Alors que la Fondation Jérôme Lejeune publie son Plaidoyer pour une éthique de la vie (1), Marie-Anne Chéron, ancienne rédactrice en chef de genethique.org et expert bioéthique de la Fondation Jérôme Lejeune, fait le point, à la veille des élections législatives, sur l’état des dérives bioéthiques.
Quelle que soit l’élection, et les législatives ne font pas exception, l’heure qui sonne est celle du bilan. Il est cependant un domaine, complexe, qui échappe bien souvent aux retours critiques, c’est celui de la bioéthique. La bioéthique est ce pan de l’éthique chargé de veiller au respect et à la dignité de la personne humaine de ses tout débuts, le moment de la conception, jusqu’à la fin de la vie.
Des lois de bioéthique qui font les dérives
Force est de constater que, sur ces questions essentielles, les lois successives, loin d’encadrer les dérives et de protéger l’homme comme elles s’en faisaient le devoir, n’ont fait que les provoquer en le fragilisant. Dès 1994, en cautionnant des pratiques médicales, qui avant d’être des soins sont des techniques, elles ont semé le doute entre l’acceptable et ce qui ne l’est pas. Cherchant à encadrer la procréation médicalement assistée (PMA) par exemple, loi après loi, elles ont fait droit à la tyrannie de désirs rapidement érigés en besoins qui, revendiqués, ont fait droit à la toute-puissance de la volonté individuelle. Dans ce contexte, l’enfant, de sujet, tend à devenir objet de désir, un droit. Comme tel, il s’inscrit dans un projet parental dont sa propre survie dépend radicalement.
Du début à la fin, le quinquennat d’Emmanuel Macron a été traversé par les questions de bioéthique, repoussant toutes les limites et consommant les oppositions. Au point qu’en séance, Muriel Jourda, sénatrice du Morbihan, n’a pu que constater : « Nous n’avons pas la même conception de la personne humaine. »
Toujours plus, toujours moins
L’embryon humain, plus petit témoin de l’espèce humaine, est au cœur de ces enjeux. Alors que les débats se focalisaient sur la « PMA pour toutes », d’autres mesures, qui ont encore élargi les conditions de son utilisation, ont été adoptées à la hâte et dans une grande indifférence : recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines facilitées, autorisation de créer des embryons transgéniques, fabrication d’embryons chimériques animal-homme, retour du bébé médicament… Objet de convoitises, l’embryon humain manipulé, dépisté, sélectionné, est réduit, sous couvert d’avancées de la science et de lutte contre la maladie, au rang de matériau de laboratoire. Pourtant, des alternatives éthiques à la recherche existent.
Au fur et à mesure, les nouvelles pratiques engendrent de nouvelles accoutumances, de plus grandes acceptations, qui façonnent les contours d’un homme profondément modifié. En effet, la technique, loin d’être neutre, impose son rythme et sa propre morale. Comme l’explique Jacques Testart, « l’innovation n’a pas pour réel moteur la recherche proclamée du bien-être et c’est ce qui rend irrémédiable sa marche en avant » (2). Une tendance qui n’est pas sans conséquences car « dans le dialogue homme/machine, c’est le facteur humain le plus fragile et c’est ce dernier qu’il faut “améliorer” » (3). De fait, la mainmise sur les commencements de la vie humaine s’inscrit dans le projet profondément déshumanisant du transhumanisme, qui a engagé la médecine dans un processus qui ne consiste plus à soigner, mais à améliorer l’espèce humaine. À terme, il s’agit, par une maîtrise procréatique, de modifier sa nature… et de créer un homme nouveau, augmenté dans ses capacités, immortel et doté d’une intelligence supérieure hybridée à l’intelligence artificielle.
Au service du projet transhumaniste
La loi est un maillon essentiel de cette mutation. À l’instar de celles qui ont été successivement adoptées, elle porte en elle une vision de l’homme, de la société, du progrès technique très déshumanisée et déshumanisante. Elle mène, à petits pas déterminés, vers l’avènement d’un « enfant parfait », non plus né de l’union de deux personnes mais issu de techniques d’assistance médicale à la procréation. Un enfant désiré, sélectionné en fonction des compétences de son génome, destiné à devenir l’« homme parfait » du transhumanisme. Il existe en effet un lien étroit entre reproduction artificielle, sélection eugénique de l’être humain et utopie post-humaine. Ce projet démiurgique d’amélioration de l’homme commence par la suppression de ceux qui ne correspondent pas à la norme génétique qui s’impose. Pour Jean-Marie Le Méné, dans ce domaine « tout ce qui est fait depuis 20 ans sur le dépistage prénatal de la T21, est vraiment la matrice, la modélisation, le précurseur du transhumanisme expérimenté sur les porteurs de T21 » (4). Le dépistage généralisé de la trisomie pourrait être étendu à d’autres maladies… Autant de perspectives qui façonnent un monde dominé par le marché, par la performance. Un monde où la vulnérabilité, la fragilité, le handicap, la maladie n’ont plus leur place. Un monde qui se déshumanise parce qu’il ne tolère plus la faiblesse.
