Mis en place en 2019, le Chemin synodal, en Allemagne, prend un tour « progressiste » de plus en plus inquiétant avec des propositions ouvertement contraires à l’orthodoxie catholique. Explication.
Jusqu’à quelle audace l’Église allemande défiera-t-elle l’autorité de Rome ? Jusqu’à quelle extrémité le Sonderweg dans lequel elle s’est engagée la conduira-t-elle ? Et combien de temps encore pourra-t-on l’appeler catholique ? Aujourd’hui, rien ne semble pouvoir la faire dévier de son cours. Ni les conseils du pape François, ni les rappels de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, ni les avertissements d’autres conférences épiscopales.
Mis en place en mars 2019 après la divulgation d’un rapport mettant en évidence les graves défaillances dans la gestion des abus sexuels, le Chemin synodal (Synodaler Weg), à la fois programme d’action et organisation composée d’environ 210 membres (1), vient de tenir, en février 2022, à Francfort, sa troisième assemblée plénière. Et il est peu dire que certains des textes adoptés sous la forme de demandes adressées à Rome s’éloignent de manière impressionnante du Magistère et du catéchisme de l’Église : participation des laïcs au choix des évêques ; ordination des hommes mariés et mariage des prêtres ; révocation des évêques et des curés à la suite d’un vote du conseil épiscopal ou du conseil paroissial ; diaconat féminin et réflexion sur le « ministère sacramental des personnes de tout sexe » ; admission de l’homosexualité et de la contraception ; abandon de la Loyalitätspflicht (obligation de loyauté par laquelle les laïcs travaillant pour l’Église doivent mener une vie conjugale conforme à la morale de l’Église).
Une campagne bien orchestrée
Il n’est pas anecdotique de relever que cette Assemblée générale a été précédée d’un véritable tir de barrage médiatique destiné à favoriser les thèmes qui allaient y être développés et à paralyser toute critique qui oserait s’y opposer. Ainsi, le 24 janvier, dans le cadre d’une initiative intitulée « Out in Church – Für eine Kirche ohne Angst » (2), 125 prêtres, religieux et laïcs en responsabilité pastorale ont fait leur « coming out » comme « lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, intersexes ou non binaires » et ont appelé à la fin de toutes les discriminations frappant les « personnes LGBTIQ+ », notamment quant à l’accès aux sacrements (mariage). Cette initiative, saluée positivement par la conférence des évêques allemands (DBK), a été suivie par une pétition en ligne qui a rapidement atteint 110 000 signataires, les organisateurs regrettant toutefois que les déclarations de soutien aient trop peu évoqué la situation des personnes transexuelles et non-binaires… Plus grave, le 20 janvier, un cabinet d’avocats allemands mandaté par l’archevêque de Münich, le cardinal Marx, a remis un rapport dans lequel était dénoncé, sur la base d’éléments factuels hautement contestables, le comportement de son prédécesseur, le cardinal Ratzinger (et futur pape Benoît XVI), dans la gestion de quatre cas de prêtres abuseurs au début des années 80. L’écho médiatique provoqué par le rapport a été considérable.
Enfin, après l’Assemblée générale elle-même, la pression n’a pas baissé en intensité. Dès le 10 février, une « Déclaration de Francfort », rapidement signée par le président et le vice-président de la DBK puis par quelque 15 000 personnes (dont, pour la France, Mgr Jacques Gaillot et le bien connu Comité de la jupe), a affirmé que le Synodaler Weg constituait un « kairos, un moment décisif pour notre Église, dans lequel Dieu nous a placés », et a exprimé l’intention de ne pas « se contenter d’adopter des documents » mais de les traduire « en actions concrètes : dans nos diocèses et nos paroisses, dans les écoles et les institutions caricatives – dans tous les lieux de la vie de l’Église ». De même, la réunion annuelle des membres de la DBK à Bamberg au début du mois de mars a donné à nouveau l’occasion à certains de ses membres, en particulier à son président, d’exprimer son soutien sans nuance à l’évolution en cours : après avoir souligné que « la résistance aux réformes dans l’Église n’était plus tenable », Mgr Bätzing a, une nouvelle fois, approuvé le caractère acceptable de l’homosexualité « si cela se fait de manière fidèle et responsable » (sic) et a renouvelé son appel pour que « les femmes accèdent aux ministères ordonnés ». Passons enfin sur la « messe queer » célébrée à Munich par le cardinal Marx le 13 mars dernier…
Beaucoup a été dit sur les spécificités propres à expliquer l’existence, en Allemagne, de cette véritable Assemblée constituante que semble être devenu le Synodaler Weg. On a évoqué, à juste titre, le puissant progressisme qui irrigue cette Église depuis les années 60. De même, on a cité l’influence protestante et le complexe de supériorité antiromain qui, dans la nation de Luther, ont toujours imprégné une partie de l’Église. Mais il est un autre facteur, parfois négligé, qui a joué un rôle essentiel dans la structuration institutionnelle de la fronde allemande, c’est le nombre très élevé de fonctionnaires laïcs dans l’Église, ce grâce à la manne financière considérable rapportée par l’impôt d’Église (Kirchensteuer). Ainsi, chaque évêché compte des dizaines, voire des centaines de laïcs employés dans des fonctions de nature pastorale. Ainsi, chaque paroisse dispose, à côté du curé, d’un ou plusieurs « référents pastoraux » (pour le catéchisme, l’animation liturgique, les obsèques, etc.). Or, la subordination statutaire de ces dizaines de milliers de fonctionnaires par rapport aux évêques et aux prêtres, sans possibilité, en raison de leur état laïc, d’accéder à des postes de réel pouvoir, a conduit à des frustrations massives qui, combinées à une connaissance de l’intérieur de l’institution, expliquent largement la situation actuelle.
