nouvelle crispation politico-culturelle ? 

P.M. : Après que le peuple espagnol a accepté par référendum (1978) la démocratie et le passage « de la loi à la loi », c’est-à-dire le respect de la légitimité historique du franquisme, l’opposition, qui était encore celle des gauches-séparatistes, s’est lancée dans une campagne de falsification de l’histoire. Leur vision semblait l’emporter à la fin du XXe siècle, car elle était acceptée par une droite intellectuellement très pauvre. Mais soudain, elle a été réfutée de manière documentée et décisive, et les gauches socialistes et extrémistes ont dès lors réagi selon leur habitude… au point de se réfugier dans une « loi de mémoire historique » typiquement totalitaire, qui menace les libertés de recherche, d’expression et d’enseignement. Ce faisant, leurs leaders politiques montrent clairement quel genre de démocrates ils sont et, accessoirement, à quel point leur histoire est faible et fragile.

A.I. : Les autorités espagnoles semblent obsédées par l’adoption et le renforcement de ces lois mémorielles, qui ne font qu’attiser la division, l’agitation, la rancœur et la haine. Est-il si difficile d’accepter l’idée d’une faute collective sans discrimination entre « bons et mauvais » comme condition nécessaire à une authentique réconciliation ?

P. M.  : Oui ! ces lois alimentent la rancœur et la division parce qu’elles sont fondées sur d’énormes mensonges. Il y a pour les défendre certains partis, majoritairement corrompus, et un journalisme extraordinairement inculte et presque enfantin dans ses manipulations. La réalité historique est que Franco a vaincu une très grave menace soviétique et séparatiste, en maintenant l’unité nationale et la culture hispanique. Il a surmonté un isolement international meurtrier qui cherchait à affamer le peuple espagnol, et il a laissé un pays prospère, modéré et réconcilié. S’il est vrai que « la vérité nous rendra libres », elle doit être défendue par-dessus tout.

Propos recueillis par Arnaud Imatz

(1) Pío Moa, Les mythes de la guerre d’Espagne 1936-1939, Éditions de L’Artilleur, 2022, 690 pages, 25 €.

© LA NEF le 14 mars 2022, exclusivité internet