Pourtant, à partir du moment où les biotechnologies permettent la manipulation de l’espèce dans sa plus grande vulnérabilité, menaçant sa vie sans défense, l’embryon humain devient de facto un objet de responsabilité. Seule la conscience de cette responsabilité peut tracer les limites indispensables pour penser l’avenir. Quand « l’homme s’arroge un pouvoir qui dépasse sa sagesse, il lui faut inventer une règle qui limite ses imprudences », expliquait déjà le professeur Jérôme Lejeune. Il s’agit de proposer une autre voie fondée sur l’éthique. Celle-ci, loin d’être adaptable en fonction des « évolutions » qu’elles soient scientifiques ou « sociétales » ou d’un consensus fût-il démocratique, est immuable, relative au vivant lui-même. Elle précède la loi, la technique et le progrès. Elle a un sens, s’inscrit dans une finalité qu’il faut réapprendre.
L’embryon humain, le grand oublié de l’écologie
Les revendications écologistes montrent suffisamment qu’il n’est pas possible d’asservir indéfiniment la nature, que puiser dans nos ressources pour vivre dans l’emballement d’une perpétuelle course au progrès ne peut se faire qu’au détriment de l’homme lui-même. Le respect de la nature implique « un discernement exigeant vis-à-vis du recours à la technique et à la science lorsqu’elle cherche à pallier les déficiences de la biologie. […] En prétendant contrôler la vie humaine à ses débuts comme à sa fin, la société post-moderne se montre foncièrement antiécologique. Elle fait de l’humain une machine technique que l’on peut débrancher à l’envie. Elle nie au vivant la dynamique propre de chaque être » (5).
La fragilité porte en elle un appel à la clémence, comme l’affirment les parents d’enfants différents dans une tribune, « Tous imparfaits » (6). Ils disent : « Nous, parents d’enfants malades, nous n’avons pas choisi notre enfant, nous l’avons accueilli tel qu’il est, tel qu’il était. Sa vie n’est pas simple, n’a pas été simple, mais elle n’a pas été que souffrance. » Nos enfants « sont pour nous, nos familles, découverte, émerveillement, dépassement. Au quotidien, ils nous apprennent à vivre, nous les aimons tels qu’ils sont, nous ne voulons ni les changer, ni les échanger. Nous savons d’expérience que vouloir vivre sans souffrance, c’est se condamner à vivre sans amour ».
Il est urgent de se réconcilier avec l’humanité, dans ce qu’elle a de chaotique, d’imparfait, d’incertain pour rétablir une relation durable où le fort protège le faible, jusque dans l’embryon humain, plus petit témoin de notre espèce. En effet, prendre soin de l’humanité dans ce qu’elle a de plus fragile, du début jusqu’au bout de la vie, c’est probablement offrir un dernier refuge à l’homme d’aujourd’hui.
Marie-Anne Chéron
(1) Téléchargeable gratuitement sur son site : Fondation Lejeune/boutique/plaidoyer pour une éthique de la vie.
(2) L’œuf transparent, Jacques Testart, Flammarion, 1986, p. 162.
(3) Introduction à Jacques Ellul, Patrick Chastenet, Éditions La Découverte, 2019, p. 27.
(4) Gènéthique, Transhumanisme et eugénisme : L’humanité en question ?, 3 février 2016.
(5) Cyril Douillet, L’écologie humaine, une espérance politique, Discours, Téqui, 2021, p. 11.
(6) Le Figaro du 6 janvier 2020, tribune reprise sur le site Tous imparfaits !
Un site pour comprendre les questions bioéthiques
Quel monde voulons-nous pour demain ? Depuis l’an 2000, à la croisée de la science et de la médecine, du droit et des lois, de la philosophie et de l’éthique, le site d’actualité bioéthique genethique.org, label de la Fondation Jérôme Lejeune, répond à trois missions : informer, comprendre et approfondir ces questions bioéthiques.
PMA, GPA, don d’organes, fin de vie, recherche sur l’embryon humain… Gènéthique est aujourd’hui un site expert d’information pour tous. Il s’attache aux faits, de façon dépassionnée, dans le respect de la dignité intrinsèque de l’homme, de sa conception à sa mort naturelle, et en cohérence avec l’écologie humaine.
Pour Anne-Laure Boch, neurochirurgien, Gènéthique « met à disposition des articles argumentés sur des sujets extrêmement importants pour tout le monde ».
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© LA NEF n°348 Juin 2022