Éloge du repos chrétien

« Reposez-vous un peu » (Mc 6, 31). Ces paroles, le Seigneur les adresse à ses disciples épuisés. Ne visent-elles pas aussi notre siècle suractif et fatigué ? Redécouvrons la vertu du repos chrétien !

Le repos contre le travail ? Clemenceau méprisait le repos : « Il n’y a pas de repos pour les peuples libres ; le repos, c’est une idée monarchique » (1). Un tel discrédit est significatif des héritiers du siècle des Lumières. Pour eux, repos et loisir sont des offenses au progrès humain : il faut travailler toujours plus, telle est la condition moderne. A contrario, Grecs, Romains et médiévaux voyaient dans le repos un accomplissement de la personne, donnant accès à la contemplation. Sans minimiser le travail – Dieu ne l’a-t-il pas béni dans l’Éden ? – ils faisaient de celui-ci une action nécessaire, quoiqu’inférieure et relative au repos.
À nous de retrouver aujourd’hui le vrai repos dont les Anciens faisaient l’éloge. Cette démarche est peut-être à contre-courant, mais elle est urgente à une époque où prolifèrent AVC et burn-out. Joseph Ratzinger avoue avec simplicité : « C’est souvent un acte d’authentique humilité et d’honnêteté constructive de savoir nous arrêter, reconnaître nos limites, nous accorder un temps pour souffler et nous reposer » (2).

Pourquoi se reposer ?
Si le pape émérite invite au repos, c’est d’abord par respect de notre humanité fragile. Avec bon sens, saint François de Sales conseille de dormir notre comptant : « Manger peu, travailler beaucoup, avoir beaucoup de tracas d’esprit, et refuser le dormir au corps, c’est vouloir tirer beaucoup de service d’un cheval qui est efflanqué, et sans le faire repaître » (3). Comme le sommeil, le repos est une activité à part entière et non pas une pause entre deux tâches. Il a sa dignité réelle. Il s’anticipe et se choisit. Sieste ou peinture, lecture ou musique, promenade ou prière, le repos m’humanise et me grandit. Au lieu d’être une parenthèse de ma vie, il la couronne et l’accomplit.
Avançons d’un pas : loin d’être oisif, le repos véritable conduit à l’intériorité. Dans le silence de la nature ou d’un lieu accueillant, je quitte la « périphérie de mon être » (4), j’apprends à me connaître et à connaître Dieu. Une Pensée de Pascal n’hésite pas à affirmer : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » (5). Prendre du temps pour soi n’est alors ni égoïste, ni paresseux, si cela est vécu sous le regard de Dieu : ce repos ou cette détente m’est nécessaire pour mieux aimer le Seigneur, mes frères et moi-même. Jésus se repose : pourquoi pas moi ?

Le repos du Seigneur
Oui, le Christ se repose. Il s’endort dans la barque ; il séjourne à Béthanie ; il s’assied au puits de Jacob. Jésus se repose pour lui-même. Il se repose pour moi. Admirons donc le repos du Seigneur et imitons-le. Comment ? En le suivant avec confiance. N’a-t-il pas déclaré : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos » (Mt 11, 28-29).
Se reposer en Dieu
Le vrai repos ouvre donc sur l’amitié avec Dieu, sur la vie contemplative. Ce repos chrétien est finalement dans la logique du sabbat. En le décrétant, Dieu rappelle son propre repos du septième jour. Saint Augustin note alors : « Il voulut sanctifier ce jour où il se reposa de toutes les œuvres qu’il a faites, comme si, même pour lui qui ne se fatigue pas au travail, le repos avait plus de prix que l’action » (6). Inscrite dans le Décalogue, la primauté du repos sur le travail est affirmée. Avec la résurrection du Christ, elle se traduit ensuite par la sanctification du dimanche : « Ce jour, comme le sabbat juif, est offert comme le jour de la purification des relations de l’être humain avec Dieu, avec lui-même, avec les autres et avec le monde. Le dimanche est le jour de la résurrection, le “premier jour” de la nouvelle création, dont les prémices sont l’humanité ressuscitée du Seigneur, gage de la transfiguration finale de toute la réalité créée. En outre, ce jour annonce “le repos éternel en Dieu” » (7).
Chaque repos dominical est une antichambre du repos éternel. Le vivons-nous de la sorte ? Faisons-nous du dimanche une journée vraiment religieuse et festive, contemplative et gratuite ? Oui, il est urgent de valoriser le dimanche comme premier jour de la semaine : l’Eucharistie reçue est le « pain de vie » dont j’ai besoin pour vivre mon quotidien familial et professionnel. Chaque jour, la prière silencieuse et l’oraison prolongent alors ces rencontres privilégiées avec le Seigneur. Fort de ces repos en Dieu, je prépare mon face-à-face éternel tant désiré. Saint Augustin ouvre ses Confessions par cette prière fameuse : « Tu nous as faits orientés vers toi et […] notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi » (8).
Reposons-nous : c’est un commandement du Seigneur !

Père MAXIMILIEN
Abbaye de Lagrasse

(1) Georges Clemenceau, à la Chambre des députés, 1883.
(2) Joseph Ratzinger, La gloire de Dieu aujourd’hui, Parole et Silence, 2006, p. 172.
(3) Saint François de Sales, Lettre du 14 septembre 1619 à Mère Angélique Arnaud.
(4) Belle expression du Père Henri Caffarel.
(5) Blaise Pascal, Pensées, n° 139.
(6) Saint Augustin, Homélie sur Jean, IV, 13, 24.
(7) Pape François, encyclique Laudato si’, 24 mai 2015, n° 237.
(8) Saint Augustin, Confessions, I, 1, 1.

Le Père Maximilien Le Fébure du Bus vient de publier, Éloge spirituel du repos, Artège, 2022, 112 pages, 9,90 €. En notre monde au rythme effréné où prime l’efficacité avant tout, nous sommes tous pressurés, non loin du burn-out. Contre ces travers, un livre simple mais profond à lire absolument, il peut changer notre vie.

© LA NEF n°346 Avril 2022