Vers un schisme allemand ?
Venons-en aux perspectives à moyen terme. Doit-on craindre réellement la survenance d’un schisme, sous la forme d’une Église nationale allemande, qui serait en fait une énième déclinaison du protestantisme allemand ? Il est vrai que la pression en faveur de réformes radicales est puissante et résolue : elle émane non seulement d’associations de laïcs mais également d’une majorité substantielle d’évêques, avec à leur tête Mgr Bätzing, qui a abandonné la fonction d’équilibre qui sied normalement au président de la DBK. Seule une poignée d’évêques, comme Mgrs Rudolf Voderholzer (Ratisbonne), Stefan Oster (Passau) ou Wolfgang Ipolt (Görlitz), semblent offrir une certaine résistance, mais l’exemple du cardinal Woelki, archevêque de Cologne, qui paie depuis plusieurs mois ses réserves à l’égard du Chemin synodal par une exécution médiatique en règle, constitue un avertissement pour tout prélat qui entendrait freiner le nouveau cours. Par ailleurs, outre que l’Allemagne ne connaît pas de mouvement traditionaliste de l’ampleur de ce qui existe en France ou aux États-Unis, susceptible de faire contrepoids, les laïcs allemands fidèles au Magistère n’ont pas encore publiquement mis en œuvre des mesures susceptibles d’avoir un réel écho, telles que le boycott du Kirchensteuer, voire des offices religieux célébrés par les évêques frondeurs. Enfin, ni les conseils du pape François, ni les avertissements du cardinal Ouellet (refus de l’intercommunion entre protestants et catholiques), ni les rappels doctrinaux de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (impossibilité des bénédictions homosexuelles), ni enfin les mises en garde des autres conférences épiscopales (Pologne et Europe du Nord), ne sont parvenus à faire dévier l’Église allemande de son projet.
L’épreuve de vérité
Pour autant, la perspective d’un schisme formel n’est pas inéluctable, notamment parce que, jusqu’alors, Rome a déployé des trésors de patience, espérant que le Syndodaler Weg finisse par s’intégrer dans le cadre plus vaste du Synode sur la synodalité. Ainsi, les bénédictions de couples de même sexe qui ont eu lieu publiquement et avec l’accord tacite des évêques n’ont entraîné aucune sanction romaine. De même, c’est sans provoquer le moindre commentaire du Vatican que des évêques ont déjà annoncé l’abandon de la Loyalitätspflicht. Enfin, Rome pourrait autoriser, à l’issue du Synode sur la synodalité, les conférences épiscopales à procéder à l’ordination d’hommes mariés, d’autant que le Secrétaire général du Synode, le cardinal Hollerich, a exprimé une opinion positive à cet égard. Reste un verrou, mais il est de taille, celui de l’ordination sacerdotale des femmes, revendication qui apparaît comme l’une des plus symboliques et les plus fortes du Synodaler Weg. Puisqu’aucune modification ne saurait être attendue de Rome sur cette question, toute initiative d’un évêque d’ordonner une femme conduirait à l’excommunication prévue au can. 1379 CIC, disposition introduite par le pape François lui-même en juin 2021. C’est sans doute sur cette question que se jouera l’épreuve de vérité – et de force –, si celle-ci doit avoir lieu.
Jean Bernard
(1) Sont membres du Synodaler Weg tous les évêques allemands, des prêtres, des religieux et des représentants de la puissante association de laïcs, le Zentralkomitee der deutschen Katholiken (ZdK).
(2) Ce qui peut se traduire par : « Pour une Église délivrée de la peur ».
© LA NEF n°346 Avril 2022